Les causes de la tragédie

Le Père Santiago Martin, ce prêtre espagnol que nous connaissons bien grâce aux traductions de Carlota, s'exprime sur les causes de la crise que traverse en ce moment l'Eglise, spécialement aux Etats-Unis (20/8/2018)

Il a raison, bien sûr, et il identifie bien les problèmes. Mais pas, selon moi, dans leur totalité, et surtout, il omet l'essentiel. Ce qu'il dit doit être dit, mais colle plutôt à la situation de l'Eglise telle qu'elle s'est présentée il y a huit ans, lorsque les scandales de soi-disant pédophilie ont éclaté avec la violence que l'on sait, éclaboussant personnellement et intentionnellement jusqu'à Benoît XVI (alors qu'aujourd'hui, François est à eu près épargné, c'est l'Eglise en tant qu'institution qui est seule visée), sans tenir compte de la spécificité de celle actuelle, qui est avant tout créée par l'attitude du Pape, et en particulier les hommes dont il a choisi de s'entourer.

Les causes de la tragédie


Père Santiago Martin
catolicos-on-line.frmaria.org
Traduction de Carlota

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La publication du rapport sur ce qui est arrivé dans six diocèses de l'État de Pennsylvanie a choqué le monde et a rempli l'Église de honte. Le Vatican a réagi avec rapidité, en montrant son horreur devant ce qui est arrivé et en assurant les victimes de tout son appui. Le président de la Conférence Épiscopale des Etats-Unis a demandé une visite apostolique du Vatican, comme celle qui a été envoyée au Chili, pour que la lumière soit faite non seulement sur ceux qui ont commis un délit mais aussi leurs complices, parmi lesquels il pourrait y avoir des évêques et même des cardinaux. C'est pourquoi, ce qu’il y a d’abord à faire c’est montrer tout le soutien aux et demander une enquête pour déterminer les responsabilités.

Mais, en même temps, il faut se demander pourquoi tout cela a eu lieu. Sans prétendre venir à bout de toutes les causes, qui sont sûrement nombreuses, il m’en vient deux à l’esprit.
La première, c’est la culture de la dissimulation à laquelle ont participé de nombreux évêques ; pour eux la priorité c’était les prêtres, et les laïques, même les enfants, étaient moins importants. Un exemple de ce qui est arrivé avec l’un des prêtres pédérastes nord-américains; comme fruit de ses actes, la mineure s’est retrouvée enceinte et il l’a obligé à avorter ; quand il l’a su, l'évêque n'a pas écrit une lettre à la jeune fille, mais au prêtre, préoccupé par le mauvais moment qu'il passerait après ce qui était arrivé. Comme dans la mafia, quoiqu’il arrive, il ne se passe rien car « c’est un des nôtres » qui l’a fait.

La seconde cause, je crois, est dans le très fort relâchement des habitudes qu’il y a eu dans l’Église après le Concile (*). La vie spirituelle a été abandonnée, la même chose s’est passée en ce qui concerne l’enseignement doctrinal et le respect des règles liturgiques. Je ne dis pas cela a eu lieu dans tous les cas ; mais en de très nombreux cas, certainement. Comme conséquence, en étant immergés dans une culture hédoniste, n’ont pas manqué ceux qui ont franchi les barrières non seulement du péché mais même du délit (**).

Par conséquent, on se doit d’insister autant sur la responsabilité que l’évêque a avec tous ses fidèles, - et pas seulement avec ses prêtres -, et en ce qui concerne la rénovation et le renforcement de la vie spirituelle du clergé, de même que la fidélité à la liturgie et à la doctrine. Dans le cas contraire, ce qui est arrivé se répétera de nouveau.

Mais il faut aussi se demander pourquoi ces choses sont connues aujourd’hui. Dans le cas de Pennsylvanie, par exemple, des recherches ont été faites sur des cas qui se sont produits il y a presque quatre-vingt ans – la décennie des années 40. Pratiquement la totalité des délits sont arrivés à la prescription et donc seulement deux prêtres pourront être portés devant les tribunaux. De nombreuses victimes sont également décédées, de même que les auteurs des délits et si l’on sait ce qui est arrivé c’est parce cela a été raconté par de tierces personnes. C’est pourquoi en l’absence de jugement, les victimes ne pourront pas recevoir de compensations économiques et la compensation morale, toujours fondamentale, va arriver tard pour la majorité.
Pourquoi alors tout cela ? Ou, pour dire les choses autrement, pourquoi n’a-t-on pas ouvert une enquête similaire sur ce qui est arrivé dans d’autres religions, ou parmi des médecins, des avocats, des journalistes, des hommes politiques ou simplement des pères de famille ? Pourquoi a-t-on si rapidement couvert le scandale qui a éclaboussé des figures légendaires d’Hollywood ?

Ces jours-ci j’ai pensé au Jésus de la Passion. L’Église, comme Lui alors, parcourt son propre Chemin de Croix. Jésus était totalement innocent et nous non. Mais il y a quelque chose de commun. Jésus aurait pu être assassiné secrètement, mais il était nécessaire de le détruire moralement avant; ses enseignements merveilleux et ses miracles prodigieux l’avaient fait considérer par le peuple comme quelqu’un d’un immense prestige moral; c’est cela qu’il fallait détruire et c’est pour cela qu’il a dû être flagellé et couronné d’épines, être promené en haillons par les rues, pour que les gens le voient, crucifié entre deux bandits. On cherchait non seulement à le tuer mais aussi à en finir avec son autorité morale.
L’Église est la principale autorité morale du monde et la manière de mettre fin à son prestige c’est de montrer ses scandales. Elle s’oppose à l’avortement, à l’euthanasie, à l’idéologie du genre, et cela n’est pas possible. Pour cela il faut la détruire, il faut lui enlever son prestige, il faut la couvrir de boue. De sorte qu’elle ne pourra pas parler parce que si elle le fait on lui jettera à la figure qu’elle n’a pas l’autorité morale pour le faire. Nous le voyons déjà au Chili et cela arrivera très vite aux Etats-Unis.
Je crois que les laïques catholiques doivent savoir tout cela et doivent aider leurs prêtres. Non pas aider les délinquants pour qu’ils continuent à commettre des délits, mais tous les autres, la très immense majorité, nous qui sommes honteux parce que l’on généralise ce qui a été fait par quelques uns. Et ne parlons pas des séminaristes, le peu qu’il y a, qui sont remplis de doute à l’heure d’embrasser une vocation que le monde identifie à des prédateurs sexuels de la plus basse espèce.
Cette crise peut servir à purifier l’Église, mais seulement si nous allons à la racine et nous nous faisons obstacle aux causes qui l’ont produite et si nous nous maintenons unis, laïques et clergé, dans l’amour du Christ et de son Église.

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Notes de traduction
(*) Même si les dénonciations concernent des faits ayant eu lieu avant la date du concile stricto sensu, le « relâchement » était dans l’air du temps
(**) Délit, traduction mot à mot depuis l’espagnol. Certains délits sont peut-être reclassés crimes.

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