L'habit fait aussi le Pape

Très intéressante réflexion du Père Raymond de Souza, un prêtre canadien (*), qui note que la première "révolution de François" a été vestimentaire, dès le jour de l'élection. Comme nous l'avions perçu plus ou moins confusément à l'époque, elle était déjà tout un programme... (11/3/2018)

>>> Ci-contre: La manche effilochée de la soutane papale (cf. benoit-et-moi.fr/2015-I)

 


(*) Responsable du site Convivum.

L'article ci-dessous (que j'ai trouvé grâce à Teresa) est repris de l'hebdomadaire catholique britannique conservateur dirigé par Damian Thompson, "The Catholic Herald".
J'ai rajouté des illustrations qui me paraissent bien documenter le texte.

Le pape François sait que l'habit clérical a de l'importance.


Père Raymond de Souza
catholicherald.co.uk
10 mars 2018
Ma traduction

Un nouveau look très étudié


Les premières décisions requises d'un homme élu au conclave sont des prescriptions. Il doit répondre à la question: «Acceptez-vous?». Il doit choisir son nom. Après ces décisions capitales, la cérémonie suit son cours, entraînant l'homme accablé d'un nouveau fardeau.

Le 13 mars 2013, le pape François prit une autre décision dans les premières minutes. Elle indiquait très tôt quel genre de pape il serait. Il décida de ne pas s'habiller comme les autres papes avant lui. Qu'il sût si tôt et avec une telle confiance qu'il ne ferait pas comme son prédécesseur encore vivant, et comme la longue lignée de ceux qui avaient précédé Benoît, nous donnait une première indication de la façon dont le Pape François se concevait lui-même comme successeur de saint Pierre.

Ce fameux soir du 13 mars 2013...


La soutane papale blanche - en langage technique une "simarre" car elle a la cape sur l'épaule indiquant le rang d'évêque - est le vêtement ordinaire du pape lorsqu'il se montre aux autres.

Et pas seulement aux autres. Dans le livre d'interview de 2010, Lumière du monde, Peter Seewald, qui avait passé beaucoup de temps en privé avec le cardinal Joseph Ratzinger, l'interrogea sur le côté vestimentaire de la vie papale: «A la place d'une soutane, porte-t-il parfois un chandail pendant son temps libre?»
«Non», répondit le Pape Benoît XVI. C'est un message que m'a laissé Mgr Mieczyslaw Mokrzycki, le second secrétaire de Jean-Paul II, qui m'a dit: "Le Pape portait toujours une soutane, et vous devez en porter une aussi"».
Et c'est ce qu'il a fait. C'est un signe de l'humilité de Benoît XVI, d'accepter l'instruction sur ce point de la part du second secrétaire de Jean-Paul II. Même pendant son temps libre, il se conformait à la charge qui lui était confiée.


Quand le pape prend son petit-déjeuner, il porte sa soutane. Quand il fait quelque chose de plus solennel - bénir le monde entier en tant que pasteur universel de l'Église à partir de la loggia centrale de Saint-Pierre, ou recevoir des dignitaires d'État dans cette même fonction officielle -, il s'habille habituellement différemment. C'est pourquoi, dans de telles occasions, les papes portent la mozetta - une cape rouge (ou blanche) de la longueur d'un coude portée sur un surplis.

La décision du pape François de mettre de côté la mozette et de porter le même vêtement tout le temps - que ce soit au petit-déjeuner à Sainte Marthe ou lors de la bénédiction solennelle à Pâques - a été prise immédiatement. Elle indiquait que le Saint-Père ne se gênerait pas pour agir sans consulter les autres, qu'une affirmation de la volonté papale serait faite contre les normes traditionnelles de comportement, et que les gestes seraient un moyen-clé du leadership papal.

Il y a des limites, bien sûr, à la façon dont le pape pourrait s'habiller. Il serait inconcevable d'imaginer le pape en costume de ville blanc, en homme d'affaires ayant le don du spectaculaire, à la manière de Ricardo Montalbán dans Fantasy Island (L'île fantastique). Mais pour d'autres hauts prélats, ce pontificat a marqué un tournant vers une tenue plus mondaine, le costume de ville étant la tenue préférée du Saint-Père.


Par exemple, les cardinaux du "C9" commencèrent leurs réunions en soutanes filetées, comme prévu pour tout ecclésiastique en présence du Saint-Père (1). Je me souviens que quand j'étais étudiant à Rome, les séminaristes qui n'avaient pas de soutane allaient en emprunter une s'ils devaient être présentés au Saint-Père par leurs évêques.


Aujourd'hui, les [membres du] C9 se retrouvent en costume de ville, où la croix pectorale peut être discrètement dissimulée dans une poche de veste.


Comme les photos du mois dernier l'ont encore montré, même les prêtres de curie et les évêques en retraite de Carême avec le Saint-Père portent un costume de ville, bien qu'il y ait quelques récalcitrants qui continuent à porter la soutane.

Qu'il y ait de nouvelles coutumes n'a jamais été aussi clair qu'en mars 2017, lorsque le prélat de l'Opus Dei nouvellement élu, Mgr Fernando Ocáriz, a été reçu par le Saint-Père. Le prélat de l'Opus Dei n'a pas voulu saluer le sacristain dans sa chapelle autrement qu'en soutane, mais il a docilement endossé un costume de ville pour saluer le pape François. Il a peut-être dû en emprunter un, comme les séminaristes le faisaient pour les soutanes.


Est-ce important? Ce n'est pas d'une importance suprême, mais c'est important. Les vêtements ne font peut-être pas l'homme, mais ils reflètent quelque chose de réel de lui. L'Église catholique a beaucoup réfléchi à l'habillement clérical, réfléchi à ce que cela signifie d'être dans le monde, mais pas du monde. Le costume de ville pour les prêtres - introduit dans les pays où la persécution religieuse des catholiques était courante - est un virage vers une Église plus mondaine.

La tenue "décontractée" du cardinal Barbarin chez le Pape émérite...


La soutane reste toujours la tenue vestimentaire par défaut pour les prêtres, selon le Directoire 2013 pour le Ministère et la Vie des prêtres (2), même si des modifications ont été approuvées depuis longtemps pour la plupart des pays anglophones. Pourtant, en présence du pape, on devait la porter. Par ailleurs, la loi de l'Église exige aussi que les prêtres concélébrants portent si possible des chasubles à la messe, règle qui est systématiquement ignorée lors de la messe quotidienne du Pape à Sainte Marthe.

La tenue des religieux - pour lui-même et pour les autres - n'est pas la décision la plus importante prise par François. Mais c'était la première.

NDT


(1) Dans l'avant-propos de "Le sel de la terre", le premier livre d'entretiens du cardinal Ratzinger avec Peter Seewald, le journaliste interroge le Préfet de la CDF sur les modalités de ses rencontres hebdomadaires avec Jean-Paul II

- Quels vêtements portez-vous pour la circonstance?
- La soutane. La tradition veut que l'on se présente en soutane devant le Pape.

(2) www.vatican.va...direttorio-presbiteri
§61 IMPORTANCE ET OBLIGATION DE L’HABIT ECCLÉSIASTIQUE

Dans une société sécularisée et qui tend au matérialisme, où les signes extérieurs des réalités sacrées et surnaturelles s’estompent souvent, on ressent, particulièrement aujourd’hui, la nécessité pour le prêtre – homme de Dieu, dispensateur de ses mystères – d’être reconnaissable par la communauté, également grâce à l’habit qu’il porte, signe sans équivoque de son dévouement et de son identité de détenteur d’un ministère public. Le prêtre doit être reconnu avant tout par son comportement mais aussi par sa façon de se vêtir, pour rendre immédiatement perceptible à tout fidèle et même à tout homme son identité et son appartenance à Dieu et à l’Église.

L’habit ecclésiastique est le signe extérieur d’une réalité intérieure : « En effet, le prêtre n’appartient plus à lui-même, mais, par le sceau sacramentel reçu (cf. Catéchisme de l’Église catholique, 1563 ; 1582), il est “propriété” de Dieu. Ce fait “d’être à un Autre” doit devenir reconnaissable par tous, à travers un témoignage transparent. Dans la manière de penser, de parler, de juger les faits du monde, de servir et d’aimer, de se mettre en relation avec les personnes, même dans l’habit, le prêtre doit trouver la force prophétique de son appartenance sacramentelle ».

Pour cette raison, le prêtre comme le diacre ordonné en vue du sacerdoce, doit

a) Porter soit la soutane ou « un habit ecclésiastique digne, selon les normes indiquées par la conférence épiscopale et selon les coutumes locales légitimes ». Lorsque l’habit n’est pas la soutane, il doit être différent de la manière de se vêtir des laïcs, et conforme à la dignité et à la sacralité du ministère. La coupe et la couleur doivent en être établies par la conférence épiscopale.

b) À cause de leur incohérence avec l’esprit de cette discipline, les pratiques contraires ne contiennent pas de fondements suffisants pour devenir des coutumes légitimes et doivent être supprimées par l’autorité compétente.

À l’exception de certaines situations, ne pas utiliser l’habit ecclésiastique peut manifester chez le clerc un faible sens de son identité de pasteur entièrement disponible au service de l’Église.

En outre, la soutane – dans sa forme, couleur et dignité – est particulièrement indiquée car elle distingue les prêtre des laïcs et fait mieux comprendre le caractère sacré de leur ministère en rappelant au prêtre lui-même qu’il est toujours et en tout moment prêtre, ordonné pour servir, pour enseigner, pour guider et pour sanctifier les âmes, principalement par la célébration des sacrements et la prédication de la Parole de Dieu. Porter un habit clérical est, en outre, une sauvegarde pour la pauvreté et la chasteté.

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