L'impasse de François

Sous la plume de Roberto di Mattei, la défense du Pape par ses thuriféraires à propos du memorandum de l'ex-nonce à Washington amène de façon inattendue à une réflexion sur l'infaillibilité pontificale (17/11/2018)

 

Le cas Vigano et l'impasse (*) du Pape François


(*) En français dans le texte


Roberto di Mattei
www.corrispondenzaromana.it
14 novembre 2018
Ma traduction

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Finalement, une réponse est arrivée. Pas la réponse, attendue en vain, du pape François, mais celle, malgré tout significative, d'un des journalistes qui font partie de son 'entourage' (en français dans le texte) proche. L'auteur est Andrea Tornielli, vaticaniste du quotidien La Stampa et responsable du site web Vatican Insider; en collaboration avec le journaliste Gianni Valente, il vient de publier Il Giorno del Giudizio, un essai substantiel sur le "cas Viganò", au sous-titre éloquent: Conflitti, guerre di potere, abusi e scandali. Cosa sta davvero succedendo nella Chiesa (Conflits, guerres de pouvoir, abus et scandales. Ce qui se passe réellement dans l'Église).

La thèse de fond de Tornielli est que le témoignage de l'archevêque Carlo Maria Viganò sur les scandales dans l'Église est une "tentative de coup d'État" contre le pape François, ourdie par un réseau international politico-médiatique «allié à des secteurs de l'Église étatsunienne et avec des appuis également dans les palais du Vatican».

Le Vaticaniste de La Stampa interprète la guerre religieuse en cours comme une lutte pour le pouvoir plutôt qu'une bataille d'idées et semble oublier que ce conflit n'a pas été déclenché par ceux qui défendent la Tradition de l'Eglise, mais par ceux qui voudraient la renverser. On ne voit pas pourquoi l'accusation d'utiliser les armes médiatiques ne serait réservée qu'aux détracteurs du pape Bergoglio et non à ses "fans".

Le Vatican n'a-t-il pas confié à McKinsey (1) le projet d'unifier les outils de communication en créant une plateforme numérique unique pour y déployer articles, images et podcasts? C'est le même Tornielli qui nous en informe dans La Stampa du 22 mars 2018. Pour le directeur de la Civiltà Cattolica Antonio Spadaro, l'importance que le Pape François attache au web et aux réseaux sociaux remonte au jour de son élection.

Ce jour-là, Jorge Mario Bergoglio «rendit actives les milliers de personnes présentes en les coonectant à sa personne et à ce qui se passait, démontrant qu'il était lui-même un réseau social», a affirmé le jésuite en présentant son livre "Cyberteologia. Pensare il cristianesimo al tempo della rete" (Penser le christianisme à l'époque du réseau).

S'il y a des experts en techniques de manipulation et d'instrumentalisation de l'information, on les trouve justement parmi les collaborateurs les plus proches du Pape François, du même Spadaro à Mgr Dario Edoardo Viganò (rien à voir avec son homonyme Carlo Maria), l'ex-ministre des communications du Vatican contraint à la démission, en mars 2018, à cause de la retentissante contrefaçon d'une lettre confidentielle de Benoît XVI [cf. Dossier "Lettergate"]. Mgr Dario Viganò a commandé au réalisateur Wim Wenders le film apologétique Pope Francis. A Man of his word (Le Pape François, un homme de parole) et en Italie, un "magazine" est régulièrement publié, intitulé Il mio Papa, qui raconte la semaine du Pape François.

Aucun pape n'a utilisé les armes médiatiques autant que Jorge Mario Bergoglio. Quant aux révélations de l'archevêque Carlo Maria Viganò, Tornielli ne nie pas que le pape François ait reçu directement de lui l'information selon laquelle le cardinal Théodore McCarrick avait corrompu sexuellement ses propres séminaristes et prêtres. Il ne nie pas non plus l'existence de l'immoralité au sein de l'Église et d'une lâcheté étendue qui lui permet de croître.

Il admet que le problème de la plaie homosexuelle «existe», même s'il la minimise, gardant le silence sur l'existence d'un groupe de sodomites actifs au sein des structures ecclésiales et d'un lobby gay friendly tout aussi actif qui les soutient. Tornielli ne parvient donc pas à réfuter Mgr Viganò, mais il doit défendre le Pape François. Il le fait en se comportant comme un joueur qui, se trouvant en difficulté, fait monter la mise. Dans ce cas, puisqu'il ne peut nier l'existence d'une profonde corruption des hommes d'Eglise, il essaie de faire endosser la plus grande responsabilité aux prédécesseurs du Pape François, Benoît XVI et Jean-Paul II.

C'est surtout Jean Paul II, responsable de l'ascension fulgurante du cardinal McCarrick, que le Vaticaniste de La Stampa envoie sur le banc des accusés. «Jean-Paul II avait connu McCarrick, avait visité son diocèse quatre ans plus tôt, avait été impressionné par cet évêque brillant, qui savait remplir ses séminaires, dialoguer à tous les niveaux avec la politique, être protagoniste du dialogue interreligieux, ferme sur les principes de la doctrine morale (???) et ouvert sur les questions sociales».

La nomination de l'archevêque de Washington, déjà objet de "bavardages" au Vatican, n'est pas passée par la plénière de la Congrégation des évêques où elle aurait dû être discutée, mais est arrivée "per direttissima" [en référence à l'expression "processo per direttissima", procès expéditif, ou procédure en référé, ndt], «comme cela arrive parfois pour certaines nominations, décidée justement "depuis l'appartement" sans le passage de la discussion collégiale par les membres du dicastère».

«Il est offensant [de la part de Mgr Viganò] de laisser entendre qu'en 2000 [année de la nomination de McCarick], Jean-Paul II était si malade qu'il n'était plus en mesure de s'occuper des nominations, pas même les plus importantes, pas même celles qui conduisaient - à cette époque - à l'attribution certaine de la barrette de cardinal et donc à l'inclusion dans un futur conclave... Il n'est pas nécessaire de connaître les archives secrètes de la nonciature de Washington (que par ailleurs Viganò aura consultée), pour savoir qu'en réalité, en 2000, le Pape Wojtyla avait encore devant lui cinq années de vie très intenses à tous points de vue».

Tornielli insiste: «Wojtyla n'est absolument pas aussi "malade" que Viganò voudrait nous le faire croire dans son dossier. Au contraire. En fait, il semble parfaitement capable de suivre certains processus de nomination, au moins les plus significatifs, les plus importants. Parmi ceux-ci, il y avait sans aucun doute la nomination du nouvel archevêque de la capitale fédérale des Etats-Unis... Il ne faut pas oublier non plus que le pape Wojtyla avait une connaissance directe de McCarrick, évêque nommé par Paul VI mais promu bien quatre fois par le pontife polonais: d'abord avec la nomination à Metuchen, diocèse créé ex novo; puis avec le transfert à Newark, diocèse visité par Jean-Paul II en 1995; puis avec la nomination comme archevêque de Washington malgré son âge déjà avancé; enfin avec l'inclusion immédiate dans le Collège cardinalice».

Cependat, le 27 avril 2014, Jean-Paul II a été promulgué saint par le Pape François, en même temps que Jean XXIII. La canonisation d'un Pape signifie que dans l'exercice de sa charge de Pasteur Suprême de l'Église, il doit avoir exercé à un degré héroïque toutes les vertus, y compris celle de la prudence. Mais si par complicité, négligence ou imprudence, un Pape a "couvert" un "prédateur sexuel", on peut légitimement douter de sa sagesse et de sa prudence.

Et si pour Tornielli, les choses se sont passées ainsi, cela signifie qu'il ne considère pas Jean-Paul II comme un saint. Du reste, un prélat proche de lui et du Pape François, Mgr Giuseppe Sciacca, secrétaire de la Signature apostolique, «l'un des canonistes les plus expérimentés de la Curie», interviewé le 9 septembre 2014 par Tornielli lui-même, a nié l'infaillibilité des canonisations. Si les canonisations ne sont pas infaillibles, et que le Pape François a pu se tromper pour Jean-Paul II, il est possible que ce même jour il ait aussi commis une erreur en proclamant la sainteté de Jean XXIII et qu'il ait pu faire la même erreur le 14 octobre 2018 en canonisant Paul VI.

Ce n'est pas un point mineur. En faisant monter la mise, Tornielli ne remet pas seulement en cause la prudence surnaturelle du Pape Wojtyla, mais jette une ombre sur les récentes canonisations et, surtout, nous révèle l'impasse dans laquelle se trouve le pontificat du Pape Bergoglio. Une impasse qui tourne autour du thème de l'infaillibilité.

L'infaillibilité est en effet considérée par le Pape François comme un héritage de l'Église antique, celle qui proclamait et jetait des anathèmes, qui définissait et condamnait. La primauté de la pastorale sur la doctrine et de la miséricorde sur la justice empêche François d'exercer le munus de l'infaillibilité, qui est l'acte le plus catégorique et le moins pastoral qu'un pontife puisse accomplir.

Mais s'il veut imposer à l'Église ses directives, le pape Bergoglio a besoin d'une "quasi-infaillibilité" qui exclut toute forme de désobéissance à ses volontés. Pour réaliser son programme, le Pape "quasi-infaillible" est contraint de devenir un "Pape dictateur", comme c'est le cas aujourd'hui. Ceux qui sont fidèles à la Tradition, par contre, croient en l'infaillibilité pontificale et connaissent son étendue et ses limites. La notion des limites de l'infaillibilité permet à ceux qui ont le sensus fidei de résister au "pape dictateur".

L'extension de l'infaillibilité permettra au Pape, qui un jour voudra en faire usage, de dissiper la fumée de Satan qui a pénétré dans l'Église, condamnant sans appel les erreurs et réaffirmant, avec la même solennité, la vérité éternelle de l'Evangile.

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NDT:
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(1) Dès janvier 2014, Sandro Magister écrivait:
«C’est certes d’une Église "pauvre et pour les pauvres" que rêve le pape François. Mais, pour le moment, le Vatican est en train de devenir un pays de Cocagne pour les sociétés de conseil en organisation et en finances les plus réputées et les plus coûteuses du monde.
La plus récemment enrôlée est la légendaire McKinsey & Company, qui a été chargée de fournir "un plan intégré ayant pour but de rendre l’organisation des moyens de communication du Saint-Siège plus fonctionnelle, plus efficace et plus moderne"» (/chiesa.espresso.repubblica.it)

Pour plus de détail, voir www.lesechos.fr .

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