Qu'apprend-on au séminaire?

Et quel genre de prêtre y forme-t-on? Le témoignage glaçant d'un jeune prêtre italien, fraîchement sorti du Séminaire, qui a écrit à AM Valli pour lui confier son expérience. (17/6/2019)

>>> Le même jeune prêtre lui a déjà écrit cette première lettre au début du mois: "Voici pourquoi le peuple ne se reconnaît plus dans ses pasteurs" (cf. Le peuple catholique et la hiérarchie).

Précision: j'ignore quelle est la situation en France, même si j'imagine sans peine qu'elle n'est guère mieux... et peut-être même pire, car il me semble que les ordinations sont chez nous à un niveau plus bas qu'en Italie - voire catastrophiques, dans certains diocèses.

Quel est le fruit de ces six années ?
Il n'y en a qu'un: créer un prêtre très fragile, plein de doutes et avec une grande confusion dans la tête et dans le cœur, car, à cause de cette formation fragmentaire et superficielle, il ne peut avoir une image sûre de la doctrine et de la morale chrétienne.

C'est ainsi que j[e n]'ai [pas] été formé


Aldo Maria Valli
17 juin 2019
Ma traduction

* * *

Le témoignage que je vous propose aujourd'hui est d'une importance exceptionnelle. L'auteur est le même jeune prêtre, encore tout frais émoulu du séminaire, qui m'a envoyé il y a quelques jours la lettre que j'ai intitulée Voilà pourquoi le peuple ne se reconnaît plus dans ses pasteurs.
Avec la même lucidité, le prêtre affronte aujourd'hui un thème crucial : la formation que l'on reçoit dans les séminaires.

Je vous invite à lire attentivement son témoignage, parce que le récit vous fait comprendre les raisons pour lesquelles notre Église nous apparaît souvent dans le désarroi, sans repères, à la merci de chaque vent de doctrine et avec un complexe perpétuel d'infériorité envers tout type de pensée non chrétienne et non catholique.

A la racine de la crise se trouve la manière, à bien des égards incroyable, dont les futurs prêtres sont formés.

AMV

Cher Aldo Maria, je vous écris à nouveau pour vous parler d'un sujet qui n'est jamais, ou presque jamais, abordé, mais je pense qu'il est important parce que c'est le bouillon de culture dont sortent toutes les absurdités, les bizarreries, les abus et les profanations que vous dénoncez sans relâche.
De quoi s'agit-il? Mais du séminaire! C'est là, en effet, que sont plantées ces graines qui produisent ensuite certaines mauvaises herbes.
Ce que je vais vous raconter, c'est une série d'épisodes que j'ai vécus à la première personne ou qui m'ont été racontés par des frères dispersés dans divers diocèses italiens.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais faire quelques considérations générales.

1 - Le modèle du prêtre diocésain
-----
Pour beaucoup d'entre nous, séminaristes, il est devenu clair que les formateurs n'ont pas la moindre idée du genre de prêtre qu'on veut former. C'est le cœur de tous les problèmes. On m'a même dit que dans le diocèse le plus important d'Italie centrale, les supérieurs ont appelé les séminaristes, admettant publiquement: «Nous ne savons pas quelle formation vous donner». Quelle aveu! Bien sûr, savoir que ceux à qui vous confiez votre vocation ont des idées aussi claires a dû être une vraie consolation et a dû remplir d'enthousiasme le cœur de ces séminaristes. Mieux vaut ne pas penser aux paroles de Jésus : «Quand un aveugle conduit un autre aveugle, tous deux tomberont dans un fossé» (Mt 15,14).

Mais d'où vient cette confusion? D'où vient cette perte de direction? Il me semble que tout part du refus de considérer le prêtre comme un homme qui a à voir avec le sacré, et ceci n'est pas un hasard, mais a une explication théologique précise. Le problème réside dans le courant théologique, dont les résultats sont bien visibles dans la liturgie et dans l'art sacré, selon lequel, puisqu'avant Jésus il y avait la distinction sacré-profane mais après l'Incarnation tout devient sacré, nous sommes en fait à la «fin du sacré». Traduit dans la pratique: si tout est sacré, rien ne l'est vraiment. Ceci explique la fin de la perception de l'église elle-même comme lieu sacré et pourquoi aujourd'hui nous entrons dans une église sans percevoir que nous entrons dans un espace qui est "autre" que ce qui est extérieur. C'est en vain que Benoît XVI nous a enseigné que, dans ce domaine aussi, Jésus «est venu accomplir les choses» et n'a donc pas détruit le sacré, mais l'a rendu parfait.

Quoi qu'il en soit, ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui les formateurs ne voient pas d'un bon œil la figure du prêtre en tant que tel, comme en témoigne la disparition du mot latin "sacerdote", remplacé par le mot grec "prêtre", et l'expression "ordination sacerdotale", remplacée par "ordination presbitérale". Comme pour dire: mais pour qui vous prenez-vous ? Tout au plus, vous n'êtes que le "président" de l'assemblée célébrante.

Vous comprenez bien comment cette vision affaiblit à sa racine l'identité profonde du futur prêtre et affaiblit sa tension vers la sainteté. Et dire que même l'oncle Ben de Spider-Man l'a compris: «D'un grand pouvoir dérivent de grandes responsabilités». Si devant lui il y a la très haute dimension de l'alter Christus (autre formule méprisée par les formateurs, même si cela reste un mystère que ce soit l'adjectif ou le nom qui les ennuie le plus), le prêtre va essayer de mener une vie qui y ressemble; si au contraire il ne peut aspirer qu'à la présidence d'une communauté, il suffit, après tout, de ne pas la scandaliser et tout va bien. Malheureusement, cependant, cela augmente la probabilité que le sacerdote (pardon, le prêtre) passe sa vie ordinaire dans la médiocrité et la tristesse, comme c'est le cas dans beaucoup de vies sacerdotales, devant lesquelles on ne peut s'empêcher de ressentir une grande tristesse. Je le dis de ma propre expérience, parce que dans les moments de plus grand effort pastoral, je me rends compte combien il est sain de se souvenir de la splendeur du sacerdoce.

2 - La vie de prière au séminaire
----
La vie au séminaire n'est pas vraiment pensée pour des prêtres, mais pour des communautés de laïcs engagés. Cela ne devrait pas nous surprendre: ce n'est que la conséquence du point 1. Ne pas avoir la moindre idée de ce qui est l'identité du prêtre conduit à ne pas calibrer le "dosage" de la prière et tout ce qui nourrit la vie intérieure et spirituelle.
J'ai toujours été frappé par un fait: les supérieurs regardent avec une authentique terreur tous les comportements du parcours séminaristique qui révèlent une certaine attirance pour ce qui est proprement sacerdotal, comme s'ils étaient synonyme de "fixation cléricale" ou fruit d'une personnalité problématique. Je donne un exemple banal: si un jeune passionné de football voyait son idole de loin, comment se comporterait-il? Il se précipiterait vers lui pour lui serrer la main, se faire autographier ou prendre une photo. Eh bien, avec Dieu, ce n'est pas ainsi. Si vous l'aimez et croyez que vous êtes appelés à le servir comme prêtre, vous ne devez rien faire qui aille dans ce sens «avant l'ordination»! Je m'explique: pouvez-vous croire qu'on devient prêtre sans avoir fait au préalable une "épreuve pratique" sur la manière dont la Sainte Messe est célébrée? Et pourtant c'est le cas! Au maximum un ou deux jours avant l'ordination, le directeur spirituel vous montrera une fois, et lentement comment on fait. Mais est-ce possible? Ce qui est le centre de la vie qui vous attend est traité comme une zone impénétrable. Et après, on s'étonne qu'il y ait des prêtres qui célèbrent mal, qui abusent de leur rôle et qui montrent qu'ils ne connaissent pas la liturgie! Par la force des choses, la liturgie pratique (et hélas aussi la liturgie théologique) dans les années du séminaire est un domaine qu'on ne peut pas fouler.
J'ouvre une parenthèse: quand je raconte des épisodes de ce genre aux laïcs, je remarque qu'ils restent sans voix, parce qu'ils ont l'idée (normale) que les prêtres sont préparés pour leurs tâches spécifiques (Messe, sacrements, processions, etc.). Ce n'est pas le cas, car au séminaire nous sommes traités comme des laïcs jusqu'au jour de l'ordination sacerdotale (l'année du diaconat est un temps de passage, où la seule chose qui change est que l'on commence à s'occuper de la prédication).

Cela dit, nous pouvons maintenant nous plonger dans ce qui est l'objet spécifique de mon témoignage, la qualité du processus de formation qui dure six ans (les deux premiers en philosophie et les quatre autres en théologie).

Que pouvons-nous dire? Je pense pouvoir confirmer en partie ce que Jean Guitton a dit un jour: «Dans les séminaires Freud, Marx et Luther ont remplacé Thomas, Ambroise et Augustin». Je dis en partie parce que si les grands auteurs catholiques continuent à ne pas être enseignés, et si Luther reste, les pauvres Freud et Marx ont perdu leur charme, remplacés par Heidegger, la pensée faible et l'inévitable Zygmunt Bauman.
En général (cela s'applique à tous les cours) j'ai remarqué un grand complexe d'infériorité des professeurs envers les cultures laïques, combiné à une certaine ignorance des auteurs qui devraient au contraire être des points de référence pour la formation chrétienne: en six ans je n'ai jamais entendu parler d'un docteur de l'Eglise (sinon en passant) ou d'un Rosmini, d'un Garrigou-Lagrange, d'un Fabro, d'un Del Noce, d'un Ratzinger, d'un Balthasar.

Passons maintenant aux anecdotes des différents cours.

>> Philosophie.
La partie accordée à la métaphysique est dérisoire. Dans beaucoup d'études théologiques, la première phrase que les étudiants ont entendue du professeur était plus ou moins la suivante: «Jeunes gens, nous commençons le cours de métaphysique, mais je vous dis tout de suite qu'elle est morte. Cependant, puisque l'Église nous dit que nous devons encore la faire, nous y voilà.» On peut imaginer la fascination que ce cours aura exercée et avec quelle véhémence les étudiants se seront plongés dans les grandes questions métaphysiques. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Église est un peu nécrophile, car elle aime enseigner des choses mortes qui n'ont rien à voir avec la vie. Entre autres choses, cette erreur est macroscopique si l'on pense que «ceux qui se trompent en philosophie, se trompent en théologie». Emblématique est le fait qu'à la fin du cursus, beaucoup choisissent de faire leur mémoire sur un évêque ou en tout cas de prendre le chemin de la biographie, alors que le cas des travaux strictement théologiques est très rare. En l'absence d'une bonne philosophie, la capacité de structurer une pensée théologique fait totalement défaut.

>> Mariologie.
Ma professeur, pendant tout le cours, n'a fait que critiquer la Sainte Vierge dans tous ses aspects divins. En outre, elle a même mis en doute la virginité de Marie par de subtiles allusions: «Vous savez,, Jésus avait des frères...». Et aucun dogme n'a jamais été expliqué et justifié du point de vue théologique, mais toujours et seulement du point de vue sociopolitique. Avec un résultat très curieux, par exemple, sur le dogme de l'Assomption: Pie XII l'aurait en effet établi parce que dans un monde déchiré par la Seconde Guerre mondiale, avec des corps déchirés par les bombes, il fallait rendre sa dignité au corps humain... Par pitié, c'était peut-être une cause lointaine mais, zut, très lointaine !

>> Introduction à l'histoire des religions.
Le professeur (très coté au niveau national dans le dialogue interreligieux) n'a fait que critiquer le catholicisme au détriment d'une exaltation franchement inconcevable de l'Islam et du judaïsme. Après des heures d'endurance, un jour, n'en pouvant plus, je lui ai dit: «En somme, professeur, disons-nous les choses franchement, il aurait bien mieux valu que Jésus ne soit jamais venu». Le professeur, après un moment de surprise, a levé les bras en soupirant, comme pour dire: «Oui, ça aurait été mieux». Et tout cela dans Cours de théologie catholique !!!!!

>> Introduction aux Saintes Écritures.
Le professeur nous enseigne que l'histoire de l'Ancien Testament n'est pas prouvée, mais qu'elle appartient au récit mythique par lequel les gens ont essayé de se donner un passé et une identité. Puis, quelques leçons plus tard, il saute sur Dominus Iesus, affirmant que c'était un document qu'il aurait mieux valu ne pas publier parce qu'il était "diviseur" en ce qu'il nie le salut parallèle pour les Juifs. J'ai posé cette question au professeur: «Excusez-moi, professeur, donc les Juifs seraient sauvés en obéissant à l'Ancien Testament, qui est en substance un conte de fées?» Silence de tombe. Panique. Parlons d'autre chose. Oui, ça vaut mieux.

>> Patrologie.
Le professeur a utilisé le cours pour dire du mal du Catéchisme (le nouveau et celui de Saint Pie X) et du Pape Benoît XVI. Les perles sont venues quand il a insisté sur le fait que le Concile avait aboli des mots tels que "péché", "rédemption", "salut". Nous lui avons ensuite rappelé tous les passages des documents du Concile dans lesquels ces mots figurent réellement, mais rien à faire: il a dit qu'ils avaient dû les mettre pour plaire aux conservateurs, mais que l'esprit du texte visait clairement à les surmonter.

>> Théologie du XXe siècle.
Le cours a été entièrement consacré aux théologiens protestants. Pas même un catholique, pas même un auteur de la 'Nouvelle Théologie' (en français dans le texte), pas même Rahner !

>> Mysticisme.
Le cours a été conduit sur deux monographies, Meister Eckhart et un évêque janséniste. Mais se peut-il que, tout au long de l'histoire de l'Église catholique, on n'ait pas réussi à proposer un auteur qui lui appartienne de façon claire?

>> Herméneutique biblique.
L'inerrance biblique [l'infaillibilité des Ecritures, ndt] concerne ce qui est utile à la foi, peu importe si ces paroles et actions de Jésus se sont réellement produites ou non (d'ailleurs, à l'époque de Jésus, il n'y avait pas de magnétophone, comme l'explique le chef des Jésuites).

>> Histoire de l'Église contemporaine.
Selon la ligne laïque, le cours a son moment magique où le professeur va jusqu'à dire que le modernisme n'a jamais existé, si ce n'est dans la tête de Pie X.

>> Christologie.
A un certain moment, le professeur dit que l'Eglise doit remercier le sioniste Jules Isaac, parce que c'est grâce à lui qu'il a compris comment lire la Lettre aux Romains et a donc pu s'ouvrir au dialogue avec le judaïsme. Bref, avant Isaac, l'Église ne savait pas lire saint Paul.

Je pourrais continuer pendant des pages et des pages, en parlant des omissions dans les enseignements moraux, du dénigrement du Magistère qui empêche le développement de la théologie, du Catéchisme vu en opposition à l'Esprit Saint qui continue à travailler dans l'Église, de la dérision de ceux qui, faisant de la théologie en obéissance au Magistère, sont considérés comme «des bigots qui font de la théologie avec le Denzinger». Sur tous ces aspects, je pourrais ironiser en paraphrasant les paroles de la conclusion de l'Évangile de saint Jean: «Il y a encore beaucoup d'autres choses accomplies par ces professeurs et, si elles étaient écrites une par une, je pense que le monde lui-même ne serait pas suffisant pour contenir les livres qui devraient être écrits» (allusion à Jean, 20:30: Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre).

Mais je ne peux que conclure en répondant à une dernière question: quel est le fruit de ces six années ?
Il n'y en a qu'un: créer un prêtre très fragile, plein de doutes et avec une grande confusion dans la tête et dans le cœur, parce que, à cause de cette formation fragmentaire et superficielle, il ne peut avoir une image sûre de la doctrine et de la morale chrétienne.
Après avoir retracé, même si c'est en termes généraux, l'expérience formative, je crois que les raisons profondes des crises sacerdotales sont plus claires, tout comme les raisons pour lesquelles un évêque sait un jour vous donner la joie dans son enseignement et le lendemain vous fait plonger dans le découragement. C'est le résultat d'une formation désarticulée et incomplète, que même les évêques, tout comme nous, ont reçue au fil des années, parce que nous sommes tous des fils de la période post-conciliaire.
Il est donc urgent de redécouvrir les colonnes de la foi et de la culture catholiques, pour retrouver la raison de l'espérance de notre Credo et de la beauté de faire partie de l'Église du Christ, car «une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n'est pas pleinement acceptée, pas entièrement pensée et pas fidèlement vécue» (Saint Jean Paul II).
Comment un prêtre peut-il en effet fonder toute sa vie sur le Christ s'il apprend que la résurrection n'est pas un fait historique mais un fait méta-historique, instillant ainsi la semence du doute précisément en ce qui concerne l'événement cardinal sur lequel repose toute notre foi? En effet, «si le Christ n'est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine et votre foi aussi (...) Si nous avons espéré le Christ seulement pour cette vie, nous sommes les plus misérables de tous les hommes» (1 Co 15, 19).

Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.