Soixante-huit: de la doctrine à la pastorale

... ou la révolution théologique dans l'Eglise. Analyse de Stefano Fontana (9/2/2019)

La révolution théologique de 1968, une révolution persuasive et quotidienne


Stefano Fontana
www.lanuovabq.it
8 février 2019
Ma traductio

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Soixante-huit fut aussi une révolution pour la théologie, avec la pastorale comme nouveau dogme et les irrégularités pastorales comme nouvelles hérésies. Une rupture radicale, devenue ensuite "progressisme catholique": une révolution non plus explosive mais quotidienne, passée d'exceptionnelle à normale, d'agressive à persuasive.


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Soixante-huit, comme événement, pas comme année, a été une révolution ou, si l'on veut, l'accomplissement d'une révolution commencée avant et qui a mûri dans les années soixante du siècle dernier. Cela vaut aussi pour la théologie, Soixante-huit fut une révolution théologique : en particulier dans la période de deux ans 68-69 les maisons d'édition catholiques ont suicidé la théologie au moyen d'une véritable "bombe" éditoriale, publiant en raffales les nouveautés les plus hasardeuses et les plus novatrices. Au cours de cette décennie, on a célébré une véritable lutte entre deux approches théologiques rivales et des deux, c'est celle qui conduit aujourd'hui à la "conversion pastorale" qui a gagné. La révolution n'est pas terminée, elle a seulement été absorbée et est devenue sobre quotidienneté.

Avec le discours d'ouverture de Vatican II, Gaudet Mater Ecclesia, Jean XXIII a conduit l'Eglise vers le "choix pastoral". Laissons de côté ici le problème de savoir dans quelle mesure il était clair que le "choix pastoral" ne pouvait le rester sans se transformer en "conversion pastorale"; ce qui est certain, c'est que la transformation a eu lieu. Il y a une différence fondamentale entre les deux. Le choix pastoral est basé sur une théologie de la pastorale, la conversion pastorale implique une théologie pastorale. La présence ou non de la préposition "de" fait la différence.

Dans le premier cas, la priorité de la doctrine sur la pastorale reste garantie. Les "défis pastoraux" eux-mêmes, comme on disait alors et comme on dit encore, impliquaient que de la doctrine puissent dériver de nouvelles attitudes pastorales capables d'y faire face. Personne ne soutenait que pour faire face aux nouveaux défis, il fallait changer la doctrine mais, précisément, faire de nouveaux choix pastoraux. C'est pourquoi on considérait qu'une théologie de la pastorale suffisait. Dans le second cas, c'est-à-dire dans la "conversion pastorale", la doctrine est désormais devenue pastorale, et la pastorale, doctrine. D'emblée, une relation de parité s'est établie entre les deux, mais il était inévitable qu'on en vienne très vite à la priorité de la pastorale sur la doctrine. Pendant des décennies, toute la théologie conciliaire a poussé dans cette direction, les Papes ont essayé de freiner, mais à la fin, c'est-à-dire aujourd'hui, la transformation du choix pastoral en conversion pastorale est presque accomplie. Du reste, le mot conversion est révolutionnaire, il renverse le schéma plus qu'il ne l'adapte et exprime mieux la logique révolutionnaire de Soixante-huit.

Nous sommes donc aujourd'hui en plein dans un climat de "conversion pastorale", désormais bien au-delà du "choix pastoral" auquel peut-être personne n'a jamais vraiment cru. Des documents doctrinaux, on n'en publie plus et les principales "excommunications", sous forme de mépris ou d'isolement, sont prononcées pour des raisons pastorales. La pastorale est la nouvelles dogmatique et les irrégularité pastorales sont les nouvelles hérésies. Ceci a produit la révolution théologique des années soixante, qui a idans l'immédiat présenté un visage ouvertement révolutionnaire de déchirement radical et de contestation violente, mais qui est ensuite devenue plus discrètement "progressisme catholique", c'est-à-dire révolution non plus explosive mais quotidienne, passée d'exceptionnelle à normale, d'agressive à persuasive. À un certain stade, toutes les révolutions se stabilisent et c'est alors qu'elles produisent les pires dégâts.

L' "outil" avec lequel la révolution théologique des années Soixante a ouvert le coffre-fort de la théologie catholique, et l'a transformée, est en réalité une chose très simple: nier que l'homme puisse avoir accès à la vérité indépendamment de sa propre position historique dans une situation donnée (le célèbre 'Sitz im Leben' [littéralement «situation dans la vie», cf. fr.wikipedia.org] de la théologie soixante-huitarde). Ce fut suffisant pour faire de la théologie catholique une nouvelle théologie. Depuis lors, il est devenu conforme au canon que la compréhension que l'Église a de la révélation n'est pas une connaissance, mais une interprétation. (...) La pastorale étant le contact vital avec la situation, elle conditionne la doctrine et rend impossible une théologie valide en permanence. Au début, on pensa qu'entre les deux, il y avait une sorte de circularité, qu'elles s'éclairaient mutuellement et qu'il s'agissait de trouver de nouvelles expressions pour rendre la doctrine de toujours, mais peu à peu, on a glissé vers la primauté de la pastorale, parce que la manière historique de formuler la doctrine de toujours devint partie intégrante de la doctrine, qui n'était donc plus de toujours.

Il y a quelque chose qui précède la vérité et la conditionne de manière substantielle. Nous sommes tous dans un bouillon historique très complexe dont nous ne parvenons pas à émerger, faire des évaluations est hasardeux, nous sommes dans l'ignorance de vérités certaines, le peu que nous savons change continuellement précisément parce que par rapport à la situation changeante, les besoins nous conditionnent : fixer une doctrine est présomptueux, prétentieux et idéologique. Comme l'écrivait Walter Kasper dans les années 60: «... La conversion pastorale signifie reconnaître que la foi n'est pas un "rester", mais un "devenir", pas un "contempler" mais un "faire" [ndt: j'ai conservé dans la traduction la forme grammaticale dite subtantivation, qui consiste à transformer un verbe à l'infinitif en substantif, dont l'allemand, et à un moindre niveau l'italien, font volontiers usage]

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