Un Pape altermondialiste

Ce n'est pas nouveau, mais c'est ce qui ressort de nombreux actes, discours, initiatives (la dernière en date est la convocation à Assise d'une rencontre des jeunes économistes) et tapis rouges déroulés aux leaders d'extrême-gauche. Une attitude qui n'a qu'un très lointain rapport avec l'évangile. Article de Riccardo Cascioli (20/5/2019)


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
20 mai 2019
Ma traduction

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De l'organisation des rencontres mondiales des "mouvements populaires" à la convocation de la rencontre mondiale des jeunes économistes: le pape François tisse un réseau mondial pour construire une nouvelle pensée économique qui dépasse le capitalisme et libère les pauvres.


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Ce n'est pas uniquement une curieuse coïncidence si le raid du «cardinal électricien» Konrad Krajewski, qui a rétabli l'électricité dans un immeuble occupé illégalement dans le centre de Rome, a eu lieu au lendemain de la convocation d'une rencontre mondiale des jeunes économistes et entrepreneurs à Assise, du 26 au 28 mars 2020. Ces deux événements s'inscrivent dans une stratégie économique que le pape François élabore depuis son entrée en fonction au Vatican. De sorte que le titre de la rencontre d'Assise, «L'Économie de François» se réfère davantage au pape régnant qu'au saint d'Assise.

Bergoglio a fait comprendre dès le début que l'intérêt pour les pauvres, leur libération, il ne l'entend pas dans un sens spirituel mais dans un sens économique et politique. Il suffirait de comparer le formalisme et, parfois, le manque d'entrain avec lesquels, ces dernières années, il a rencontré les mouvements ecclésiaux, et l'enthousiasme avec lequel il a au contraire pensé et voulu au Vatican la rencontre mondiale des «mouvements populaires» sur le thème «Terre, maison, travail». «Vous avez les pieds dans la boue et les mains dans la chair. Vous sentez les quartiers, le peuple, la lutte! Nous voulons que votre voix soit entendue», a-t-il déclaré lors de la première rencontre en octobre 2014 (w2.vatican.va), s'adressant à ceux qui «vivent l'inégalité et l'exclusion dans leur chair». Il s'agissait principalement de mouvements latino-américains (mais aussi du Centre social milanais Leoncavallo), très peu catholiques, mais tous engagés pour la 'justice sociale'.

L'année suivante, la rencontre, toujours en présence du Pape, s'est répétée en Bolivie, organisée conjointement par le Vatican et le Président bolivien Evo Morales, leader syndicaliste et indigène auquel le Pape a manifesté une grande amitié. Morales fait partie de cette ligue des présidents sud-américains qui promeuvent le «socialisme du XXIe siècle», créée par l'ex-président vénézuélien Hugo Chavez. Curieuse contraction que celle de considérer ces mouvements, ainsi qu'il l'a dit en Bolivie, comme l'expression de «la nécessité urgente de revitaliser nos démocraties», tout en soutenant des présidents et des gouvernements autocratiques qui ont limité la démocratie et augmenté la pauvreté.
Et lors de la troisième rencontre mondiale des «mouvements populaires», toujours au Vatican en novembre 2016, le pape François soulignait un autre aspect de sa «doctrine économique»: «Il y a un terrorisme de base qui dérive du contrôle global de l'argent sur terre et qui menace l'humanité entière». De là dériveraient tous les autres terrorismes, car «aucun peuple, aucune religion n'est terroriste».

Le problème pour le pape François, c'est l'argent, donc le profit mis à la première place sur l'échelle des valeurs qui, selon lui, serait l'essence même du capitalisme, «cette économie qui tue», phrase qu'il aime à répéter souvent, au point d'avoir donné son titre à l'un de ses livres qui rassemble ses interventions sur le sujet.

D'où le travail pour construire une nouvelle pensée économique. Ces dernières années, il a profité de sa position de Pape pour donner une grande impulsion à sa création de l'époque où il était archevêque de Buenos Aires, autrement dit les "Scholas Occurrentes", écoles pour la rencontre (ndt: cf. Sandro Magister "La révolution pédagogique du Pape François", et ausssi benoit-et-moi.fr/2016, "Les bonnes oeuvres de François"). Né de l'idée de deux laïcs, José Maria del Corral et Enrique Palmeiro, «Scholas - a expliqué François -... est né en formant un réseau d'"escuelas de vecinos", des écoles de quartier, pour construire des ponts entre les écoles de Buenos Aires. Et il a construit beaucoup de ponts, et même, aujourd'hui, des ponts transocéaniques».

Ici aussi, rien à voir avec le réseau des écoles catholiques; les mots d'ordre sont rencontre, dialogue, ponts: «Nous sommes convaincus - a expliqué le Pape François - que les jeunes ont besoin de communiquer entre eux, de montrer leurs valeurs et de partager leurs valeurs. Les jeunes d'aujourd'hui ont besoin de trois piliers fondamentaux: instruction, sport et culture». En 2015, le Pape les a élevés au rang de «fondation pieuse» de droit pontifical et, entre-temps, ils sont devenus plus de 400 mille répartis dans 80 pays. Et nombreuses sont les initiatives de promotion, avec l'appel à des acteurs et des sportifs célèbres, que le Pape a parrainées directement au cours de ces années.

Et aujourd'hui, ces écoles sont placées au centre du projet économique du Pape François. L'annonce de la rencontre mondiale des jeunes économistes à Assise est en effet intervenue à l'occasion de la rencontre au Vatican entre le Pape, les dirigeants de Scholas Occurrentes et deux économistes de renommée mondiale comme Joseph Stiglitz, ex-économiste en chef à la Banque mondiale et prix Nobel en 2001, et Robert Johnson, président de l'Institute for New Economic Thinking et élève de George Soros ainsi que de Stiglitz. Ce dernier a justement centré ses études sur les inégalités, qui augmenteraient dans un monde où l'écart entre quelques super-riches et la majorité de la population se creuse. Au vu de ces prémisses, il était naturel qu'à un certain point Stiglitz et le Pape François se rencontrent, et peu importe si la «nouvelle pensée économique» à laquelle se consacre Johnson peut avoir des liens avec le projet de «société ouverte» de Soros.

En tout cas, l'objectif de cette synergie est de donner une impulsion au niveau mondial à une «économie sociale de marché» qui «regarde vers l'avenir avec la voix des plus jeunes», comme l'affirme le communiqué publié à l'issue de la rencontre. «Nous devons essayer de développer des programmes et des études autour du concept d'économie circulaire, qui contribuent à une éducation consciente de la durabilité environnementale, laquelle exige de rendre à l'environnement ce qui lui est enlevé». Bref, ce sont les mots d'ordre habituels de la mondialisation contemporaine, même si elle se présente comme une critique de la mondialisation.

Qu'est-ce que saint François a à voir avec tout cela, puisque ce n'est pas par hasard qu'Assise a été choisie comme lieu de rencontre? Symboliquement, on peut penser à l'attention aux pauvres, mais l'économie médiévale - dont plusieurs franciscains ont été protagonistes - est bien plus que cela. Il y a même de nombreuses études qui trouvent dans cette période et dans le concept de propriété privée et de responsabilité personnelle, élaboré par les économistes catholiques de l'époque, les racines du capitalisme. Ironie de l'histoire

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