Vatican vs Infovaticana

Suite du feuilleton impliquant un portail espagnol catholique conservateur contre lequel le Saint-Siège a entamé des poursuites judiciaires (11/3/2018)

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La miséricorde a encore frappé

Andrea Zambrano, sur la Bussola, nous en dit un peu plus....

L'ancien logo

Le Vatican en guerre contre un site dérangeant


Andrea Zambrano
10 mars 2018
lanuovabq.it
Ma traduction

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Fermer la bouche à un journaliste non-aligné. Le Secrétariat d'Etat du Saint-Siège engage un prestigieux cabinet d'avocats proche des idéologies Lgbt pour bâillonner le journaliste espagnol Gabriel Ariza d'Infovaticana. L'excuse? «Le nom du site crée une concurrence déloyale». Lui affirme: «C'est une menace, parce que le Vatican n'est pas une entreprise qui vend des produits».

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«Vous ne savez pas dans quel pétrin vous vous êtes mis. Je vais mettre à vos trousses les meilleurs avocats de la ville». C'est la phrase classique que le puissant de service utilisent pour intimider le journaliste intègre qui ne veut pas se plier à certaines logiques. Un topos que l'on vit souvent dans le monde du journalisme. Mais cette fois, le protagoniste est la Secrétairerie d'Etat du Vatican, qui a décidé de déclarer la guerre à un site d'information jugé dérangeant. Le site est espagnol et s'appelle Infovaticana et depuis quelques mois, il fait face à une bataille judiciaire coûteuse sur l'utilisation du logo et de l'en-tête, qui, selon le Vatican violent les lois de la concurrence.

Son fondateur est le journaliste Gabriel Ariza, qui retourne à l'expéditeur les accusations et la demande de fermeture du domaine, ce qui pour un journal signifie en substance la fin de la liberté d'expression. Ariza dit qu'il ne manifeste aucune crainte, même pas en tenant compte du fait que pour la cause, le Vatican a fait appel au cabinet d'avocats le plus coté au monde: l'américain Baker & McKenzie, une multinationale dont le seul nom fait peur et qui depuis sept ans occupe la plus haute marche du podium dans le classement spécial des emplois les plus gay friendly. Rien d'étrange, si ce n'était qu'avec tous les avocats qu'il y a à Rome, le Vatican a choisi justement celui-là. Mais le professionnalisme, comme on le sait, se paie.

Voilà l'histoire: jusqu'à il y a quelque temps, le portail Infovaticana mettait en en-tête les clés, symbole du munus petrinien, mais après les sollicitations du cabinet américain, Ariza a décidé de les remplacer par une plume de stylo-plume. Curieux, parce que si vous la regardez, on croit voir en réalité une stylisation de la mitre, qui est aussi un symbole épiscopal.


Mais ce n'est pas tout.

En fait, il n'y a pas que le logo qui intéresse le Vatican, mais il y a aussi le nom du site lui-même. Lequel se nomme Infovaticana précisément parce qu'il traite de l'information sur ce qui se passe au Vatican, autrement dit, au sens large, dans l'Église. Il traite donc de l'information religieuse, comme tant de sites dans le monde, qui n'ont certainement pas besoin de demander la permission du Saint-Siège pour exercer leur droit. Mais cette fois, la Secrétairerie d'État a décidé d'aller jusqu'au bout.

L'accusation, dans un festival de documents timbrés et d'avertissements légaux, est la suivante: en s'appelant Infovaticana, il pourrait induire en erreur le lecteur, lui laissant croire que c'est un site officiel d'information de l'institution vaticane. «Concurrence déloyale», donc, “competencia disleal”. Tel est le cœur de la plainte consistante que le cabinet d'avocats a déposée auprès des autorités espagnoles.

La nouvelle a été donnée par Ariza en personne et a rebondi en quelques heures même en Italie, sur les blogs et les journaux. Il Messagero, par exemple, n'hésite pas à qualifier le portail d'information de «gênant» pour le Vatican, suggérant ainsi que nous sommes confrontés au classique «vous ne savez pas pas qui je suis» cité au début de l'article. Pas vraiment une belle carte de visite pour l'Eglise qui prêche ces temps-ci la parrhesia et la miséricorde.

En fait, tandis qu'Ariza résiste et se dit prêt à poursuivre dans ce qui est une lutte pour la liberté d'expression, arrive la vraie raison de la demande de fermeture du site: c'est une plainte présentée par le Cardinal Archevêque Métropolitain de Madrid Carlos Osoro Sierra à la nonciature, dans laquelle il dénonce que le site est en réalité souvent trop critique. Bref, ce n'est pas la meilleure stratégie pour fermer la bouche: utiliser une question de nom, pour justifier la censure d'un site dérangeant.

Un coup à donner à Ariza le prix Pulitzer d'office. Mais nous pouvons voir que les stratégies d'Oltretevere suivent d'autres logiques.

Avec ses avocats, Ariza, quant à lui, répond coup pour coup et dit qu'il n'a nullement l'intention de céder à ce qui constitue en fait des menaces à part entière. «Avant tout - explique le journaliste espagnol à la Bussola - parce que le Vatican veut seulement m'intimider, ils savent très bien qu'ils n'ont aucune possibilité légale, mais il utilisent la menace. Je suis plus que tranquille».

Et puis, ce qui plaide le plus en faveur d'Ariza, c'est la disproportion des parties: d'un côté, l'institution divine bimillénaire, le pouvoir encore en activité le plus ancien de l'histoire de l'humanité et, de l'autre, un petit site web. Certains, en commentant la nouvelle, n'ont pas hésité à déranger David et Goliath, avec l'Église dans le rôle du «méchant» géant .

Selon le journaliste, donc, «ils nous attaquent parce que nous dérangeons la hiérarchie espagnole, qui se protège ainsi avec les offices juridiques du Vatican: nous avons publié la nouvelle que le Cardinal Archevêque de Madrid ne possède pas les quatre diplômes qu'il vante sur son curriculum vitae (Philosophie, Théologie, Pédagogie et Mathématiques) et ceci ne nous est pas pardonné. De même, nous avons dénoncé le fait que les évêques ont confié un service de restauration coûteux au frère du Secrétaire général de la Conférence épiscopale espagnole, et cela n'a pas plu.

À cause de ce journalisme d'assaut, qu'on aurait autrefois qualifié de "non conventionnel", Infovaticana s'est donc attiré les foudres de quelque petit monsieur de sacristie et la chose est arrivée Oltretevere. Ou du moins, c'est la reconstruction d'une des parties concernées.

L'autre, par contre, fait parler les papiers timbrés. Mais aussi sur le fond de la demande, selon les avocats d'Ariza, il n'y a pas de motifs: «Ils m'accusent de concurrence déloyale? Donc, l'Église se considère comme une entreprise comme une autre? Quels produits vendrait-elle»? En substance, la ligne défensive d'Ariza se met sur le terrain du cabinet d'avocats pour contester à sa racine le concept de concurrence déloyale pour une institution qui existe non pas pour affirmer ses produits selon des logiques commerciales ou productives. La bataille juridique portera donc sur cet aspect. En Espagne aussi, comme dans les démocraties modernes, les politiques de concurrence sont régies par la loi et lorsque celles-ci sont déloyales, cela doit être déduit de faits précis. Mais il s'agit de toute façon toujours d'un contexte économique et financier sans rapport avec le "core business" de l'Église, qui n'est pas de faire des profits économiques en diffusant l'Évangile du Christ.

D'autant plus que le domaine d'Infovaticana est correctement enregistré auprès de l'autorité espagnoles qu'Ariza en est propriétaire et éventuellement, puisqu'il fait appel à des leviers appartenant au monde économique, le Vatican pourrait plutôt proposer un accord économique en achetant le domaine. Une hypothèse qui ne semble envisageable pour aucune des parties. Avant tout parce que ce faisant, l'idée passerait que le Vatican a acheté le silence d'un journaliste non apprécié et la chose serait pour le Saint-Siège un dommage d'image; mais aussi inapropriée pour Ariza, qui n'a pas l'intention de se laisser mettre le bâillon: «Je travaille à Infovaticana dans mon temps libre et en utilisant mes économies - poursuit-il. J'ai mon propre travail: je suis directeur financier d'une société qui n'a rien à voir avec le Vatican. En plus, j» suis aussi avocat. Comme pour dire: même si le Vatican a trouvé le cabinet d'avocats le plus musclé de la planète, Ariza n'a pas l'intention de céder un millimètre sur ce qu'il croit être ses droits parce que «je ne veux pas faire de l'argent avec cette activité, mais c'est le service que je veux rendre à l'Église, comme son fils et comme baptisé. Infovaticana est mon discernement, qui peut me juger?».

Raisonnement qui ne fait pas un pli. Joint à une autre plus logique: «Ce serait comme si le maire de New York prétendait faire fermer le New York Times ou si l'Etat italien s'opposait à la publication du quotidien La Repubblica».

D'autant plus que, puisqu'il est fait appel à l'étymologie, nous sommes ici confrontés à Infovaticana et "vaticana" n'est pas le substantif, ce qui indiquerait éventuellement de manière plus précise un toponyme pour une information provenant du Vatican, mais se réfère aux choses inhérentes au Vatican. La différence entre le nom et l'adjectif utilisé pourrait être décisive pour qu'Ariza l'emporte sur le Saint-Siège.

Un commentaire de Carlota


Une remarque intéressante sur le nom même de Vatican que je lis ici faite par des observateurs de la vie romaine et qui écrivent régulièrement justement sur le blog InfoVaticana en signant "Specola".

C’est très, mais vraiment très étrange qu’une nouvelle qui concerne l’information religieuse en Espagne soit une nouvelle dans tous les médias en Italie. En outre cette nouvelle concerne notre page INFOVATICANA. Depuis des mois, il y a la bataille de ce petit David contre le colosse Goliath. Le fait que cette attaque vaticane soit commentée avec beaucoup de surprise est déjà une victoire.
Le problème posé semble être l’utilisation du mot “vatican”. Le terme, aujourd’hui tellement en relation avec le lieu où vit le pape, est d’origine païenne. Avant que l’Église Catholique existe, la fameuse colline romaine s’appelait déjà "vaticane", l’image ci-dessus est une gravure du cirque de Caligula établi sur cette colline.
Quand on a créé l’État de la Cité du Vatican en 1929, c’était la première fois dans l’histoire que le nom de la colline servait pour identifier le lieu de résidence du souverain pontife, un lieu qui jusqu’alors était la ville de Rome et le palais du Quirinal. Les États Pontificaux étaient les états pontificaux et pas les états du Vatican ou du Quirinal. Pour compliquer encore plus les choses, le nom du Vatican est le nom d’un très bel endroit de Calabre qui se nomme le Cap vatican (Cabo vaticano) et qui n’a jamais rien eu à voir avec le souverain pontife et ses états sinon plutôt avec le royaume d’Aragon.
S’approprier le nom géographique n'a aucun sens. Le Pape François est l’évêque de Rome, et la seule chose qu’indique l’utilisation du mot Rome, c’est le lieu où se trouve l’État-cité. Si un évêché s’approprie le nom de la ville de résidence de l’évêque il n’y a jusqu’à présent aucun délit pénal. Si un poète chante les vertus du vin de Rioja nous ne pensons pas que les gens de cette région vont y voir offense et que son gouvernement va commencer une lutte sans merci. Par simple bon sens, personne ne demande la permission au Vatican pour que la rue qui se trouve à côté s’appelle Viale Vaticano et les habitants et les magasins utilisent jusqu’à présent le nom sans aucun problème. Nous ne comprenons pas où l’on veut en venir avec cet absurde “lío” (ndt gardons ce mot si cher au Pape François au début de son pontificat) qui ne fait rien d’autre que de retirer de l’argent, et pas peu, aux fidèles, pour des batailles perdues même si elles peuvent être gagnées.

Alors, courage aux responsables d’INFOVATICANA et qu’ils pensent que l’histoire n’est jamais écrite à l’avance et que David est parfois plus débrouillard que Goliath.

SPECOLA

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