Vigano écrit aux évêques américains

Son message, bref et digne, leur est parvenu alors qu'ils étaient réunis à Baltimore pour leur Assemmblée annuelle. Presque en même temps que "l'oukase papal bloquant leurs initiatives anti abus" (14/11/2018)

>>> Dossier: Le rapport Vigano

 

LE MESSAGE DE MGR VIGANO

Chers frères évêques des États-Unis,

Je vous écris pour vous rappeler le mandat sacré qui vous a été donné le jour de votre ordination épiscopale : conduire le troupeau au Christ. Méditez sur "Proverbes 9:10": La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse! Ne vous comportez pas comme des brebis effrayées, mais comme des bergers courageux. N'ayez pas peur de vous lever et de faire ce qui est juste pour les victimes, pour les fidèles et pour votre propre salut. Le Seigneur rendra à chacun de nous selon nos actions et nos omissions.

Je jeûne et je prie pour vous.

Arch. Carlo Maria Viganò
Votre ancien Nonce apostolique

Les évêques américains sont réunis ces jours-ci à Baltimore pour l'Assemblée annuelle de la Conférence épiscopale américaine. Ils devaient y discuter des réponses à apporter aux scandales des abus sexuels du clergé, qui ébranle en ce moment les fondements mêmes de l'Eglise aux Etats-Unis, et avaient prévu un plan d'urgence, incluant un "code de conduite pour les évêques". Mais une lettre de la Congrégation des Evêques, reçue la veille par le président de la CE, est venu leur administrer une douche froide, leur enjoigant de ne prendre aucune décision avant la rencontre des évêques du monde entier, prévue en février prochain pour discuter de la question.
Un compte-rendu (en apparence purement factuel) de la rencontre est fourni par le Washington Post du 12 novembre, dans le style "pauvre" mais efficace, caractéristique des journalistes américains: il me semble opportun (on ne pourra pas me soupçonner de préjugés!) d'en prendre connaissance en premier:

WASHINGTON POST


(Washington Post, 12 novembre, ma traduction)

Le Vatican demande aux évêques américains de ne pas voter sur les propositions visant à lutter contre les abus sexuels, et rejette les laïcs et les enquêtes civiles.
Lors de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis, on a annoncé que le Vatican avait demandé aux évêques de retarder un vote sur les scandales d'abus sexuels. (Reuters)

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BALTIMORE - Lundi matin, Le Vatican a mis son veto à un plan des dirigeants catholiques américains pour faire face aux abus sexuels, insistant, dans une directive surprise, pour que les évêques américains diffèrentent leurs efforts pour rendre les évêques plus responsables dans les cas d'abus qui ont frappé l'Église.
Les évêques présents à l'assemblée annuelle de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis ont exprimé un mélange de déception, d'acceptation et de frustration face aux nouvelles de Rome, tandis que les défenseurs des victimes, furieux, accusaient les dirigeants de l'Église d'entraver les réformes.
«Ce que nous voyons ici, c'est que le Vatican essaie une fois de plus d'effacer les progrès, même modestes, des évêques américains», a dit Anne Barrett Doyle, co-directrice de BishopAccountability.org, qui compile des données sur les abus du clergé dans l'Église. «Nous voyons où se situe le problème, il est au Vatican».

Lundi, après un temps de prière, et dans une démarche inhabituelle pour exprimer leur empathie envers les survivants, les évêques représentant les 196 archidiocèses et diocèses du pays ont consacré leur agenda presque exclusivement à la crise naissante. Ils avaient prévu de voter mercredi sur un code de conduite, les premières directives éthiques de ce type pour les évêques sur les questions d'abus sexuels, et d'établir une commission laïque en mesure d'enquêter sur l'inconduite des évêques.
A la place, le cardinal Daniel DiNardo, président de la Conférence épiscopale des États-Unis, a déclaré à l'assemblée que la Congrégation pour les évêques du Vatican avait demandé aux évêques de ne pas agir avant la réunion mondiale des dirigeants de l'Église, en février.
«Sur l'insistance du Saint-Siège, nous ne voterons pas sur les deux articles abordant les actions», a dit DiNardo, ajoutant qu'il était «déçu» par la décision du Vatican.
Quelques instants plus tard, dans ce qui semblait être une référence oblique à la proposition des évêques d'une commission laïque et au nombre croissant d'enquêtes fédérales et d'États américains sur l'Église catholique, l'ambassadeur du Vatican aux États-Unis (le Nonce) a averti les évêques de ne pas compter sur des enquêtes extérieures.
«Certains pourraient être tentés d'abandonner la responsabilité de la réforme à d'autres, comme si nous n'étions plus capables de nous réformer ou de nous faire confiance», a déclaré Mgr Christophe Pierre, un évêque français envoyé par le pape François à Washington en 2016. «L'aide est à la fois bienvenue et nécessaire, et la collaboration avec les laïcs est certainement essentielle. Cependant, c'est nous, en tant qu'évêques, qui avons la responsabilité de cette Église catholique».
Pierre a cité un auteur français qui disait que «quiconque prétend réformer l'Eglise avec les mêmes moyens que ceux pour réformer la société temporelle» échouera.

On ne sait pas très bien ce que la réunion de trois jours permettra éventuellement d'accomplir au sujet des abus. Selon certains leaders les évêques passeront encore mardi et mercredi à débattre et à peaufiner leurs propositions, comme prévu.
Le cardinal Blase Cupich de Chicago a très vite proposé une alternative à la demande du Vatican de ne pas voter. Il a suggéré un vote non contraignant [donc pour rien!) à cette session, suivi d'une réunion supplémentaire de tous les évêques le plus tôt possible, en mars - après la réunion mondiale de François - pour voter officiellement.
Certains évêques ont déclaré qu'à elle seule la requête du Vatican porte atteinte aux efforts de la hiérarchie catholique américaine pour regagner la confiance des paroissiens, après la révélation qu'un dirigeant de l'église - l'ancien cardinal Theodore McCarrick - a harcelé sexuellement et agressé de multiples victimes, et après un rapport du grand jury en Pennsylvanie, qui a documenté des décennies d'abus par des centaines de prêtres.
«Ce genre de chose est un coup dur pour ce que nous essayons de surmonter ici aux États-Unis - la perception d'une hiérarchie qui ne réagit pas à la réalité de la tragédie», a dit Shawn McKnight, évêque de Jefferson City.
Il a ajouté que les évêques devraient pouvoir en appeler au peuple à leur sujet (i.e. au sujet des membres de la Curie romaine), ce qui serait un changement majeur dans une foi extrêmement hiérarchique.
«Je commence à me demander si nous ne devrions pas envisager une résolution où nous refuserions de participer à toute forme de camouflage de la part de nos supérieurs», a dit Mgr McKnight, qui est évêque depuis neuf mois. «C'est pour le bien de l'église. Nous devons respecter la Curie romaine, mais nous avons aussi une obligation envers notre peuple. Et nos prêtres».
D'autres évêques, dont Mgr Christopher Coyne, semblaient moins troublés par le retard imposé par le Vatican, laissant même entendre que ce serait peut-être mieux.
«Ma première réaction a été: "Oh Seigneur, ça ne va pas bien se passer", parce qu'ils verront ça comme de la politique», a dit Coyne, responsable du comité des communications de l'USCCB et seul évêque du Vermont qui avait exprimé son scepticisme la semaine dernière quant à la nécessité pour les évêques d'avoir un code de conduite. Aujourd'hui, il considère l'intervention de Rome comme un rappel que l'Église catholique «est une Église universelle».
«Nous, aux États-Unis, nous pouvons avoir une vision limitée de l'Église mondiale», a-t-il dit. «...Ce serait compliqué si nous nous nous présentions avec une politique et des procédures [différentes]».

Tout en répétant sa déception, DiNardo a lui aussi évoqué la nécessité de s'en remettre à Rome.
«Nous sommes évêques catholiques romains, en communion avec notre Saint-Père à Rome. Et il a autour de lui des gens qui sont ce que nous appelons des congrégations ou des bureaux, et nous sommes responsables envers eux, dans cette communion de foi», a dit DiNardo lors d'une conférence de presse en après-midi.
Dans son empressement à réagir à la crise qui a resurgi en juin, DiNardo a déclaré que les évêques américains ont informé le Vatican de leurs plans généraux pour leur rencontre de septembre et octobre. Mais ils n'ont pas présenté les documents précis - parmi lesquels le code de conduite pour les évêques - dont l'organisme devait discuter jusqu'au 30 octobre lors de cette rencontre, a-t-il dit. Dimanche soir, DiNardo a reçu la lettre de la Congrégation pour les Évêques, le puissant organisme du Vatican, qui, selon DiNardo, a également soulevé la question de savoir si les documents allaient à l'encontre de certains points importants du droit canon.
Il a précisé qu'il ne savait pas si le pape François lui-même avait émis l'ordre de reporter le vote.
Selon DiNardo, il est possible que les dirigeants du Vatican craignent que les évêques américains établissent leurs propres normes au lieu de travailler avec leurs homologues du monde entier lors de la réunion de février.
Après l'intervention du Nonce, lundi, DiNardo a déclaré que les évêques des États-Unis restent attachés à leurs propositions.
«Frère évêques, nous exempter de cette norme élevée de responsabilité est inacceptable et ne peut pas tenir», a-t-il dit. "La question de savoir si nous serons considérés comme les protecteurs de l'agresseur ou des agressés sera déterminée par nos actes».

Après quoi les évêques ont mis un terme au débat, pour leur journée de prière - qui devait précéder deux jours de débat et de vote sur des propositions concrètes - laissant les survivants abasourdis et les spécialistes de l'Église discuter de ce qui venait de se passer.
Becky Ianni, la responsable régionale du SNAP à Washington - le plus important groupe de défense des survivants - a dit qu'elle était frustrée par l'annonce surprise. «Nous sommes face [aux États-Unis] à la crise, ici même, maintenant», a-t-elle dit. «Oui, c'est un problème mondial, et ils doivent en discuter là-bas, mais les États-Unis doivent trouver quelque chose tout de suite».
Au cours de la journée de prière, deux survivants du clergé ont été invités à s'adresser aux évêques. Luis A. Torres Jr. leur a dit: «Le viol d'un enfant est ce qui se rapproche le plus d'un meurtre... Quand un enfant a été abusé, en particulier par quelqu'un en qui il a confiance, vous l'avez détruit».
Il a posé la question qu'il a dit avoir appris à poser à l'église: Que ferait Jésus? «Aurait-il appelé ses avocats et dénoncé les victimes? Ou aurait-il retourné les tables dans un accès de rage et déclaré que c'était intolérable dans la maison de son père?» Torres a ajouté: «Je vous demande d'agir, c'est ce qui est nécessaire en ce moment. Pas dans trois mois. Pas dans six mois. Maintenant.»

C'est donc dans un contexte de polémiques et de confusion qu'est arrivé le beau message de Mgr Vigano.

Voici le commentaire d'Aldo Maria Valli :

ALDO MARIA VALLI


(14 novembre, www.aldomariavalli.it , ma traduction)

(...) Signé «Archevêque Carlo Maria Viganò, votre ancien nonce apostolique», le message arrive à une conférence épiscopale en proie aux tensions et à la confusion après que le Saint-Siège ait expressément demandé de ne pas discuter des mesures contre les abus dans le clergé.

* * *


Un code de conduite pour les évêques et la création d'un groupe de personnalités laïques pour enquêter sur les accusations d'inconduite et de négligence. Tels ont les deux points sur lesquels les évêques auraient dû s'affronter et voter, après que le scandale des abus sexuels dans l'Église catholique des États-Unis ait explosé dans toute sa dramaticité à la suite des révélations sur la conduite de l'ancien cardinal McCarrick, de l'enquête du Grand jury de Pennsylvanie et de la démission du cardinal Wuerl, le successeur de McCarrick, archevêque de Washington. Face à une opinion publique qui réclamait des mesures concrètes pour faire face à la crise, les évêques s'étaient rendus à Baltimore avec la ferme intention de démontrer tout leur engagement, mais la demande du Vatican est venue comme une douche froide. C'est le président des évêques américains, le cardinal Daniel DiNardo, qui, à l'ouverture des travaux, a annoncé que Rome avait formulé une demande officielle: ne rien voter et attendre la rencontre en février prochain entre les chefs des conférences épiscopales du monde entier.

Dans le désarroi général, le seul qui a semblé peu surpris et qui a immédiatement défendu la décision de Rome est le cardinal Blase Cupich de Chicago, qui s'est empressé de déclarer: «Il est clair que le Saint-Siège prend la crise des abus au sérieux».

Le cardinal DiNardo a expliqué aux journalistes que la décision du Vatican a été communiquée la veille de la rencontre par une lettre de la Congrégation pour les évêques. Reste à savoir le pourquoi d'une communication si claire et de dernière minute, mortifiant de fait cet esprit de synodalité qui dernièrement semble tenir très à cœur au Saint-Siège, comme on peut le voir dans le document final du dernier synode, consacré aux jeunes.

Des sources de la Conférence épiscopale des Etats-Unis ont affirmé qu'avant la rencontre très attendue de Baltimore, la Conférence elle-même avait consulté Rome à propos des mesures à discuter en matère d'abus, et à l'occasion de ces consultations, le Vatican n'aurait émis aucune objection. Puis, à l'improviste, le diktat est arrivé.

Loin des micros, de nombreux évêques américains ne cachent pas leur déception, tant pour la substance de la mesure que de la façon dont elle a été communiquée. Sans compter que Rome avait déjà dit non à la demande, avancée par les évêques, d'une visite apostolique aux États-Unis à la suite du scandale McCarrick.

Hier, en attendant, deux victimes d'abus commis par des prêtres sont intervenues devant les évêques. L'un des deux témoins, Luis Torres, a demandé que des changements substantiels soient apportés à la politique et à la culture ecclésiales, pour mettre fin aux abus et aux phénomènes de coercition sexuelle: «Et cela - dit-il - doit être fait maintenant, pas dans trois mois, ni dans six mois, mais maintenant, immédiatement».

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