Vigano est un héros

En tournée de promotion en Italie pour la sortie de son livre "L'opzione Benedetto" (The Benedict Option), Rod Dreher répond aux questions de Il Giornale. Parmi de nombreux sujets, politiques et religieux (crise des abus, François, Donald Trump), il évoque aussi encore une fois la figure de Benoît XVI (17/10/2018)

 

L'ouvrage a été traduit en français en septembre 2017 sous le titre "Comment être chrétien dans un monde qui ne l'est plus: Le pari bénédictin" (cf. www.amazon.fr).

J'avais traduit ici (Benoît XVI est mon père spirituel) une partie de l'entretien d'AM Valli avec l'auteur.

Les États-Unis s'éloignent du pape: Rod Dreher révèle pourquoi


www.ilgiornale.it
Francesco Boezi
14 octobre 2018
Ma traduction

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Le pape François, Ratzinger, le scandale lié aux abus et à l'avenir du christianisme : tels sont les quatre thèmes abordés par Rod Dreher dans cette interview qu'il nous a accordée après la publication en italien du best-seller "The Benedict Option".

Rod Dreher tous azimuts, sur la situation vécue aujourd'hui par l'Eglise catholique et le christianisme: du Pape François au Pape Ratzinger, en passant par le "dossier Viganò". Pour le New York Times, l'écrivain américain est l'auteur du plus important livre à thème religieux de ces dix dernières années.


"L'Opzione Benedetto", récemment publiée en italien par les éditions saint Paul, est un texte qui conseille aux chrétiensune sorte de retrait stratégique d'un monde désormais incompatible avec leurs exigences. Mais Dreher, dans cette interview donnée à Il Giornale.it, s'attarde aussi sur ce qui se passe dans les institutions ecclésiastiques. Il convient de noter, comme prémisse, que l'écrivain en question a adhéré à la communion des Églises orthodoxes, comme on peut le lire dans la brève biographie reproduite sur son livre, après avoir été d'abord méthodiste, puis catholique.

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- Cher Rod Dreher, Mgr Gänswein, lors de la présentation de son livre à la Chambre des députés, a comparé le scandale des abus sexuels contre les enfants au 11 septembre [cf. Le 11 septembre de l'Eglise ]. Qu'en pensez-vous?

«Cela m'a beaucoup frappé. En partie parce que j'étais un journaliste de New York le 11 septembre 2001 et que j'étais debout sur le pont de Brooklyn en train d'observer l'effondrement de la première tour. C'était profondément traumatisant pour les New-Yorkais, mais aussi pour nous tous les Américains. L'attaque a détruit notre sentiment de sécurité. Nous pensions que notre pays était à l'abri de ce genre de choses, mais le 11 septembre (comme nous l'appelons) a révélé notre vulnérabilité. De même, la catastrophe du scandale des abus a détruit la vision de nombreux catholiques dans l'Église. Rien n'a été pareil depuis le 11 septembre ; rien ne devrait être pareil pour l'Église après ce scandale. Le pape François et les cardinaux qui l'entourent ne semblent pas prendre la crise suffisamment au sérieux. C'était réconfortant d'écouter un homme d'un tel niveau dans l'Église - je veux dire Mgr Gänswein -, reconnaître combien cette crise est terrible. Sa comparaison avec le 11 septembre a été choquante, mais elle a été corrigée et, malheureusement, 16 ans après le scandale de Boston, il fallait secouer la conscience au Vatican».

- Pouvez-vous expliquer ce que signifie "Option Benoît" ?

«C'est une référence au choix que selon moi tous les chrétiens authentiques devraient faire dans ce monde post-chrétien. Le "Benoît" est Saint Benoît de Norcia, qui s'est rendu à Rome pour achever sa formation après l'effondrement de l'Empire romain occidental. Benoît était tellement dégoûté par la corruption et l'immoralité qu'il a choisi de quitter la ville et de vivre dans une caverne. A la fin, il est sorti de la caverne et a fondé un mouvement monastique qui, dans les siècles suivants, reconstruisit une civilisation chrétienne en Europe. Je crois qu'aujourd'hui les fidèles chrétiens doivent reconnaître que les conditions dans ce monde post-chrétien sont telles que si nous continuons à vivre comme si c'était un temps normal, nous ne serons pas capables de transmettre la foi à nos enfants. Nous devons faire quelque chose de radical. Je ne pense pas que nous devrions tous déménager dans une grotte à Subiaco, bien sûr, mais nous devons tourner le dos au monde d'une manière significative, afin de tourner notre visage vers Dieu. Je ne crois pas qu'il existe un lieu "sûr" pour vivre la foi, pour échapper complètement aux défis de la vie dans le monde post-chrétien. Mais je crois que nous, laïcs, devrions explorer de nouvelles façons de vivre la foi dans la communauté. Nous ne le ferons pas si nous ne choisissons pas - la partie "option" [du titre] - de nous engager de manière consciemment contre-culturelle dans la vie chrétienne».

- Certains pensent que "Option Benoît" signifie "Option Ratzinger"...

«Eh bien, je veux dire saint Benoît, mais il est vrai que Benoît XVI est le deuxième Benoît de l'option Benoît. J'ai tellement appris de son enseignement au fil des ans. Ratzinger a dit en 1969, alors qu'il n'était qu'un simple prêtre, que l'Église traverserait une crise terrible, au point de perdre son pouvoir, sa richesse et son statut. Beaucoup tomberont dit-il, seuls resteront les vrais croyants. Mais ces vrais croyants, qui désirent le Christ plus que tout autre chose, resteront, seront un signe pour un monde solitaire et désespéré et seront les semences du renouveau. Je suis sûr que c'est le futur qui nous attend. La prophétie de Ratzinger me donne de l'espoir, mais pas de l'optimisme. En outre, il a dit que les chrétiens doivent être une "minorité créative" dans ce monde post-chrétien. J'essaie de l'encourager avec l'option Benoît».

- De votre point de vue, y a-t-il des différences entre le Pape François et le Pape Benoît XVI?

«Oui, de grandes différences. Benoît est intellectuellement sérieux, François ne l'est pas. Je n'entends pas cette supposition comme une insulte à François, qui est plus doué sur le plan pastoral que ne l'était l'érudit Benoît XVI. La plus grande différence que je vois, c'est que Benoît a un grand amour et un grand respect pour la tradition, mais François ne s'y intéresse pas du tout. Quelles que soient les faiblesses et les échecs de Benoît XVI, il a donné de la stabilité à l'Église. Sous François, on sent que l'Église vit un tremblement de terre qui ne montre aucun signe de s'arrêter. C'est un moment dangereux».

- Quelle route avez-vous indiqué dans le livre pour l'avenir du christianisme?

«Une route de perte et de souffrance. Il n'y a pas d'issue. Beaucoup de chrétiens américains ne veulent pas penser à l'option Benoît parce qu'ils ne peuvent imaginer la souffrance. Cela ne fait pas partie de notre christianisme, qui est devenu très bourgeois, très confortable. Tout sera enlevé. Bien qu'il ait été écrit pour les Américains, le livre "The Benedict Option" a été mieux compris par les catholiques européens, qui ont déjà commencé à vivre cette perte et cette souffrance. Il se peut qu'un jour nous soyons confrontés à de graves persécutions, je ne l'exclus pas, mais nous souffrirons sans aucun doute d'une marginalisation accrue. Et le plus grand défi sera de transmettre la foi à nos enfants. Très peu d'entre nous y sont préparés».

- Que dit-on aux États-Unis de la crise actuelle de l'Église catholique?

«Les catholiques américains sont furieux d'une façon que je n'ai jamais vue auparavant. En 2002, lorsque le scandale a commencé à Boston, ce fut un choc pour tous les Américains, mais les gens croyaient en substance que les évêques pouvaient être considérés comme fiables pour résoudre le problème. Maintenant, les gens commencent à reconnaître à quel point l'épiscopat est corrompu. Les sondages sur le pape François sont à la baisse aux États-Unis, parce que beaucoup de gens - pas seulement les catholiques - croient qu'il est plus intéressé à protéger ses alliés qu'à nettoyer l'Église. Lorsque je me suis rendu récemment en Italie, j'ai été surpris de découvrir que de nombreux médias italiens n'ont pas fait état de la gravité du scandale aux États-Unis. François et ses conseillers disent que le scandale est une conspiration de la part des riches catholiques de droite américains pour le blesser. Cette théorie est une folie, et s'ils s'y laissent prendre, le Pape et ses hommes ne feront que s'enfoncer plus profondément dans un trou».

- Vous avez lu le Rapport Viganò? Qu'en pensez-vous?

«Oui, je l'ai lu. Je pense que Mgr Vigano est un héros. Il a dit en public ce que beaucoup de gens informés ont dit en privé pendant des années. Le Pape ne lui a pas répondu, à mon avis, parce que le Pape sait très bien que Vigano dit la vérité. Après la publication du dossier Vigano, j'ai entendu au moins quatre prêtres catholiques amis dire que sa publication les a mis en "joie". Sérieusement, c'est le mot qu'ils ont utilisé. "Pourquoi joie?" ai-je demandé. Tous ont donné une version de cette réponse: «Parce que nous pouvons enfin parler ouvertement de ce que nous savons tous être vrai, mais nous ne pouvions pas le dire avant».

- Que devraient faire les chrétiens dans ce monde?

«Cherchez le visage de Dieu par-dessus tout. Tout le reste découle de cela. C'était le secret du succès de saint Benoît. En 2015, j'ai écrit un livre intitulé "Comment Dante peut vous sauver la vie". Je raconte comment le Seigneur m'a sorti d'une terrible crise spirituelle et physique en me parlant à travers la poésie de Dante Alighieri. L'une des grandes leçons que Dante m'a apprises est que si nous ordonnons nos vies autrement que par la recherche passionnée de la communion avec Dieu par-dessus tout, nous avons tort. Si Dieu n'est qu'une partie de notre vie, alors Il n'est pas Dieu. Dieu doit être toute notre vie, rien de moins».

- Donald Trump est-il un président qui suit "l'option de Benoît" ?

"Oh non ! Pas du tout ! Il n'est même pas chrétien, dans aucun sens du terme. Beaucoup de chrétiens américains, en particulier les protestants évangéliques, ont placé une grande confiance en Trump. Je pense que c'est une grosse erreur, mais je dois admettre quelque chose: Trump ne déteste pas les chrétiens et ne veut pas nous pousser hors de la place publique, pour ainsi dire. Il s'agit d'une différence significative entre lui et les principaux politiciens du Parti démocrate, qui est désormais gouverné par le fanatisme pro-avortement et pro-LGBT. Je n'aime pas Trump et je ne lui fais pas confiance, mais les progressistes sont devenus si vicieux et hostiles au christianisme traditionnel que je devrai presque certainement voter pour Trump en 2020. Je n'arrive pas à croire que je dis ça, mais nous vivons une époque folle. Mais ne vous posez pas a question: après Trump, le déluge [??] (en français dans le texte)».

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