Il Segreto di Benedetto

Marco Tosatti propose sa première lecture - côté géopolitique, surtout - et donne ses premières impressions sur le dernier livre d'Antonio Socci, sorti mardi 27 (29/11/2018)

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Le secret de Benoît XVI

 

LE SECRET DE BENOÎT XVI. LE NOUVEAU LIVRE D'ANTONIO SOCCI POSE DES QUESTIONS TROUBLANTES. EN ATTENTE DE RÉPONSES


Marco Tosatti
www.marcotosatti.com
27 novembre 2018
Ma traduction

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Aujourd'hui sort le dernier livre d'Antonio Socci: Il Segreto di Benedetto XVI, édité par Rizzoli. C'est un ouvrage passionnant; nous dirions même plus, substantiellement inquiétant, au sens littéral du terme, c'est-à-dire qu'il annule "l'état d'inertie" avec lequel nous tous qui avons vécu et suivi la démission dramatique de Benoît XVI avons accepté - comme si c'était naturel, pourrions-nous dire - un événement aussi dramatique. Et surtout, si nous ne nous trompons pas dans notre interprétation, ce livre vise à briser "l'inertie" de la gestion actuelle de l'Église, du Pontife régnant et de sa cour.

Le point de départ est une constatation évidente pour beaucoup: à savoir que l'Église catholique «la Sainte Mère Église fait face à une crise sans précédent dans toute son histoire» comme l'a écrit le Père Serafino M. Lanzetta. R. Emmett Tyrrell Jr, dans le Washington Times, utilise lui aussi la même image: «Le temps est venu pour le pape François de reconnaître qu'il a été à la tête de l'Église catholique dans un moment de crise sans précédent».

L'auteur souligne à juste titre que «la douloureuse série de scandales d'abus qui la submerge - avec un sommet vatican qui ne l'aborde pas - n'est que la pointe de l'iceberg d'une grande confusion spirituelle», le signe d'une perte de foi et de confiance dans ce qui a été, et est encore pour beaucoup, la doctrine catholique. Et il souligne: «Le drame, plus grand et plus profond, a pour nœud la crise de crédibilité de la papauté de Jorge Mario Bergoglio, source d'une immense confusion parmi les fidèles, et le risque imminent de dérives de la doctrine catholique qui pourraient conduire le christianisme à l'apostasie et au schisme».

Socci replace la démission de Benoît XVI dans son contexte historique. Jusqu'au moment du renoncement, l'Église n'avait pas cédé à l'esprit du monde et aux tempêtes parties de loin, depuis la Révolution française et après deux siècles d'attaques ultra-laïcistes et anti-catholiques. C'était le seul bastion à s'opposer à la mondialisation des consciences. Benoît compris.

«C'est pour cela que l'Église a toujours essayé - dans la mesure du possible, dans les ténèbres hostiles du monde - d'empêcher les puissances du monde de saper la pureté de la foi, de la doctrine catholique et de déformer la mission divine de l'Église. Laquelle a toujours su qu'elle subirait des persécutions, n'ayant rien d'autre à craindre que le martyre du corps. Mais elle a toujours essayé de se prémunir contre les pouvoirs mondains et les hérésies qui attentent à l'âme de l'Eglise».

Avec la présidence de Barack Obama/Hillary Clinton - en continuité avec les présidences de Bill Clinton dans les années 90 - une idéologie laïciste, déguisée en idéologie politiquement correcte, s'est imposée à l'échelle mondiale pour soutenir l'hégémonie planétaire des Etats-Unis et de la mondialisation financière. Le pontificat de Benoît XVI est donc devenu un obstacle. Et l'Église catholique s'est trouvée totalement sans défense, sans alliances...

«Avec la présidence de Barack Obama, la musique change (...), on s'oppose (...) autour des mariages homosexuels, de l'avortement, de la recherche sur les cellules souche. La Conférence épiscopale nationale elle-même n'est pas d'accord avec l'administration de Washington autour de la réforme de la santé ou de l'agenda dit "liberal"».

«Priez pour moi, afin que je ne m'enfuie pas par peur devant les loups». Nous nous souvenons tous de cette phrase, si mystérieuse et inquiétante, du Pape Benoît XVI. Socci rappelle que «le Pape indiquait ainsi une série d'éléments à garder présents à l'esprit: apostasie dans l'Église, haine de la foi de la part du monde, l'antéchrist et «la fin (perverse) de toutes choses». Et il rappelle aussi ce que Benoît a voulu dire sur sa rencontre avec l'autre grand adversaire des Puissances qui cherchent à s'emparer du monde, corps et âme [dans "Dernières conversations", ndt]:

« [Avec Poutine] nous avons parlé en allemand, il le connaît parfaitement. Nous n'avons pas fait de discours profonds, mais je crois que lui - un homme de pouvoir - est touché par la nécessité de la foi. C'est un réaliste. Il voit que la Russie souffre de la destruction morale. Et en tant que patriote, en tant que personne qui veut la ramener au rôle de grande puissance, il comprend que la destruction du christianisme menace de la détruire. Il se rend compte que l'homme a besoin de Dieu et en est certainement intimement touché. A présent encore, quand il a donné l'icône au Pape François, il a d'abord fait le signe de la croix et l'a baisée».

La démission de Benoît reste pour beaucoup un grand point d'interrogation, une question avec de multiples réponses concomitantes. Socci présente ici la thèse de l'analyste Germano Dottori: «Bien que je n'aie aucune preuve, j'ai toujours pensé que Benoît XVI avait été induit à abdiquer par une machination complexe, ourdie par ceux qui avaient intérêt à bloquer la réconciliation avec l'orthodoxie russe, pilier religieux d'un projet de convergence progressive entre l'Europe continentale et Moscou. Pour des raisons similaires, je crois que la course à la succession du Cardinal Scola, qui en tant que Patriarche de Venise avait mené les négociations avec Moscou, a éelle aussi été arrêtée».

«Personne n'a essayé de me faire chanter. Je ne l'aurais jamais permis. S'ils avaient essayé de le faire, je ne serais pas parti parce qu'on ne doit pas partir quand on est sous pression». Paroles de Benoît [Dernières conversations]. Mais l'analyse de Germano Dottori est intéressante. Nous sommes de toute façon confrontés à un projet de monde unipolaire à hégémonie américaine - qui doit donc faire plier une Russie redevenue indépendante et autonome - c'est la dernière folie idéologique née du XXe siècle des totalitarismes... C'est un projet impérialiste suicidaire pour les Etats-Unis et très dangereux pour le monde, mais qui imprègne si profondément l'establishment américain (tant dans la faction neocon que dans celle liberal) que même Donald Trump - qui a gagné contre eux et contre cette idéologie - doit aujourd'hui transiger avec elle, et se retrouve fortement conditionné par ce bloc de pouvoir, qui semble plus fort que le président élu car il tient l'Etat profond dans ses mains.

Il est important de rappeler, et Socci a raison de le faire, les manœuvres de l'administration Obama-Clinton pour organiser une "révolution" dans l'Église. Une révolution, en fait, il y en a eu une, comme nous l'avons vu, et comme nous le voyons. Et nombreux sont ceux qui la relient auxdits pouvoirs forts financiers et idéologiques que l'Église de Benoît XVI dérangeait, tout comme les dérangeaient les évêques américains, déployés dans une bataille culturelle, qui leur a valu le qualificatif péjoratif de «cultural warriors» de la part de la presse stipendiée - et ce n'est pas une façon de parler - du Régime actuel.

C'est aussi pour cela que «Benoît XVI, durant les années de son pontificat, a été soumis à des attaques systématiques et continuelles et s'est trouvé dans un état d'isolement manifeste, de plus en plus pesant, jusqu'à ce qu'il n'ait plus de pouvoir réel au sein de la Curie». Démission, puis Conclave; et l'une des réunions clés pour organiser l'élection de Bergoglio a lieu - comme s'il n'y avait pas de salles, de couvents et d'instituts religieux à Rome! - à l'ambassade britannique.
Socci note: «Ce rôle direct joué par une puissance historiquement anti-catholique (par ailleurs également berceau de la Franc-maçonnerie) est plutôt singulier. Quiconque connaît un peu la formidable et "impériale" politique étrangère britannique peut aisément être amené à croire qu'il y avait un fort intérêt politique, de la part de ce pays important, à faire élire Jorge Mario Bergoglio».

Pour des raisons de place, nous ne mentionnons qu'en passant les analyses très intéressantes de ce qui se passe en Europe et dans le monde, le projet d'abolir les frontières et les identités, afin de gérer plus facilement les nouvelles masses destinées à servir le capital sans visage. Et nous en arrivons au nœud de l'ouvrage: la démission de Benoît, mais surtout ce qu'elle a signifié, et dans quelle mesure, et de quoi il a démissionné.

«Ainsi, pour Benoît XVI, nous devons nous demander: a-t-il vraiment renoncé complètement au ministère pétrinien? N'est-il plus Pape?» Socci répond: «Du point de vue subjectif, nous pouvons donc affirmer que son intention - qui est déterminante pour définir l'acte qu'il a accompli - n'était pas celle de ne plus être Pape... Il est évident que - tout en ayant accompli une renonciation relative à la papauté (mais de quel type?) il a voulu rester encore pape, quoique de manière énigmatique et sous une forme inédite, qui n'a pas été expliquée (du moins jusqu'à une certaine date)».

Et en effet, il faut se rappeler que Benoît a dit, en parlant du pontife romain: «Le "toujours" est aussi un "pour toujours" - il n'y a plus de retour à la vie privée. Ma décision de renoncer à l'exercice actif du ministère ne révoque pas cela».

L'auteur a raison de souligner que cette distinction, «juste ou erronée», n'a pas été suffisamment prise en compte par les observateurs, et - laissant de côté nous, journalistes, par définition enclins à la facilité et un peu ânes, brillants peut-être mais ânes - surtout par les chercheurs et les canonistes.

«A la lumière de son dernier discours, on comprend pourquoi Joseph Ratzinger est resté "dans l'enclos de Pierre", signe encore "Benoît XVI", se définit comme "pape émérite", porte l'insigne héraldique pontifical et continue à s'habiller en pape».

Ainsi, contrairement à ce qui s'est passé auparavant dans l'histoire de l'Église, il y a aujourd'hui de facto deux papes qui se reconnaissent, d'une manière plus ou moins ambiguë, une légitimité mutuelle. Une situation exceptionnelle et sans précédent.

À ce stade, un autre énorme problème se pose. «Et à ce stade, il y en a qui se demandent - attention... - si pour le droit canonique... un renoncement douteux n'est en réalité pas du tout un renoncement, avec les conséquences colossales que l'on devine».

Ce n'est pas le seul problème lié à la décision du Pape Benoît XVI. L'auteur note: «D'autre part, ce fut aussi une hâte contradictoire parce que la renonciation, ce 11 février, ne fut pas immédiate comme elle aurait dû l'être, mais commença à 20 heures le 28 février suivant, sans aucun motif, c'est-à-dire sans qu'il n'y eût aucune raison technique ou pastorale (ni évidente ni déclarée) à ce délai de 17 jours». La raison pour laquelle les actus legitimi, comme l'acceptation ou la renonciation, ne tolèrent pas l'imposition de conditions ou de termes», affirme un spécialiste, «réside dans le fait que ces actes sont accomplis par la prononciation certa verba (exacte), comme disaient les juristes romains, de manière à être logiquement incompatibles avec un report - ce que comporte la condition ou le terme - des effets de l'acte qui est accompli par ce certa verba. Par conséquent, l'insertion de l'acceptation et de la renonciation dans cette catégorie juridique entraîne la nullité radicale de l'acte (vitiatur et vitiat: La condition impossible est viciée)».

La conclusion du canoniste est claire : «L'objet de la renonciation irrévocable est en fait l'exécution muneris (de la charge) à travers l'action et la parole (agendo et loquendo,) pas le munus confié à lui une fois pour toutes».

Et «le renoncement limité à l'exercice actif du munus constitue la nouveauté absolue du renoncement de Benoît XVI».

Éléments confirmés par le Préfet de la Maison pontificale, Mgr Georg Gänswein, selon lequel la «renonciation» de Benoît XVI - qui «a décidé de ne pas renoncer au nom qu'il avait choisi» - est différente de celle du Pape Célestin V qui - après son abandon de la papauté - «était redevenu Pietro dal Morrone». Et il poursuivait avec l'une des déclarations les plus surprenantes et sensationnelles: «Ainsi, depuis le 11 février 2013, le ministère papal n'est plus le même qu'avant. Il est et demeure le fondement de l'Église catholique; et pourtant c'est un fondement que Benoît XVI a profondément et durablement transformé durant son pontificat d'exception (Ausnahmepontifikat)».
C'est le nœud du double ministère, c'est-à-dire le point où est envisagée la "dimension collégiale" du ministère pétrinien, «presque un ministère en commun».

Un concept qui doit être démêlé tôt ou tard. Mais ceux qui s'opposent et veulent contester cette conception des faits - se trouveraient confrontés à la question de la validité d'une renonciation douteuse ou partielle. C'est le paquet explosif qu'Antonio Socci jette, avec ce livre, sur la table de la discussion sur et dans l'Église aujourd'hui. Une série de questions qui attendent des réponses précises.

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