La 'révolution interrompue' de Benoît

Pourquoi le Pape émérite continue à susciter un grand intérêt éditorial, au moins de l'autre côté des Alpes. Entretien avec l'auteur d'un nouveau livre sur le pontificat de Benoît XVI (20/5/2018)

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L'auteur, Francesco Boezi collabore entre autre à Il Giornale, et nous avons déjà eu l'occasion de le rencontrer dans ces pages (ICI). Il est l'auteur d'un autre livre sur Benoît XVI “Ratzinger, il rivoluzionario incompreso”.

La 'révolution interrompue' de Benoît


Cristina di Giorgi
www.ilgiornaleditalia.org
16 mai 2018
Ma traduction

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Le pontificat de Benoît XVI a pris fin, comme l'a annoncé l'ancien Pape lui-même, à cause des problèmes liés à son âge avancé. Mais était-ce vraiment tout? Peut-être. Ou peut-être pas: à ce propos, en effet, il y a eu plusieurs hypothèses. Dans son dernier livre intitulé “Ratzinger. La rivoluzione interrotta” (Ratzinger. La révolution interrompue) (Ed. La Vela, mai 2018) Francesco Boezi, journaliste et écrivain, les reparcourt. Nous l'avons interviewé pour enquêter sur une question qui, pour les chrétiens mais pas seulement, s'avère particulièrement digne d'intérêt.

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- D'où est venue l'idée d'écrire ce livre ?

« D'une certitude: les lecteurs sont à la recherche constante d'informations sur Benoît XVI dont la figure, après avoir "résisté" à une série d'attaques médiatiques, est en train d'être réévaluée. C'est ce qu'Aldo Maria Valli dit mieux que moi: aujourd'hui les gens perçoivent une sorte de vide de sens et Ratzinger a su le combler. De mon point de vue, j'ai pensé qu'un livre d'interviews pourrait être utile pour clarifier les aspects les plus discutés du pontificat du théologien allemand et aider à guérir le vide que je viens de mentionner.
Et puis, j'éprouve une "vénération filiale". C'est ainsi, du moins, que Ratzinger lui-même l'a définie dans une lettre qui m'a été envoyée par la Secrétairerie d'État à propos d'un pamphlet que j'ai écrit et publié pour Il Giornale, intitulé "Ratzinger, le révolutionnaire incompris". Ce livre est la suite de ce travail».

- Pourquoi utilises-tu le terme "révolution" dans le titre ?

« Selon Ettore Gotti Tedeschi, qui a signé la préface de ce livre, il vaudrait mieux parler de "restauration". Moi, en revanche, j'ai choisi d'associer Ratzinger au terme "révolution" pour faire une provocation. A notre époque, on utilise ce terme avec beaucoup de facilité; ce qu'on nomme "immigrationnisme" est considéré comme révolutionnaire, de même que les "tournants doctrinaux". Quiconque s'écarte de la doctrine et de la tradition est donc immédiatement inclus dans le groupe des révolutionnaires. Mon impression est que ce genre d'attitude est beaucoup plus conformiste qu'on ne le pense: en d'autres termes, s'aligner sur la modernité et sur le monde contemporain n'a, selon moi, pas grand chose de révolutionnaire. Par contre, contester le relativisme dominant (ce qu'a fait le Pape Benoît XVI) est une attitude qui va contre les diktats du politiquement correct: en ce sens, à mon avis, Ratzinger est un révolutionnaire».

- Dans les seize entretiens avec seize personnalités laïques rassemblés dans ton livre, on étudie divers aspects de la papauté de Joseph Ratzinger afin de l'illustrer dans sa totalité et sa complexité (parmi ces aspects la finance, l'économie, la musique, l'Europe, la philosophie, la bioéthique, la sociologie, la pensée conservatrice, les jeunes, le défi de la modernité et bien d'autres). Quels sont selon toi les plus remarquables?

« La papauté de Ratzinger est certainement une construction intellectuelle très complexe, très difficile à étudier sous tous ses aspects : nous - et je tiens à remercier toutes les personnes interviewées - l'avons essayé.
Les thèmes traités dans le livre sont liés, en ce sens que l'on ne peut pas comprendre la vision économique de Benoît XVI sans passer par la philosophie, par exemple. Tout comme il n'est pas possible d'enquêter sur sa démissions sans tenir compte de la doctrine et de la tradition catholique. Dissocier un thème de l'autre est trompeur.
Quoi qu'il en soit, je ne crois pas qu'il y ait un aspect plus central que les autres: chaque chapitre doit être lu et interprété comme faisant partie d'un tout. Si malgré tout je devais souligner certains éléments particuliers, je citerais l'européanisme et l'occidentalisme: Ratzinger était convaincu de la nécessité de réévangéliser le Vieux Continent. C'est ce qu'explique bien le professeur Giovanni Minnucci dans une des interviews et c'est ce que Mgr Georg Gänswein a confirmé, dans un récent discours sur la relation entre "foi et politique" dans l'œuvre de Benoît XVI [cf. La pensée de Benoît expliquée par son secrétaire].»

- Dans le dossier éditorial de ton livre, on lit, entre autres, que "ses 2864 jours sur le trône de Pierre ont représenté, par leur intensité théologique et culturelle, une phase historique pour l'Église catholique". Peux-tu mieux nous expliquer?

« Question difficile. Tout d'abord, je tiens à souligner que la question ne concerne pas le thème de la "continuité doctrinale" avec le Pape François (un sujet dont le livre ne traite d'ailleurs que superficiellement): le risque en ce sens - et j'ai essayé de l'éviter par tous les moyens - est que Benoît XVI soit instrumentalisé contre José Mario Bergoglio. Le thème, d'ailleurs, est assez glissant, au point que je ne nie pas que beaucoup d'hommes d'Eglise ont refusé d'être interviewés.
Ce que j'ai voulu souligner, c'est que le pontificat de Ratzinger a été extrêmement fort sous différents aspects. Tant et si bien que très probablement, certains des changements dont nous sommes témoins aujourd'hui, soit ne se seraient pas produits, soit se seraient produits beaucoup plus lentement sous le pape Benoît XVI. Je te donne un exemple: depuis que Ratzinger a démissionné, la contiguïté doctrinale avec l'univers protestant a augmenté. Le "dialogue œcuménique" s'accélère de plus en plus et une série de "tournants doctrinaux" sont en cours. Parmi eux, ceux de la Conférence épiscopale allemande, qui est en trains d'évaluer l'accès à l'Eucharistie pour les protestants mariés à des catholiques, et une "messe œcuménique", c'est-à-dire un rite valable pour les deux confessions, ainsi qu'une sécularisation progressive dans la gestion des paroisses.»

- Dans la préface, Ettore Gotti Gotti Tedeschi écrit que le pape Ratzinger "était craint par le monde laïciste" pour diverses raisons. Parmi elles, son intention de "rechristianiser l'Europe et de défendre des valeurs non négociables", ainsi que de "réaffirmer la nécessité de vaincre la misère morale avant la misère matérielle", en se basant de la "doctrine sociale de l'Église". Qu'en penses-tu?»

« Le discours d'Ettore Gotti Tedeschi est riche de sens aussi parce que l'économiste qui fait autorité - au moins pendant un certain temps (lorsqu'il a dirigé l'Institut des œuvres religieuses) - a vécu le pontificat de Benoît XVI de près. Sur ses paroles, cependant, je voudrais dire ceci: selon lui, Ratzinger représentait un obstacle aux nouvelles tendances théologiques, en premier lieu celle promue par Karl Rahner, que pour simplifiet nous pouvons définir comme plus ouverte au laïcat et à une plus grande initiative des évêques au sein de l'Église elle-même. L'ancien président de l'IOR est même allé jusqu'à proposer Benoît XVI pour le "prix Nobel de l'économie du salut". Je n'ajouterai rien d'autre: je vous conseille de lire le livre plus en détail».

- Quelle idée t'es-tu faite? Y a-t-il des "parce que" non officiels derrière la fin du pontificat de Benoît XVI ?

« Je crois ce que le Pape émérite lui-même a déclaré. Selon moi, donc, la question est plus simple que prévu: Ratzinger a vraiment démissionné pour des raisons d'âge. Toutefois, il existe à ce sujet plusieurs thèses, que j'ai essayé de reparcourir à travers les interviews publiées dans le livre.
Concernant les raisons de l'éloignenement du trône papal, le discours sur les divisions au sein du Vatican qui ont eu lieu pendant la papauté de Benoît XVI est une autre question: à la différence des autres pontifes, Ratzinger n'a pas été élu par une majorité très solide. On sait, en effet, que dans ce Conclave, on a tenté d'empêcher l'élection de l'ancien Préfet à la Congrégation de la Doctrine de la foi, comme il ressort clairement du journal d'un cardinal qui est resté anonyme jusqu'à ce jour.
De ce document il résulte que les "progressistes" auraient d'abord désigné le Cardinal Martini, mais l'archevêque de Milan n'aurait pas trouvé la faveur de la majorité des cardinaux. Les votes en question auraient alors été déplacés sur Bergoglio, "utilisé" pour éviter que la majorité des deux tiers nécessaire ne soit atteinte. Le prélat argentin lui-même aurait demandé aux cardinaux de briser ce mur, favorisant ainsi l'élection de Ratzinger. Quoi qu'il en soit, l'ascension de Bergoglio, comme nous l'avons vu, n'a été que différée.
Ratzinger, d'ailleurs, avait des problèmes de vue depuis longtemps. En somme, c'était un pape fatigué pour une Église peu unie [ndt: là, je ne suis vraiment pas d'accord: Benoît XVI s'est dépensé corps et âme pendant huit ans, il a VRAIMENT GOUVERNÉ, n'en déplaise à ses détracteurs qui, de tout son pontificat, n'ont apprécié que son départ, et a témoigné d'une énergie peu ordinaire pour un homme de son âge, au moins avant que les multiple pressions ne s'accumulent au point de justifier, sinon provoquer, la décision annoncée au monde en ce fatidique 13 février 2013]. A mon avis, la "renonciation", qui est un acte prévu par le droit canonique, peut s'expliquer de cette manière. Elle reste malgré tout un choix aussi légitime que révolutionnaire».

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