L'étrange lettre de Benoît XVI (II)

Marco Tosatti

Commentaire de Marco Tosatti (13/3/2018)

>>> Une lettre qui vient bien à propos
>>> L'étrange lettre de Benoît XVI (Antonio Socci)

 

La façon dont la lettre est reçue, et annoncée urbi et orbi, justement le 13 mars (cf. Une lettre qui vient bien à propos), prouve qu’une fois de plus, Benoît XVI sert de paratonnerre à son successeur. Il est curieux, comme le souligne à juste titre, et malicieusement, Raffaella, que les mêmes qui n’avaient pas eu de mots assez durs pour dénoncer «l’ingérence» du Pape émérite lorsqu’il avait eu l’outrecuidance de prendre la défense du cardinal Müller, ou du cardinal Sarah sont aujourd’hui tout sucre tout miel et s’extasient sur le soutien à François.

Heureusement, comme prévu, quelques voix s’élèvent hors du chœur. Après Antonio Socci, voici celle, attendue, de Marco Tosatti (et un commentaire très intéressant d’un lecteur, à ne pas manquer), qui s’est livré à une recherche sémantique sur l’emploi du mot «stolto» (traduit par «insensé», ou «stupide ). Et qui remarque que le substantif «continuité» a été flanqué d’un adjectif limitatif «intérieure».

Réflexions en dehors du choeur des hosannahs de la cour


Marco Tosatti
13/3/2018
Ma traduction

* * *

La source officielle, c'est-à-dire VaticanNews (en italien), dont le directeur a reçu la lettre de Benoît XVI, nous la présente ainsi:

Une lettre personnelle de Benoît XVI sur la continuité avec le pontificat du Pape François XVI.
Elle a été rendue publique par le Préfet du Secrétariat pour la Communication, Mgr Dario Edoardo Viganò qui l'a reçue à l'occasion de la présentation de la collection "La Théologie du Pape François", publiée par la Libreria Editrice Vaticana (LEV) qui a eu lieu aujourd'hui lors d'une conférence de presse à Rome, à la Sala Marconi de Palazzo Pio. «J'applaudis à cette initiative - écrit Benoît XVI - qui veut s'opposer et réagir au préjugé stupide (stolto) selon lequel le Pape François ne serait qu'un homme pratique sans formation théologique ou philosophique particulière, alors que je n'aurais été qu'un théoricien de la théologie qui aurait eu peu de compréhension de la vie concrète d'un chrétien aujourd'hui». Le Pape émérite remercie d'avoir reçu en cadeau les onze livres écrits par onze théologiens de renommée internationale qui composent la série éditée par Don Roberto Repole, président de l'Association théologique italienne. Les petits ouvrages - ajoute Benoît XVI - montrent à juste titre que le Pape François est un homme de profonde formation philosophique et théologique, et aident à voir la continuité intérieure entre les deux pontificats, malgré toutes les différences de style et de tempérament».


Comme nous l'avons vu et entendu, les musiciens de la cour se sont empressés de revendre ce message étrange comme un endorsement (en anglais dans le texte; "approbation") total du Pontife régnant par son prédécesseur, comme s'il avait ainsi étendu son manteau de garantie à tout ce que disait et faisait le Pape Bergoglio; et comme s'il avait voulu le défendre contre les critiques et les attaques de plus en plus fréquentes contre le gouvernement de l'Église, et pour la confusion magistérielle que beaucoup ressentent.

Permettons-nous quelques commentaires sur un message qui, aussi bref soit-il, est curieux.
Première chose. L'adjectif "stolto". Son choix est singulier, pour ne pas dire inédit. Nous avons cherché dans les encycliques, les exhortations apostoliques et diverses lettres apostoliques de Benoît XVI, sans réussir à trouver une seule fois où Joseph Ratzinger a utilisé ce terme: dans la lettre apostolique pour le bienheureux Andrea Bessette, écrite uniquement en latin, il utilise le terme "stolto", mais comme une citation de saint Paul: «Quae stulta sunt mundi, elegit Deus, ut confundat sapientes et infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia, et ignobilia mundi et contemptibilia elegit Deus, quae non sunt, ut ea, quae sunt, destrueret, ut non glorietur omnis caro in conspectu Dei» (1 Cor 1, 27-29)..

Une deuxième observation. Les médias ont souligné la réévaluation du Pape Bergoglio d'un point de vue philosophique et théologique. Maintenant, je n'ai pas souvenir qu'il existe des œuvres philosophiques et théologiques importantes du Pontife, qui n'a jamais terminé sa thèse de doctorat en théologie. Et les livres - petits, souligne le message - dont il est question, ce n'est pas le pape qui les a écrits mais d'autres sur lui... Nous avons tort d'envisager cette réévaluation, si elle vient de Benoît lui-même, comme une sorte d'amabilité courtoise; dans quelle mesure elle est crédible, l'auteur de ces lignes laisse les lecteurs en juger. Mais c'est une amabilité nécessaire pour introduire la seconde défense, celle qu'il fait de lui-même. C'est-à-dire, démentir que Joseph Ratzinger était seulement «un théoricien de la théologie». Accusation qui, sous diverses formes et de différentes manières, circule depuis des décennies, et continue de circuler. Et que, pour une raison inconnue de nous, on veut aujourd'hui combattre.

Une dernière observation concerne la «continuité». Le terme employé est «continuité intérieure». Intérieur est utilisé surtout pour ce qui concerne l'esprit et la conscience, nous enseignent les vocabulaires auxquels nous avons puisé. Mais un pontificat n'est pas seulement intériorité, bien au contraire: il est avant tout gouvernement, et surtout enseignement, magistère. Ici, il nous semble intéressant de noter l'usage particulier et limitatif de la «continuité» dans le billet de remerciement parvenu à Mgr Viganò. Même l'amabilité, ou le sens des responsabilités, ne pouvaient pas franchir les limites de la réalité visible et évidente, sous les yeux de tous.

Le Commentaire de "Cesare Baronio"


Parmi les commentaires à cet article, je relève celui, très intéressant, de Cesare Baronio, pseudonyme "à clé" de l'auteur d'un blog très lu (et anti-bergoglien), Opportune Importune dont nous avons parlé récemment ICI (cf. Plaidoyer pour le Concile): il éclaire avec bonheur les propos de Marco Tosatti sur les "limitations/corrections" apportées (par Benoît XVI?) à l'éloge de François

Il est d'usage que la présentation d'un livre soit rédigée non pas par celui qui la signe, mais par celui qui la demande: et ce pour des raisons pratiques, pour éviter au signataire le poids de la lecture de l'œuvre, pour lui permettre d'effectuer des changements minimes sans perdre de temps. Habituellement, celui qui présente ou préface un livre reçoit de nombreuses sollicitations, et il serait impensable de s'attendre à ce qu'il lise tout, surtout compte tenu des exigences de publication et du délai serré entre la rédaction finale et l'impression. Souvent, ce n'est pas la personne qui signe l'avant-propos ou la préface qui s'occupe de l'approbation, mais son secrétaire, qui se limite à en informer l'intéressé.
Je me demande donc si cette présentation, bien qu'autorisée, n'a pas été en quelque sorte suggérée et approuvée, en profitant de la confiance accordée aux collaborateurs de l'auguste signataire.



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