Lettre de Benoît XVI, réactions (IV)

De l'autre côté de l'Atlantique, celle de Phil Lawler, qui évoque entre autre le quasi-blackout très éloquent de la cellule de communication du Vatican (13/4/2019)

 

Le puissant message de Benoît XVI - et la tentative de le supprimer


Phil Lawler
www.catholicculture.org
11 avril 2019
Ma traduction

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Après six ans de silence public, rompu par quelques commentaires personnels anodins [pas tant que cela...], Benoît XVI s'est exprimé de façon dramatique, avec un essai de 6 000 mots sur les abus sexuels, qui a été décrit comme une sorte d'encyclique post-papale. A l'évidence, le Pontife en retraite s'est senti obligé d'écrire: de dire des choses qui n'étaient pas dites. Benoît pensait que le sujet était trop important pour lui permettre de garder le silence.

Les responsables des communications du Vatican pensaient différemment, semble-t-il. L'essai de Benoît a été rendu public mercredi soir, mais jeudi matin, il n'y avait pas de mention de l'extraordinaire déclaration dans les médias du Vatican (plus tard dans la journée, Vatican News a publié un compte-rendu résumant l'essai de Benoît XVI; il est paru en bas de la page d'accueil, sur le site de Vatican News, en dessous d'un gros titre sur les efforts de secours aux victimes du cyclone au Mozambique). Il convient d'ailleurs de noter que la déclaration de l'ancien Pape n'a pas été publiée par un organe du Vatican; elle est parue d'abord dans le Klerusblatt allemand et dans le journal laïque italien Corriere della Sera, avec des traductions en anglais par CNA et le National Catholic Register.

Benoît rapporte qu'il a consulté le Pape François avant de publier l'essai. Il ne dit pas que le Pape actuel a encouragé son écriture, et il est difficile d'imaginer que le Pape François a été enthousiasmé par le travail de son prédécesseur sur cette question. Les deux papes, passé et présent, sont à des kilomètres l'un de l'autre dans leur analyse du scandale des abus sexuels. Nulle part Benoît ne mentionne le "cléricalisme" que le Pape François a cité comme cause profonde du problème, et le Pape François a rarement mentionné la rupture morale que Benoît accuse pour ce scandale.

Le silence des médias officiels du Vatican indique clairement que l'essai de Benoît XVI n'a pas trouvé un accueil chaleureux à la résidence Sainte Marthe. Plus révélatrice encore est la réaction frénétique des plus ardents partisans du Pape, qui ont inondé Internet de leurs protestations embarrassées, de leurs lamentations que Benoît XVI fait une triste erreur lorsqu'il suggère que le tumulte social et ecclésiastique des années 1960 a provoqué l'épidémie des abus.

Ces protestations contre Benoît devraient être considérées comme des signaux aux médias séculiers. Et les titres séculiers, qui sympathisent avec les causes de la révolution sexuelle, porteront dûment le message que Benoît est déconnecté, que sa thèse a déjà été réfutée.

Mais les faits, comme l'a fait remarquer John Adams, sont têtus. Et les faits témoignent sans ambiguïté en faveur de Benoît. Quelque chose s'est produit dans les années 1960 et par la suite pour précipiter une vague d'abus cléricaaux. Oui, le problème s'était déjà posé dans le passé. Mais toutes les enquêtes responsables ont montré une montée en flèche stupéfiante des abus cléricaux juste après le tumulte décrit par Benoît XVI dans son essai. Certes, l'ancien Pontife n'a pas prouvé, avec une certitude apodictique, que l'effondrement de l'enseignement moral catholique a conduit à des abus cléricaux. Mais écarter sa thèse avec désinvolture, comme si elle avait été testée et rejetée, est carrément malhonnête.

Les faits sont des faits, peu importe qui les proclame. La crise des abus s'est produite dans la confusion qui a suivi Vatican II. Benoît XVI avance une théorie pour expliquer pourquoi cela s'est produit. Sa théorie n'est pas accordée aux idées des intellectuels catholiques libéraux, mais ce fait n'excuse pas leur tentative de supprimer une discussion, de nier les réalités fondamentales (à bien y penser, ce n'est pas la première fois que les défenseurs du pape François encouragent le public à ignorer les faits, à envisager la possibilité que 2+2=5).

Ce message - le message du Pape émérite Benoît XVI - s'écarte de façon flagrante des messages qui ont été émis par de nombreux dirigeants de l'Église. L'ancien Pape ne parle pas "de politiques et de procédures" ; il ne propose pas de solution technique ou juridique à un problème moral. Au contraire, il insiste pour que nous concentrions toute notre attention sur ce problème moral et que nous passions ensuite à une solution qui doit nécessairement se trouver aussi dans le domaine moral.

En toile de fond de son message, Benoît XVI rappelle les années soixante, alors qu'«un événement d'une ampleur sans précédent dans l'histoire s'est produit». Il traite de l'effondrement de la moralité publique, qui s'est malheureusement accompagné de la «dissolution de l'autorité morale d'enseignement de l'Église». Cette combinaison d'événements a laissé l'Église en grande partie sans défense, dit-il.

Dans une analyse sans complaisance, Benoît traite les problèmes de la formation sacerdotale, alors que «des cliques homosexuelles se sont établies, qui ont agi plus ou moins ouvertement et ont changé de manière significative le climat dans les séminaires». Il reconnaît qu'une visite des séminaires américains n'a pas apporté d'améliorations majeures. Il affirme que certains évêques «ont rejeté la tradition catholique dans son ensemble». Il considère la tourmente comme un défi fondamental à l'essence de la foi, observant que s'il n'y a pas de vérités absolues - pas de vérités éternelles pour lesquelles on pourrait volontairement donner sa vie - alors le concept du martyre chrétien semble absurde. Il écrit : «Le fait que le martyre n'est plus moralement nécessaire dans la théorie défendue [par les théologiens catholiques libéraux] montre que l'essence même du christianisme est en jeu ici».

«Un monde sans Dieu ne peut être qu'un monde sans sens, prévient Benoît XVI. «Le pouvoir est alors le seul principe». Dans un tel monde, comment la société peut-elle se prémunir contre ceux qui utilisent leurs pouvoirs sur les autres pour se satisfaire? «Pourquoi la pédophilie a-t-elle atteint de telles proportions?» demande Benoît. Il répond: «En fin de compte, la raison, c'est l'absence de Dieu».

C'est donc en restaurant la présence de Dieu que Benoît XVI suggère à l'Église de répondre à cette crise sans précédent. Il relie l'effondrement de la moralité à un manque de respect dans le culte, «une manière de traiter avec Lui qui détruit la grandeur du Mystère». Déplorant les manières grotesques dont les prêtres prédateurs ont blasphémé le Saint Sacrement, il écrit que «nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger le don de la Sainte Eucharistie des abus».

En bref, Benoît XVI fait le lien entre le manque de respect pour Dieu et le manque d'appréciation de la dignité humaine - entre l'abus de la liturgie et l'abus des enfants. Les fidèles catholiques devraient reconnaître la logique et la force de ce message. Et Benoît exprime sa confiance que les fils et les filles les plus loyaux de l'Église travailleront - ils travaillent déjà - pour le renouveau qu'il attend:

Si nous regardons autour de nous et écoutons avec un cœur attentif, nous pouvons trouver des témoins partout aujourd'hui, surtout parmi les gens ordinaires, mais aussi dans les hautes sphères de l'Église, qui se lèvent pour Dieu avec leur vie et leur souffrance.

Mais le renouveau ne se fera pas facilement, il entraînera des souffrances. Pour Benoît XVI, cette souffrance inclura les vagues d'hostilité que son essai a provoquées, l'attitude dédaigneuse de théologiens bien moindres, la campagne pour le faire passer pour un vieil excentrique. Nul doute que l'ancien Pape avait anticipé l'opposition que son essai allait rencontrer. Il a choisi d'"envoyer un message fort" de toute façon, parce que la souffrance pour la vérité est une forme puissante de témoignage chrétien.

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