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Pourquoi le Saint-Père devait se rendre aux Etats-Unis, et pourquoi le succès médiatique est important. (23/4/2008)
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Doit-on s'intéresser en premier aux apparences, ou tenter d'aller directement au fond?
J'ai tendance à choisir la première option, pas seulement par facilité: comme leur nom l'indique, bien sûr, les apparences sont immédiatement perceptibles, alors que les discours du Pape sont trop profonds pour être commentés à la volée.
Il ont besoin d'être lus et médités.

La raison essentielle est que nous vivons dans un monde d'images: avant même son arrivée sur place, certains observateurs avaient mis l'accent sur le défi que représentait pour le pape "cérébral et austère" le royaume de l'esbroufe visuelle que sont les Etats-Unis. Pour parler familièrement, ils attendaient - comme à chaque voyage - une "déconfiture" médiatique.

Si l'apparence ne comptait pas, le Saint-Père aurait-il besoin de s'imposer personnellement six jours de marathon?

Le "renouveau spirituel" qu'il appelait de ses voeux passait obligatoirement par sa présence physique - le propos valait évidemment déjà pour ses précédentes visites pastorales, en Bavière, en Pologne, au Brésil, et nul doute qu'il sera encore d'une actualité brûlante en septembre prochain, en France.

Quiconque suit régulièrement ce qui se passe au Vatican savait qu'on ne pouvait pas vraiment s'attendre à des "scoops". Tout ce qu'il a dit là-bas, n'est rien d'autre que ce qu'il répète inlassablement semaine après semaine, dans les messages et les homélies, lors des Angelus et des audiences. Le tout dans une relative indifférence médiatique. Il n'y a que ses détracteurs pour prétendre, depuis son élection, que "ce pape nous surprendra", tout en espérant qu'il ne le ferait pas, ou alors qu'il le ferait dans un sens qui les arrange.

Il fallait donc qu'on le voie, et qu'on l'entende, pour qu'à travers son charisme personnel ("différent", mais profond et attachant, aux antipodes de ce qui avait été annoncé!) ce message atteigne une multitude, qui n'y a autrement pas accès, sinon dans une version falsifiée ou tronquée.
Tel était l'enjeu de ce voyage. Tel est, en fait, l'enjeu de chaque voyage, et donc, en particulier, du prochain voyage en France.

Avant de faire un bilan de son discours (d'autres s'en chargeront, et ont même déjà commencé, comme en témoigne cette rubrique...), il convient donc de revisiter le spectacle.
Le moins que l'on puisse dire est qu'il a réservé des surprises aux spécialistes, mais pas dans le sens évoqué plus haut: Ce Pape-là a connu un triomphe, et a fait la preuve qu'il était aimé pour lui-même.
A son insu (peut-être...) il s'est servi des medias, et il l'a fait avec brio.
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Les images que nous gardons


Les fruits du voyage ne peuvent pas être évalués maintenant, encore moins quantifiés.
John Allen l'avait bien perçu, dans un article perspicace, à défaut d'être bienveillant: Comment Benoît définira le 'succès' de son voyage
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Benoît est une personnalité calme, cérébrale, dont l'objectif s'apparente davantage à semer des graines qu'à faire des vagues.
Il pense dans un "arc de temps" [..] vaste. Par exemple, il a probablement conçu ses 13 discours publics aux États-Unis avec l'espoir qu'ils seront examinés dans les milieux intellectuels et culturels, dans les séminaires et dans les collèges et les universités, ainsi que les rencontres inter-religieuses et œcuménique, pour les années à venir. ... Sa préoccupation ne sera pas ce que ce que l'Amérique est devenue au bout de 10 jours, à cause de sa venue, mais après 10 ou même 100 ans.
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Mais il se trouve que la personnalité "cérébrale" est aussi un homme qui "ressent les sentiments en profondeur" (c'est son frère qui l'a dit, au moment de son élection) et qui a suffisamment de maîtrise de soi pour ne les extérioriser qu'avec pudeur et réserve, ce qui ne donne que plus de prix à leurs manifestations.
Or, cette fois, elles furent nombreuses.

Nous gardons dans les yeux une foule d'images, et parmi les plus belles, celles de la veillée avec les séminaristes et les jeunes , ses plaisanteries ("je vous donne un A+ pour votre excellent accent en Allemand"), son rire, lorsqu'il s'aperçoit qu'il a oublié la partie en espagnol de son discours (à ce moment, il m'a fait vraiment penser à un professeur qui se sent bien dans sa classe, car il sait que ses élèves l'aiment), l'atmosphère de ferveur et d'affection, l'enthousiasme bruyant de l'assistance...
Il y a eu aussi son intervention improvisée à la fin de la messe à Saint-Patrick, dans un anglais peut-être pas aussi académique que le langage qu'il utilise habituellement, mais pour cela tellement émouvant.
Autre épisode étonnant, à la Park East Synagogue de New York, dans son discours de bienvenue, le rabbin compare les chérubins peints (ou sculptés?) sur les murs au "visage angélique de Votre Sainteté"!!!
Et puis, ce geste gracieux des doigts, paumes ouvertes, buste creusé, bras tendus. Au moment de monter dans l'avion Papal , (que des journalistes américains facétieux ont baptisé Shepperd One), il a eu une dernière fois ce geste sur le sol américain, et le commentateur de la chaîne ETWN a attiré l'attention des spectateurs, avec gentillesse, sur "les doigts de pianiste".

Des envolées poétiques, aussi, dans ses discours, comme ce passage magnifique de l'homélie prononcée à Saint-Patrick (*), où il utilise la structure de la cathédrale comme métaphore de l'Eglise - au moment où j'écris ces lignes, je n'ai pas la référence sous la main, mais je pense au discours prononcé lors de l'inauguration de l'orgue de la Alte Kappelle de Ratisbonne (13/9/2006), où cette fois, c'était la complexité des sons émis par l'orgue qui servait de point de départ à sa méditation...

Mais pour moi, parmi les images, celles qui ont le plus fort pouvoir de suggestion, ce sont celles que nous n'avons pas vues. Non pas, donc, la visite, forcément convenue, et forcément hyper-médiatisée, à Ground Zero, mais (oui, finalement!) la rencontre avec les victimes des scandales sexuels. C'est sa manière à lui de traiter les problèmes, toute en délicatesse et en discrétion. Loin des cameras et des ragots, qui ne l'intéressent pas. Je pense que les gens ne s'y seront pas trompés...
Sur ce sujet, j'ai vu un bref reportage sur LCI. Des journalistes interrogeaient l'une des "victimes" reçues par le Saint-Père. L'extrait de sa réponse était manifestement découpé aux ciseaux, mais on a quand même pu entendre à peu près ceci (je cite de mémoire): "J'ai haï vos prêtres, et votre église, mais maintenant, je vous ai vu, avec vos prières et votre coeur pur..."
Je ne sais pas quelle était l'intention de ceux qui ont choisi ce passage, peut-être ont-ils retenu le mot "haï", mais moi, je retiens "coeur pur"...

L'autre aspect important du voyage, au moins au plan visuel, est la valeur du témoignage personnel, et son impact notamment sur le clergé américain.
Ils ont pu voir surtout, au delà du chef de l'Eglise, de l'homme de pouvoir, et du "pape Superstar" qui a été décrit ici et là, le "pauvre successeur de Pierre", un "saint prêtre", qui célèbre l'eucharistie avec une ferveur impressionnante, et témoigne par chacun de ses gestes, de ses mots, la joie trouvée dans "l'amitié avec Jésus". Cet impact-là est difficilemnt mesurable, mais il peut être profond.

Couverture médiatique


Un mot encore, sur les medias.
La couverture, en France, à une ou deux exceptions près, a été misérable - non seulement en quantité, ni même en qualité de commentaires, mais au niveau de la simple transcription des faits: les propos qu'on lui a attribués lors de la conférence de presse dans l'avion étaient inexacts (à cause d'un pluriel devenu singulier), et pourtant ils ont été repris partout, entretenant sciemment l'ambiguïté; et dans les comptes-rendus de la visite au Ground Zero, on a eu droit à des perles (La longue tunique blanche du pape et "Pope Star" en Amérique )
Ce qui est retenu tient finalement en deux rubriques, prévisibles dès le départ: le scandale des prêtres pédophiles, donc (littéralement mouliné), et la rencontre annoncée avec la communauté juive. A quoi on peut ajouter la fameuse prière à Ground Zero, qui pouvait pour cela apparaître comme "mise en scène", mais que sa présence lumineuse est quand même parvenue à purifier. Dans son discours de congé, il a exprimé sa compassion simplement: Ma visite restera gravée dans ma mémoire, et je continue de prier pour ceux qui sont morts, et pour tous ceux qui continuent de souffrir de cette tragédie.

L'enthousiasme de la foule était palpable dans les "directs" de KTO, (et les images reproduites dans ces pages en témoignent) mais malheureusement peu perceptible dans les commentaires.
Les medias ont décrété une fois pour toutes que Benoît XVI est froid et coincé, très inférieur, sur le plan humain à son prédécesseur -qu'ils ne s'étaient pourtant pas privés de critiquer de son vivant.
Juste avant le voyage , interrogé par le Pew Forum, John Allen disait à ce sujet:
Si je peux exprimer un voeu pieux pour le voyage du pape, ce serait que nous puissions entrevoir une paire de "flashes" sur sa personnalité, parce que je pense qu'il y a dans une certaine mesure un déphasage entre l'impression publique de cet homme et sa personnalité privée. Vous ne rencontrerez jamais une figure plus aimable.....
Il semble qu'il ait été entendu... là-bas!
Nous qui le savons depuis le premier jour, nous pouvons juste déplorer que la légende noire résiste encore, chez nous, à l'évidence des images. Mais l'opinion américaine ne s'est pas laissée influencer, et a été conquise.

Enfin, contrairement à ce que prétendaient certains - néanmoins sympathiques - oiseaux de mauvaise augure ("Il y a une méthode dans ses fautes" ), le Pape n'a déclenché aucune polémique, au moins à ce jour. Il a fait, littéralement, un "sans faute". Cela nous amène à considérer avec prudence la thèse des provocations calculées, assez difficile à admettre, car il apporte la vérité, et il n'y est pour rien si elle est prétexte à scandale. Là encore, laissons-lui la parole: "Dans certains milieux, parler de la vérité est considéré comme une source de discussion, ou de divisions..."(Séminaire de Saint-Joseph ).
Malheureusement, cette absence de note discordante peut confirmer en partie la justesse de ces prévisions, car les discours risquent de ne pas sortir d'un cercle trop restreint. On en a eu un exemple avec celui prononcé à la tribune de l'ONU: dans le Monde, la suppléante de Tincq - le titulaire de la charge étant apparemment occupé à faire la promo de son dernier livre, sur "les catholiques" - a titré: "A l'ONU, le Pape a prononcé un discours appliqué". Façon de dire qu'elle était à la recherche de formules-choc, quelle n'y a pas trouvées, et pour cause!