Décryptage de la novlangue par une catholique, Madeleine Peteers. Depuis des années, elle cherche ce qui se cache derrière la nouvelle sémantique, véritable arme de guerre du mondialisme. A lire absolument, pour ne pas être l'idiot utile de service (19/7/2010)

Sur ce sujet, voir le site Polemia (mot-clé: novlangue).

Marguerite Peeters (1) est journaliste.
Depuis le début des années 90, elle s'intéresse aux grandes conférences internationales de l'ONU et à la construction d'un consensus mondial sur le développement durable et ses composantes qui avait commencé directement après la guerre froide.
En 1995, elle fonde un service d'information spécialisé dans la mondialisation et les organisations internationales (Interactive Information Services).
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Son travail s'est surtout distingué par les interviews d'experts qu'elle a pu réaliser pour tenter de comprendre le sens du nouveau langage employé par les organisations internationales: experts de l'ONU, de la gouvernance mondiale, des ONG influentes.
En septembre 2003, elle fonde à Bruxelles l'Institute for Intercultural Dialogue Dynamics, dont l'objet est l'étude des concepts-clefs, valeurs et mécanismes opérationnels de la mondialisation.
(lu ici)
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Texte original ici: http://www.rassegnastampa-totustuus.it/...
Ma traduction.

Un mot vaut l'autre

Des «droits reproductifs» au «développement durable». Voyage dans le vocabulaire créé par les institutions internationales , rempli d'expressions qui peuvent signifier tout et le contraire de tout

Par Laura Borselli
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L'égarement après la chute du mur de Berlin , l'anxiété sacrée et en même temps légèrement hystérique de repartir, de recommencer et de le faire avec les mots justes . Parce que, si donner un nom aux choses est le premier signe de la conscience pour un être qui vient au monde, la même chose se produit pour une société brisée en mille morceaux par des décennies de séparation . "C'est alors que, à partir du langage, la nouvelle éthique mondiale a connu un tournant", explique Marguerite Peeters , directrice de Dialogue Dynamics , un Institut de Bruxelles qui étudie les concepts-clés , les valeurs et les mécanismes de fonctionnement de la mondialisation.

Le début des années 90 inaugure une ère de possibilités infinies , et pour en jouir, il faut s'entendre sur les mots, pour dialoguer dans le futur et atteindre un large consensus sur un ensemble de concepts de base. Tel est l'objectif d'une longue série de conférences internationales organisées par l'ONU, comme le sommet au Caire consacré à la santé reproductive et celle de Pékin sur la "gender equality" (littéralement l'égalité des genres) . Ainsi, de 1990 à 1996 fut compilé le vocabulaire des normes, valeurs et priorités nécessaires à la coopération internationale pour la nouvelle ère.

Marguerite Peeters est allée parcourir ce vocabulaire culturel et linguistique, pour comprendre qui l'a compilé et ce qu'il y a dedans. Ce qu'il dit n'est pas nouveau , les mots qu'il utilise ne sont pas abstraits . "Développement durable", "droits reproductifs" , "démocratie participative" sont des expressions que tout le monde a entendues des dizaines de fois. "C'est là la question - dit Peeters . Ce vocabulaire, nous l'utilisions déjà , souvent sans le comprendre ".

Pourtant, la langue est une étape-clé dans la construction de la civilisation , le test décisif pour les changement et en même temps leur moteur. "Il s'agit d'une nouvelle éthique mondiale- insiste-t-elle. Où l'expression signifie qu'il y a une sorte d'éthique qui n'a jamais existé auparavant , tout en étant l'articulation d'une révolution culturelle déjà commencée avec la Révolution française . C'est une éthique post-moderne, et elle est globale. Globale, cela signifie que si nous allons en Afrique, nous entendons des ONG parler aux femmes africaines de droits reproductifs , de qualité de vie . Concepts nés en Occident et tombés dans un nouveau contexte , en une sorte de néo -colonialisme qui cherche à évincer ce Dieu apporté en même temps que le vrai colonialisme".

Les paradigmes mis en œuvre vont de la santé des femmes, à l'égalité entre les sexes , et au respect de l'environnement. "Mais cela ne signifie pas qu'il y ait un principe commun et une liberté de choix absolue".
Avant même d'aborder les options religieuses ou politiques , le professeur nous invite à regarder à la langue elle-même . "Prenons le cas d une expression comme «développement durable» . Elle n'a pas une définition claire et précise , et peut même être interprétée de manières différentes et opposées selon qu'elle s'adresse à un socialiste ou à un libéral . C'est une instabilité sémantique absolue qui est ainsi transformée en un principe, une valeur .

La langage ne sert plus à nommer les choses , processus essentiel pour connaître la réalité et entrer en relation avec elle , mais à dessiner des frontières d'ambiguïté, à définir un espace de libre interprétation .
C'est pourquoi je dis que le langage a joué un grand rôle dans la révolution culturelle mondiale , parce que c'est à travers le langage que la réalité s'est transformé en processus de choix. Donc, il est vrai que le langage n'exprime plus une réalité claire, identifiable , mais peuvt servir pour permettre à l'individu de choisir de ne jamais s'engager".

La tentation de rester dans le vague (dans la généralité)
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Il s'agit d'une tentation atavique, plus que d'un projet construit autour d'une table , selon John Gobbera , professeur de linguistique allemande , et de linguistique générale à l'Université catholique de Milan . "Il y a une espèce d'impératif sous-jacent au langage adopté par les organisations internationale , celui de la généralité (ndt: au sens de "rester dans le vague") ". Une tentation qui selon Gobbera s'appuie sur l'objectif de construire le consensus et le dialogue. "Il s'agit d'un besoin réel, pensons à la communication interculturelle".

"Maintenant, la question est de savoir comment répondre à cette nécessité, et le drame est que de plus en plus, on pense que pour communiquer avec ceux qui sont différents de moi , je dois éliminer de moi les éléments de la diversité" . Ce n'est donc pas le projet d'un prétendu « Spectre » international, mais une croyance véritable, ce qui à certains égards, est encore pire.
"Il y a des aspects de la vie - poursuit Gobbera - où on demande au langage d'être aussi neutre que possible, en général cela se produit lorsque sont impliquées des options morales, toujours génératrices de divisions. C'est là, donc, que le terme "avortement" laisse place à l'expression "interruption volontaire de grossesse" ou le mot "euthanasie" est paraphrasé en "mort douce" en référence à sa racine grecque.

"La plupart des nouveaux mots que nous avons entre les mains sont vides ou édulcorés. Là où on perçoit de la violence, on change le mot , mais on n'élimine pas la violence, qui est en réalité . La réalité n'est jamais aseptisée ou neutre. Pas plus que le langage".

Les droits avant tout
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Un des domaines les plus "à risque" est celui des droits des femmes, selon le professeur Peeters . «Prenons une expression comme 'droits reproductifs' . La définition a été élaborée à huis clos par des experts de l'IPPF ( International Planned Parenthood Federation ) , l'OMS ( Organisation mondiale de la Santé ) et l'UNFPA (United Nations Fund for Population Activities) et c'est un paragraphe qui laisse ouvertes toutes les interprétations possibles : de l'avortement à la maternité , de la stérilisation forcée à la contraception hormonale , jusqu'à la fécondation in vitro.

La santé reproductive, récite en effet la définition qui a trouvé sa synthèse complète et officielle au cours de la Conférence du Caire sur la population et le développement (1994) "est un état de complet bien-être physique, mental et social , et pas seulement une absence de maladie ou d'infirmité, dans tous les contextes concernant le système de reproduction , ses fonctions et ses processus . La santé reproductive implique donc que les gens sont capables d'avoir une vie sexuelle satisfaisante et sûre et ont la capacité de se reproduire et la liberté de décider si, quand et comment se reproduire.
Dans cette dernière condition, est implicite le droit des hommes et des femmes à être informés et avoir accès à des méthodes de planification familiale sûres, efficaces, accessibles et acceptables selon leur choix, ainsi que d'autres méthodes de régulation de la fécondité qui ne sont pas contraires la loi" (ndt: et quand elle le sont, les mêmes font en sorte de faire pression sur les gouvernements pour changer les lois). Il vient spontanément à l'esprit l' utopie futuriste "Le meilleur des mondes" d'Aldous Huxley , où les moments 'union' et 'procréation' sont séparés dans le temps : dans le monde nouveau de l'écrivain anglais , les enfants naissent in vitro et le sexe est libre et sûr.

Evoquer ces images peut sembler exagéré . Après tout, les expressions de la langue nouvelle semblent justes: qui peut dire qu'il est erroné de prétendre à une meilleure qualité de vie ? Quelle femme africaine, là où trop souvent accoucher signifie encore mourir, peut renoncer à la " maternité sans risque" promise par les fameux droits reproductiifs? .

C'est pourquoi , insiste à nouveau Peeters , ce langage séduisant n'épargne pas les chrétiens , les ONG d'inspiration chrétienne et l'Église elle-même. "Beaucoup de chrétiens confondent les paradigmes de cette nouvelle culture avec ceux de la doctrine sociale de l'Eglise . Souvent inconsciemment , sans se poser de problèmes idéologiques. Ils pensent que développement durable est synonyme de la relation entre l'homme et la nature décrite par l'Eglise . Mais derrière ce concept se cache un néo-paganisme rampant, où l'homme n'est pas considéré comme le gardien de la nature et de la création , mais simplement un animal comme les autres. "

La parole du nouveau millénaire
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C'est pour cela, selon la professeur, que s'ouvre un défi particulièrement stimulant et urgent pour l'Église : non seulement ne pas se fondre , mais surtout continuer à dire ce qu'est la liberté . «L'ignorance - écrivait-elle il y a plusieurs mois sur l'Osservatore Romano - expose les chrétiens au risque de confusion entre la nouvelle éthique et la doctrine sociale de l'Eglise . C'est ce même amalgame qui a mené à la "désalinisation" de leur foi par les chrétiens d'Occident , en particulier après la révolution culturelle des années soixante .

Il reste un énorme travail pour formuler la réponse que l'Evangile et la doctrine sociale donnent aux défis anthropologiques et théologiques de la postmodernité . Face aux défis d'une éthique , qui, dans ses aspects radicaux , veut imposer aux cultures la transcendance du droit de choix de l'individu en dehors du plan de Dieu , les chrétiens doivent mettre à nouveau en lumière la transcendance de la révélation divine . Le plus grand service que l'Eglise peut apporter à l'humanité est en effet d'être elle-même . "

Note

D'autres articles de Marguerite Peeters sont disponibles en français.

-> Le « gender » est-il une « idéologie »? (23 mars 2008).
-> Politique et révolution culturelle (3 juillet 2008).
-> L'euthanasie en questions.

On peut l'entendre sur Radio Vatican (audio ici), le 5 octobre 2009, alors qu'elle était invitée comme observateur au Synode des évêques pour l'Afrique. Elle y reprend entre autre le contenu de l'article ci-dessus.