Deuxième volet d'une réflexion du Père Scalese sur l'"herméneutique de la réforme", commencée en avril dernier. (30/7/2010)

Le Père Scalese poursuit une réflexion commencée il y a quatre mois (cf. traduction: Herméneutique de la réforme, 7 avril 2010) dans la revue "L'Echo des Barnabites" .
En avril dernier, donc, après avoir constaté cette évidence, dont même les "conservateurs" doivent s'imprégner, que "l'Eglise avance" (et que les temps changent - hélas! est-on tenté de dire), il s'interrogeait sur "l'existence d'une clé de lecture, un critère unifiant qui nous permette de 'lire' le pape Benoît XVI".
Et la réponse qu'il se donnait était sans équivoque. Après avoir identifié dans le discours à la Curie Romaine de décembre 2005 l'acte fondateur du Pontificat actuel, il écrivait: "Personnellement je trouve dans [l'] "herméneutique de la continuité" la clé de lecture non seulement du Concile, mais de la papauté même de Benoît XVI. Ses décisions, ses gestes, ne peuvent être compris que dans cette lumière".

Voici le second volet de sa réflexion.

Cette fois, il fait le point sur ce qu'il est convenu d'appeler la "réforme de la réforme" de la liturgie, attendue, ou redoutée, selon les convictions personnelles de chacun, depuis le début du pontificat.
Comme cardinal, Joseph Ratzinger l'appelait de ses voeux.
Or, on ne peut que le constater: il ne s'est pas passé grand chose, au moins du point de vue "normatif", depuis le 19 avril 2005. Mais la méthode Benoît XVI, toute en douceur, est de proposer par l'exemple, plutôt que d'imposer par la coercition (au risque d'être désobéi!)
Et surtout, "Le plus grand mal qui a été fait à l'homme a été de tenter d'éliminer de sa vie la transcendance et la dimension du mystère"; l'urgence ne se situe donc pas au niveau des aménagements "techniques" de tel ou tel rite: l'urgence est, en remettant la liturgie au centre de la vie de l'Eglise, de "récupérer le sens du mystère, qui doit à nouveau caractériser le culte divin" (Card. Antonio Cañizares Llovera, préfet de la Congrégation pour le culte divin)

Texte en italien: http://querculanus.blogspot.com/2010/07/riforma-della-riforma.html
Ma traduction:

Mardi 27 Juillet 2010
«La réforme de la réforme "
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Dans le précédent numéro de "l'Echo", nous nous sommes concentrés sur ce qui peut être considéré comme "la clé de lecture" du Concile Vatican II et du pontificat actuel: l'herméneutique dite "de la réforme" .

Le premier document approuvé par les Pères Conciliaire fut la Constitution sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium (4 Décembre 1963) . La réforme liturgique qui en a résulté a toujours été considérée un peu comme "le fleuron" du Concile, et on lui a attribué une valeur symbolique comme "icône" de la réforme la plus large de l'Eglise, initiée par le Concile Vatican II . Sacrosanctum Concilium voit la liturgie comme "le sommet auquel tend l'action de l'Eglise et en même temps la source d'où jaillit toute sa force" (n ° 10). Elle occupe donc une place centrale dans la vie de l'Eglise . En particulier , il existe une relation étroite entre la liturgie et la foi : la liturgie exprime la foi de l'Eglise , elle constitue l'un des principaux témoignages de la tradition et elle a un caractère normatif pour les fidèles (lex orandi , lex credendi) .

Pas étonnant donc qu'un grand théologien comme Joseph Ratzinger , bien que n'étant pas un liturgiste de profession, ait réservé une attention particulière à la liturgie, qui a progressivement augmenté au fil des ans . Justement à cause du caractère central que la liturgie occupe dans la vie de l'Eglise , le cardinal Ratzinger en est venu à la conclusion qu'il existe un lien de causalité direct entre l'effondrement de la liturgie , auquel nous avons assisté après le Concile , et la crise dans laquelle l'Eglise se débat de nos jours:

"Je suis convaincu que la crise ecclésiale dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui dépend en grande partie de l'effondrement de la liturgie , qui est parfois même conçue "et si Deus non daretur" : comme si en elle, le fait que Dieu existe, et nous parle, et nous écoute, n'avait plus d'importance (Il Dio vicino, Edizioni San Paolo, 2003, p. 21).

L'ouvrage dans lequel le cardinal Ratzinger rassemble ses réflexions sur la liturgie est l'"Introduction à l'Esprit de la liturgie", publié en allemand (Eindführung in den Geist der Liturgie) en 1999 (en français: l'esprit de la liturgie, ed Ad Solem http://tinyurl.com/29ug9pn ). Avec ce livre - qui jusque dans son titre se rapporte à l'oeuvre qui a marqué le début du mouvement liturgique en Allemagne : "L'esprit de la liturgie" de Romano Guardini (1918) - le cardinal Ratzinger se fixait pour but de donner vie à un nouveau 'mouvement liturgique', "un mouvement vers la liturgie et vers sa célébration correcte, extérieure et intérieure"( p. 6) . Un tel propos s'explique par le fait que quelque chose dans la réforme liturgique promue par le Concile Vatican II n'a pas fonctionné . Dans la préface à l'ouvrage mentionné , le cardinal Ratzinger a recours à une comparaison efficace pour expliquer ce qui s'est passé dans l'Église pendant et après le Concile:

"On pourrait dire que la liturgie était alors - en 1918 - à certains égards, semblable à une fresque qui avait été conservée intacte , mais qui avait été presque entièrement recouverte d'enduits successifs: dans le missel , avec lesquel le prêtre la célèbrait, sa forme était pleinement présente , telle qu'elle s'était développée depuis ses origines , mais pour les croyants elle était en grande partie cachée par des instructions et des formes de prière, de caractère privé. Grâce au mouvement liturgique et - de manière définitive - grâce à Vatican II , la fresque a été découverte et un instant nous sommes tous restés fascinés par la beauté de ses couleurs et de ses figures. Mais en même temps , à cause de différentes erreurs de restauration ou de reconstruction, et de la gêne occasionnée par la masse des visiteurs , cette fresque a été gravement mise en péril et menace de tomber en ruine à moins de prendre les mesures nécessaires pour éliminer rapidement ces influences néfastes . Bien sûr, il ne faut pas la couvrir à nouveau d'enduit, mais une nouvelle compréhension de son message et de sa réalité est nécessaire, pour que sa mise à la lumière ne représente pas la première étape de sa ruine" (Pp. 5-6) .

Il me semble que cette comparaison exprime bien l'opinion du cardinal Ratzinger sur la réforme liturgique, et sa conviction que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour empêcher "la fresque" de la liturgie d'être définitivement perdue.
Dans d'autres déclarations, le jugement du cardinal Ratzinger est encore plus explicite et drastique:
"Le résultat [de la réforme liturgique] n'a pas été une réanimation , mais une dévastation [...]. A la place de la liturgie, fruit d'un développement continu, on a mis une liturgie fabriquée . On a quitté le processus vivant de croissance et de développement pour entrer dans la fabrication. On n'a plus voulu du 'devenir' et de la maturation organique de Dieu qui vit à travers les siècles, et on l'a remplacé, en guise de production technique, par une banale fabrication du moment"( Préface à Klaus Gamber "La Réforme liturgique en question", Le Barroux , 1992) ;

"[Dans la réforme liturgique] on a détruit l'édifice ancien et on en a construit un autre, tout en utilisant le matériel dont était faite l'ancienne construction et en utilisant les projets antérieurs " (Ma vie, p. 114) .

Dans une interview au journal français La Croix, le 28 décembre 2001 , le cardinal Ratzinger en arrivait à préconiser une "réforme de la réforme" :

"Certains experts voudraient nous faire croire que toutes les idées qui ne sont pas parfaitement conformes à leurs schémas sont un retour nostalgique vers le passé [...]. Ils ne le disent que par parti-pris. Nous devons sérieusement réfléchir aux choses et ne pas accuser les autres d'être partisans de Saint Pie V [...]. Chaque génération a le devoir d'améliorer et de rendre la liturgie plus conforme à l'esprit des origines . Et je crois qu'effectivement, aujourd'hui, il y a lieu de beaucoup travailler en ce sens, et de réformer la réforme . Sans révolution (je suis un réformiste , pas un révolutionnaire) , mais il doit y avoir un changement . Déclarer impossible a priori toute amélioration me semble un dogmatisme absurde."

* * *

Le 19 avril 2005 le cardinal Joseph Ratzinger est devenu Benoît XVI . D'habitude, quand on assume une charge quelle qu'elle soit, on est forcé, pour des raisons de convenance, d'abandonner l'âpreté de ton dans les déclarations; mais il est également vrai que , d'en haut, la plupart du temps on voit les choses sous un jour différent, qui permet souvent de redimensionner les jugements précédemment formulés. Evidemment, nous ne pouvons pas savoir ce qui s'est passé dans l'esprit de Joseph Ratzinger après l'élection à la papauté . Du reste, ce n'est pas si important de savoir ce que pense le pape actuel en tant que "Docteur privé"; ce qui importe, c'est ce qu'il fait en tant que pasteur suprême de l'Eglise . Eh bien, quelles ont été les interventions de Benoît XVI dans le domaine liturgique au cours de ces cinq années de son pontificat ?

Peut-être que ceux qui s'attendaient à une révision immédiate de la réforme liturgique ont été déçus. La seule modification formelle apportée dans le rituel de la messe, dans ces années, a été l'introduction dans "la IIIe édition modifiée" du Missel latin, de trois formules alternatives de congé (à côté du traditionnel " Ite , missa est ") , modification par ailleurs suggérée par le Synode des évêques sur l'Eucharistie de 2005 et déjà présente dans plusieurs traductions du Missel (dont l'italienne ) . Un peu à court pour ceux qui s'attendent à des changements radicaux .

On a récemment annoncé l'approbation finale de la nouvelle traduction anglaise du Missale Romanum : un événement qu'on peut certainement qualifier d'historique, étant donné l'impact qu'il aura sur des millions de fidèles à travers le monde; mais qui ne modifie en rien le rite de la messe ( il s'agit simplement d'une traduction plus fidèle , littérale , du Missel Latin de Paul VI , selon les règles adoptées en 2001, avec l'instruction Liturgiam authenticam).

Qu'en est-il alors de la "réforme de la réforme"?
Benoît XVI n'a jamais utilisé cette expression au cours de ces dernières années , même si elle continue à être d'un large usage parmi les adeptes de ce "Mouvement liturgique" , qu'il appelait de ses voeux dans "l'Introduction à l'Esprit de la liturgie", et qui a effectivement émergé ces dernières années (qu'on pense par exemple au New Liturgical Movement répandu dans les pays de langue anglaise) .
Benoît XVI aurait donc renié toutes les déclarations faites comme cardinal ?
Même s'il n'est jamais intervenu directement pour changer la liturgie , et ne s'est jamais exprimé officiellement, Benoît XVI n'en a pas moins adopté un certain nombre de mesures , qui permettent d'avoir un aperçu de sa «politique» dans le domaine liturgique .

En premier lieu, les célébrations liturgiques qu'il a présidées ont assumé au cours des dernières années un style différent. Les éléments les plus frappants de ce nouveau style sont les chandeliers et le crucifix (généralement de facture traditionnelle) remis sur l'autel, et la communion distribuée sur la langue aux fidèles agenouillés, en plus de la réutilisation d'anciennes parures liturgiques . Naturellement, il ne s'agit pas de l'imposition de règles contraignantes pour tous, mais seulement d'une proposition offerte à tous ceux qui veulent la suivre librement.

Une décision qui a fait beaucoup parler a été la libéralisation des livres liturgiques préconciliaires, qui s'est produite avec le motu proprio Summorum Pontificum en 2007 . Beaucoup ont pensé qu'il s'agissait d'un désaveu de la réforme liturgique , mais dans le document - et surtout dans la lettre d'accompagnement - il est expliqué qu'il ne s'agit en aucune façon de remettre en cause la réforme : on veut juste donner aux fidèles qui le désirent la possibilité de célébrer la liturgie selon ce qu'on appelle aujourd'hui la "forme extraordinaire" du rite romain (restant "forme ordinaire" celle qui a résulté de la réforme liturgique promue par le Concile Vatican II et a été approuvée par Paul VI) . Dans sa lettre aux évêques , toutefois, Benoît XVI ne cache pas une intention qui reprend en quelque sorte les vœux qu'il avait formulés quand il était encore le cardinal :

"Les deux formes de l'usage du rite romain peuvent s'enrichir réciproquement : dans l'ancien Missel peuvent et doivent être insérés de nouveaux saints et quelques-unes des nouvelles préfaces [...]. Dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI pourra se manifester, avec plus de force que cela n'a été jusque-là , la sacralité qui attire beaucoup de gens vers l'usage ancien".

De ce passage, on croit comprendre que le Pape a , au moins pour le moment , renoncé à toute forme d'intervention directe sur la liturgie et a opté pour une attitude plus soft : plutôt que de modifier les rites de façon autoritaire, on dirait qu'il préfère que l'ancienne liturgie , désormais libéralisée , et les cérémonies pontificales , qui ont retrouvé une aura de solennité , exercent progressivement leur influence sur les célébrations liturgiques ordinaires .
Une politique si discrète obtiendra-t-elle le résultat souhaité ? Nous verrons.

Dans tous les cas , il semblerait que la tant vantée "réforme de la réforme" ait été au moins temporairement mise de côté . À dire vrai, l'été dernier des rumeurs étaient parues dans la presse sur d'éventuelles adaptations des rites liturgiques , rapidement démentie par le Saint-Siège . À l'automne , toutefois, le Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements , le cardinal Antonio Cañizares Llovera , dans une interview à Catalunya Cristiana, a confirmé que son ministère a examiné la question :

"Ce que je peux dire, c'est que c'est une période très importante pour tout le monde , nous avons travaillé dur , il y a eu une séance plénière de la Congrégation , et des propositions ont été élaborées, que le Saint-Père a approuvées et qui forment la base de notre travail . Le grand objectif est de revitaliser l'esprit de la liturgie à travers le monde [...]. La question la plus urgente , et dont on ressent l'urgence à l'échelle mondiale , c'est que le sens de la liturgie doit être retrouvé. Cela ne signifie pas simplement changer les rubriques ou introduire de nouvelles choses , mais il s'agit tout simplement de ce que la liturgie doit être vécue et être le centre de vie de l'Église [...]. Nous devons récupérer ce qui n'aurait jamais dû se perdre . Le plus grand mal qui a été fait à l'homme a été de tenter d'éliminer de sa vie la transcendance et la dimension du mystère".

Comme vous pouvez le voir, le cardinal Cañizares n'entre pas dans les détails , mais confirme qu'on travaille à une "réforme la réforme ". Toutefois, on croit comprendre qu'il ne s'agira pas tant de changements radicaux aux rites existants , mais plutôt d'un repositionnement de la liturgie au centre de la vie de l'Église et d'une récupération du sens du mystère , qui doit à nouveau caractériser le culte divin ( par quels moyens, on verra) .
Et là-dessus, je pense que tout le monde peut s'entendre .