L'ami du pape, le cousin de Berlinguer, le spécialiste du cardinal Newman, le radio amateur, le personnage d'un roman d'espionnage... et les "révélations" sur le 11 septembre (20/8/2010)

Cela peut paraître étrange, dans un site français consacré à Benoît XVI de parler d'un homme politique (ou un homme d'état) italien que pratiquement personne ne connaît chez nous.
Il arrive qu'au hasard de lectures, vous rencontriez des personnalités qui vous fascinent, ou qui simplement vous attirent. Elles peuvent même n'être plus de ce monde depuis longtemps, et je puis dire que cela m'est plusieurs fois arrivé. Une des rencontres de ce type, parmi les plus marquantes de ma vie, a été celle avec Louis XVI, auquel j'ai consacré mon premier site.
Bref, j'ai rencontré, pas vraiment par hasard, puisque c'est par l'intermédiaire de Benoît XVI (1) - et tout de suite aimé - la personnalité de Francesco Cossiga. Disons que c'est une sympathie qui doit plus à l'intuition qu'à la raison, d'autant plus que je ne connais pas vraiment son parcours politique, et que des lecteurs mieux informés pourraient fort bien me faire observer qu'il lui est arrivé de faire ou dire de drôles de choses (2).
De toutes façons, un homme qui aime à ce point Benoît XVI ne peut pas être mauvais.
Et l'homme que j'ai découvert ainsi me plaît beaucoup. Il était libre, pas dans le sens que le politiquement correct donne aujourd'hui à ce terme.
C'est pourquoi j'ai traduit ces articles parus dans la presse italienne, à titre d'hommage posthume.

D'abord, une interviewe de son confesseur, Mgr Paglia. Bien loin de l'hagiographie (ce dont on sait gré au prélat), elle n'en contient pas moins un aspect exemplaire: pour Francesco Cossiga, la foi catholique d'un homme politique n'était pas cantonnée au domaine privé. C'était un engagement public.
Et on ne peut s'empêcher de voir un signe dans le fait que Francesco Cossiga soit "parti" alors que le Pape qu'il aimait s'apprêtait à béatifier le Cardinal Newman auquel il vouait une passion.

Et puis, le bref billet de Paolo Rodari, qui a retenu l'image du radio amateur "Silent Key".

Interviewe de Mgr Paglia


Le témoignage de Mgr Vincenzo Paglia, le confesseur de Francesco Cossiga
Mgr Vincenzo Paglia, confesseur de l'ex-chef de l'état: "Il avait une religiosité tourmentée, qui ressentait les scupules"
"Il a récité jusqu'à la fin les prières du Cardinal Newman"
------------------
"Dans les derniers mois, quand il avait commencé à sentir le brouillard s'épaissir, Francesco Cossiga s'était mis à prier avec plus d'intensité, avec une prière du cardinal Newman: il demandait à mourir comme il avait vécu, restant dans la foi, dans l'Eglise, à son service, et dans son amour", rappelle Mgr Paglia, évêque de Terni.

- C'est vous qui lui avez donné l'extrême onction?
- Non, c'est l'aumônier de la Polyclinique Gemelli. Moi, j'étais son confesseur. De moi, il a voulu, et accueilli, le pardon pour ses péchés, à l'hôpital, peu avant de perdre connaissance. C'était un homme à l'ancienne, et de tradition, Cossiga, et il ne pouvait pas vivre sans avoir un confesseur. Par exemple, il ne s'approchait jamais de la Sainte Communion sans s'être confessé, même si ce n'était pas nécessaire."

- Pourquoi le faisait-il?
- Il me disait, ironique: "Communier sans se confesser, c'est une affaire de Vatican II, moi, je suis un catholique à l'ancienne". Voilà: il avait une religiosité tourmentée, qui ressentait les scrupules. De même que c'était un homme complexe, entré à pieds joints dans la politique, avec ses hauteurs et ses bassesses, jamais dans la banalité.

- Comment êtes-vous devenu le confesseur de Cossiga?
- Il m'a téléphoné à l'improviste à cinq heures du matin, et il me l'a demandé parce que son confesseur précédent venait de mourir.

- Les lettres de congé de ses hautes charges institutionnelles contiennent une profession de foi catholique. Cela vous a t-il surpris?
- Pas du tout, et ce n'est pas un hasard. Francesco Cossiga n'a pas vécu la foi de manière privée, mais comme une impulsion à dépenser sa vie pour le bien commun. Il avait été éduqué dès ses années de jeunesse par l'Action Catholique. Du reste, c'est un évêque qui le poussa en politique.

- Qui?
- L'évêque se Sassari. Et même, à ce propos, je me rappelle qu'il racontait toujours un épisode sur Paul VI, lequel lui repprocha avec bienveillance , quand il le rencontra dans la peau d'un homme de gouvernement: "Je vois où a fini ton engagement universitaire, et pourquoi tu n'as pas voulu t'engager dans la FUCI...

- Vous avez dit que jusqu'à la fin, Cossiga priait avec les prières du cardinal Newman...
- Un des passe-temps annuels de Cossiga, auquel il se consacrait personnellement, était l'impression d'un petit fascicule de prières qu'il offrait à ses amis. Sa préférée, qu'il récitait pratiquement chaque jour, et savait par coeur, était celle-là:
-----------
Garde-moi avec une lumière bienveillante dans les ténèbres qui m'entourent.
Guide-moi!
La nuit est sombre.
Je suis loin de la maison.
Guide-moi.
Soutiens mon chemin.
Je ne demande pas à voir l'horizon lointain.
Un pas à la fois, cela me suffit.
------------
En particulier, les deux dernières invocations, il se les appliquait à la lettre à lui-même.

- Pourquoi Newman?
- Parce que, comme me l'a dit tant de fois le Président, Newman était théologien, et un libéral en politique, comme lui. Newman, pour Cossiga, représente le savant qui exaltait la conscience du croyant, et l'amour pour l'Eglise. Ceux qui connaissent bien la maison du président savent que parmi ses livres, il y avait un espace spécial consacré à l'oeuvre complète du cardinal anglais.

- Cossiga était aussi l'homme des secrets. Mais le héros de Le Carré, l'espion qui venait du froid, ne trouve la paix que lorsqu'il meurt: "Enfin au chaud". Le roman de Francesco Cossiga finirait-il ainsi?
- Je crois que oui. Un jour, il me dit : " Savez-vous quel est la différence entre moi et mon cousin Enrico Berlinguer (3)? Lui, il pense que le paradis, on peut le construire sur terre, et moi, que c'est un don, et qu'il viendra après la mort. Et c'est le souhait que nous lui faisons aujourd'hui.

M. Antonietta Calabro.
Il Corriere della Sera, 19/8/2010
(ma traduction)

 

Le témoignage de Paolo Rodari


Cossiga: "IOFCG" est en SK
18 août 2010
http://www.paolorodari.com/...
--------------
J'aurais tellement de choses à dire sur Francesco Cossiga . Je l'ai rencontré quand je suis arrivé au Riformista (le journal où écrivait Rodari avant d'intégrer la rédaction de Il Foglio, ndt). Je suis allé chez lui plusieurs fois pour de longues et très divertissantes conversations. "Bonjour Vaticaniste", me disait-il quand j'entrais (..)

Cossiga aimait Joseph Ratzinger . Il était papalino (ndt: que je traduirais par "fan du pape"?) . Il se définissait catholique libéral.

Tout le monde peut parler de Cossiga à volonté. Je préfère ne rien dire de plus. Sinon rappeler un trait curieux : il était radio-amateur , son nom de code était IOFCG ( ITALIE ZERO FOXTROT GOLF CHARLIE ). Quand on meurt , parmi les radio-amateurs, on dit qu'on est "en SK" , c'est-à-dire "Silent Key"
Donc, pour ses amis radio-amateurs aujourd'hui IOFCG est SK . Lire ici: "Le Président radio-amateur n'est plus".

 

Le personnage de roman d'espionnage (2)


(Lu sur le site
Agoravox, je n'ai aucune idée sur lacrédibilité des informations...)

Etonnantes déclarations de l’ancien président italien Cossiga au sujet du 11 septembre 2001
(Article de décembre 2007)
----------------------
Francesco Cossiga, un des présidents de la République qui a le plus marqué l’histoire politique italienne récente, vient de faire une déclaration incroyable au Corriere della Sera, un des principaux quotidiens du pays : selon ses dires l’attaque du 11 septembre 2001 aurait été planifiée et exécutée par la CIA et le Mossad... Coup de folie ? Illumination ? Provocation ? Quoi qu’il en soit pratiquement aucun média traditionnel n’a repris cette étonnante affirmation.
Après le « coming-out », tout aussi peu médiatique, de Jean-Pierre Chévènement en 2006, voici venu le tour d’un autre ministre de la Défense et de l’Intérieur, devenu en 1985 président de la République italienne.

Des déclarations étonnantes et peu médiatisées
---------------------
Les déclarationsdu président Francesco Cossiga du 30/11/2007, à la principale agence italienne (Ansa) et reprises par le Corriere della Sera(700 000 lecteurs quotidiens), ne peuvent laisser personne indifférent. En effet, en faisant référence à un récent enregistrement attribué au chef d’Al-Qaeda, voici ce que déclare le sénateur à vie italien :

"[Dans cet enregistrement] Ben Laden aurait confessé être l’auteur de l’attaque du 11 septembre 2001 sur les deux tours de New York, alors que tous les milieux démocrates américains et européens, et parmi eux le centre gauche italien, savent très bien que cette attaque désastreuse a été planifiée et exécutée par la CIA américaine et le Mossad avec l’aide du monde sioniste afin d’accuser les pays arabes et pour persuader les puissances occidentales d’intervenir tant en Irak qu’en Afghanistan."

Curieusement, dans son article, le Corriere della Sera ne met pas trop l’accent sur cette incroyable déclaration de Cossiga, mais insiste davantage sur les accusations que Cossiga lance à Berlusconi. En effet tant le titre que le sous-titre ainsi que le chapeau de l’article se focalisent sur une polémique entre Cossiga et Berlusconi. Plus précisément, en faisant référence à l’enregistrementen question (dans lequel Ben Laden « menace » Berlusconi, Sarkozy, Brown, Blair et Aznar). Cossiga déclare qu’il ne s’agit en réalité que d’un montage fictif réalisé dans les studios télévisés (Mediaset) de l’ancien Premier ministre italien... Etonnante déclaration.

Cossiga précise par ailleurs que ce piège a été élaboré afin de créer une vague de solidarité en faveur de Berlusconi au moment même où le Cavaliere était mis en cause par des informations concernant les collusions entre les chaînes publiques de la RAI et les chaînes privées de son groupe Mediaset. En effet, comme le précise une récente dépêche de l’AFP, Berlusconi a été récemment accusé d’avoir infiltré la RAI pendant sa propre présidence au sommet du gouvernement...

Silence radio sur les médias traditionnels. Ceci est d’autant plus étrange qu’habituellement les médias italiens adorent reprendre et commenter à l’infini les déclarations de l’ancien président...

Un président respecté, parfois craint mais pas toujours fiable
-----------------------
Francesco Cossiga n’est pas n’importe qui. Comme nous le rappelle Wikipedia,
« professeur de droit constitutionnel à l’université de Sassari, entré tout jeune dans la Démocratie chrétienne, proche de l’ancien président de la République Antonio Segni, Francesco Cossiga a finalement rejoint l’aile progressiste de son parti, dont le chef était Aldo Moro. Député de 1958 à 1979, sénateur de 1979 à 1985, il a été deux fois sous-secrétaire d’Etat à la Défense (1966-1970) et cinq fois ministre (1974-1978). En particulier, il a été ministre de l’Intérieur de janvier 1976 à mai 1978. Il a re-structuré la police italienne, la protection civile et les services secrets. Il était ministre de l’Intérieur au moment du kidnapping et du meurtre d’Aldo Moro par les Brigades rouges. Il démissionna quand Moro fut retrouvé mort, Via Michelangelo Caetani, le 9 mai 1978. Il a exercé les fonctions de président du Conseil des ministres italien dans deux gouvernements successifs (...). Il a été élu président du Sénat en juin 1983. Il a ensuite exercé, de juin 1985 à 1992, les fonctions de président de la République italienne. Il est élu à une majorité écrasante de députés, de sénateurs et de délégués des régions, y compris ceux du Parti communiste italien qui étaient dans l’opposition. A partir de 1990, il a pris ses distances de la Démocratie chrétienne et ses déclarations (les « esternazioni ») à la presse et à la télé se sont faites fracassantes. Il démissionna de son poste en avril 1992, donc deux mois avant la fin de son mandat, pour protester contre certains aspects du système politique italien ».

D’une manière générale, même s’il aime souvent mêler vérités, ironie et bluff dans ses attaques, il est globalement respecté par une bonne partie de la classe politique italienne pour son passé, pour son honnêteté intellectuelle et pour son franc parler même si certains affirment en rigolant qu’il est devenu fou depuis quelques années... En même temps, ses déclarations et ses attaques passées le font aussi craindre par certains hommes politiques et industriels (cf. le réseau Gladio plus bas). Cossiga est connu par ailleurs pour ses réflexions "assassines" qui lui ont valu le surnom de "picconatore" (celui qui démolit un mur à coups de pioche).

Cela dit, il possède aussi une tendance à attaquer tous azimuts ses adversaires pour ensuite tout oublier... Cette attitude énigmatique laisse craindre à certains qu’en réalité les déclarations de Cossiga sur le 11/09 seraient une pure provocation, voire du second degré ou un simple piège (même le député Giulietto Chiesaqui pourtant ne croit pas à la théorie officielle des attentats semble avoir quelques doutes)... Mais quelle serait sa motivation à se décrédibiliser ainsi si tel était le cas ? Par ailleurs, il est utile de rappeler que les doutes de Cossiga au sujet du 11-Septembre remontent à 2001. En effet, Cossiga a soupçonné, tout de suite après les attentats, des complicités à l’intérieur du système de sécurité américain (cf. l’interview dans le quotidien italien La Stampa le 14 septembre 2001, reproduite dans l’ouvrage de Griffin Tarpley).

Cossiga et le réseau Gladio
-------------------
Pour mieux cerner Cossiga, sa personnalité et son rôle dans l’histoire récente italienne, il est utile de se remémorer ce qu’a été l’organisation Gladio dont Cossiga était membre et qu’il a contribué à faire connaître au grand public à la fin de son mandat présidentiel (avec également Giulio Andreotti). Wikipedia offre une synthèse assez claire de ces événements troubles de l’histoire récente italienne et européenne :

"Gladio (Glaive en italien) désigne le réseau italien des stay-behind, cette structure clandestine de l’Otan créée après la Seconde Guerre mondiale pour parer à une menace d’invasion soviétique. On désigne couramment par ce nom l’ensemble des armées secrètes européennes (...).
Gladio a été mis en place dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale sous l’égide de la CIA et du MI6, comme structure de l’Otan répondant directement au SHAPE. Cette structure avait comme fonction de « rester derrière » en cas d’invasion soviétique, afin de mener une guerre de partisans. Dans cet objectif, des caches d’armes étaient disposées un peu partout.

Cependant, sous direction de la CIA, Gladio aurait aussi tenté d’influencer la politique de certains pays, notamment en Italie, en Grèce ou en Turquie. Ces influences furent désignées en Italie par l’expression « stratégie de la tension », qui aurait débuté avec l’attentat de la place Fontana, à Milan le 12 décembre 1969, qui devait, selon Vincenzo Vinciguerra, pousser l’État italien à déclarer l’état d’urgence [avec l’aide de la loge maçonnique P2]. Le massacre de la gare de Bologne, de 1980, est également imputé par certains à Gladio. (...)

Le Premier ministre italien Giulio Andreotti a confirmé qu’en 1964 les renseignements militaires italiens avaient rejoint le « comité clandestin allié » dont les États-Unis, la France, la Belgique, la Grèce faisaient notamment partie."

Conclusion
Difficile de se faire une opinion sur cette histoire abradacabrantesque. Une seule chose est sûre : depuis plusieurs mois la désinformation autour du 11-Septembre atteint son paroxysme comme le démontre notre dossier ainsi que l’article de ce jour d’Eric Laurent consacré à la guerre en Iran.

Au sujet de Cossiga, il est peut-être devenu fou, néanmoins il demeure sénateur à vie, activement impliqué dans la vie politique et médiatique de son pays. D’ailleurs, depuis la victoire d’un souffle de Prodi sur Berlusconi, ses votes au sénat ont été souvent déterminants pour empêcher le gouvernement actuel de tomber... Toute la presse italienne commente abondammentle dernier vote salvateur de Cossiga (le 7 décembre dernier), mais n’évoque absolument pas ses déclarations de la semaine précédente... Ce qui fait dire à l’AFP que le gouvernement Prodi reste suspendu à un fil. Un fil bien difficile à dérouler apparemment...

 

Notes

(1) C'était à l'occasion de la gay pride de Rome en 2007 (cf http://beatriceweb.eu/... ).
Dans sa "lettre d'excuses" au pape, Cossiga écrivait:
(...) même si je ne représente que moi-même, et c'est très peu - même si je pense que beaucoup de romains, catholiques ou non, au moins au nom de la bonne éducation et de l'esprit d'hospitalité pensent comme moi -, je suis certain que vous voudrez bien accepter ces excuses de celui qui fut votre ami très affectionné (le théologien, même cardinal, était une chose, même pour un "catholique de base" le Pape en est une autre !) et qui reste votre fidèle et dévoué Francesco Cossiga.
(2) cf ci-dessus: Le personnage de roman d'espionnage (2)
(3) Homme politique italien issu de la noblesse sarde (1922-1984) qui fut secrétaire du parti communiste italien de 1972 jusqu'à sa mort. http://fr.wikipedia.org/wiki/Enrico_Berlinguer