Quand John Allen (qui réagit à son tour à l'ouvrage des deux vaticanistes Tornielli-Rodari) se rêve en "spin doctor" de Benoît XVI (28/8/2010)

Sur le sujet:
>>> Attacco a Ratzinger
>>> Les trois ennemis de Benoît XVI
>>> Une lettre du Suisse Romain

John Allen commente à son tour le livre de Tornielli et Rodari.
Simple renvoi d'ascenseur de sa part, puisque ces derniers le citent comme l'un des meilleurs spécialistes du Vatican.

Il résume donc la substance d'un livre qui pourrait devenir une référence pour un début d'histoire du Pontificat, en en relevant les "points forts"; ce qui n'apprend rien de nouveau par rapport à l'article de Massimo Introvigne - sinon des détails.
Par exemple, juste avant que n'éclate l'affaire Williamson, alors que le décret levant l'excommunication des évêques ordonnés par Mgr Lefebvre allait être publié, il semblerait qu'un "brain storming" ait rassemblé les plus hauts responsables du Vatican (hors le Pape, bien sûr) pour en discuter.
Or, dit Allen, il y avait deux absents de marque: le Père Lombardi, qui devait s'expliquer devant la presse (certes!), et le cardinal Kasper, qui devait s'expliquer devant les juifs.
Même si cette information figure dans le livre, le choix d'en parler dans l'article donne le ton.

L'article de John Allen est très long, il énumère les différentes affaires, analysant leur traitement "catastrophique" par les sommets de l'Eglise et la "communication" du Saint-Siège, et en suggère même deux ou trois autres, auxquelles j'avais moi-même pensé.

J'ai choisi de traduire la partie la plus originale, la plus américaine: la dernière.
Pour John Allen, très clairement, et une fois de plus, l'Eglise est une multinationale, et les attaques contre le Pape "une affaire de PR" (public relation). Un point de vue qui réduit considérablement son angle de vue, même si c'est avec les meilleures intentions du monde: faire passer au mieux le message du Pape. Oui, mais avec quelles méthodes?
J'ai remarqué par ailleurs que la thèse défendue par John Allen, celle des erreurs de communication du Saint-Siège, et du Pape, rencontre le plus de faveurs parmi les catholiques libéraux, et globalement, la gauche papophobe (1).
Cela ne doit pas étonner: cette manoeuvre leur permet de dédouaner la presse, en détournant l'attention de leur propre rôle.

Au final, l'article est plus intéressant par ce qu'il révèle de son auteur et du mouvement qu'il représente au sein de l'Eglise, que par la qualité de la recension du livre des deux vaticanistes.
Article original en anglais ici:

'Attack on Ratzinger': Italian book assesses Benedict's papacy
by John L Allen Jr
http://ncronline.org/...
Ma traduction (de la dernière partie):

Il se trouve que j'ai lu "Attacco a Ratzinger" après un article du New York Time (ndt: !!!) de dimanche dernier, examinant trois catastrophes "PR" (ndt: i.e. dans le domaine des relations publiques) dans le monde de l'entreprise : BP , Goldman Sachs , et Toyota . L'article faisait référence à un essai provocateur signé Eric Dezenhall , un ancien conseiller de Ronald Reagan , intitulé "Toute publicité n'est pas une bonne publicité" .
Intrigué , j'ai cherché l'essai , qui était cité dans le numéro de Juillet-Août du magazine Ethical Corporation .

Aujourd'hui PDG de sa propre agence de communication, Dezenhall démystifie huit "marronniers" (ndt: dans le texte chestnut, je ne sais pas vraiment comment traduire) propagées par des gourous de la communication , dont la principale est l'idée que chaque crise est une opportunité. (l'équivalent catholique serait je suppose que chaque crise est un "apprentissage" )

" Foutaises", dit Dzenhall: "Une crise est une agression", écrit-il, et "le but est d'en sortir vivant , et non pas de s'en tirer avec tout son argent et l'estime de soi" .

- Pourquoi une agression ?
- A cause de la nature des catastrophes "PR" (i.e. communicatives) du XXIe siècle , alimentées par ceux que Dezenhall nomme "capitalistes (profiteurs) de crise" - des gens qui se précipitent au moment où quelqu'un est en difficulté parce qu'il y a de l'argent ou de la célébrité à récupérer. ( Massimo Introvigne , l'un des experts interrogés par Rodari et Tornielli , a un autre mot pour la même réalité - qu'il appelle les « entrepreneurs de morale ». ). Selon Dezenhall, ce terme recouvre journalistes , victimes , blogueurs , tweeters , avocats, législateurs , organisations non gouvernementales , militants , sources anonymes , experts techniques , analystes , chiens de chasse des medias (journalistes d'investigation?) , opportunistes divers, et une floppée d'experts de crise amateurs.

La conclusion semble évidente : d'un point de vue "PR" , peu importe qu'on soit prêt à vous sauter dessus, parce que quand une crise éclate, la dynamique du marché pousse les gens à agir ainsi. Le but, donc, n'est pas de les convaincre de ne pas vous agresser. Le but est de ne pas leur faciliter la tâche.

Voici donc une "étude de cas" sur les sujets que Rodari et Tornielli ont effleurés , mais pas vraiment développés.

Lorsque Benoît XVI s'est rendu au Cameroun et en Angola en Mars 2009, la couverture du voyage en Occident a été dominée par les commentaires du Pape sur les préservatifs, à bord de l' avion papal . Au cours d'une brève séance avec la presse , le journaliste français Philippe Visseyrias avait demandé à Benoît XVI de se prononcer sur l'impression que la position de l'Eglise sur le VIH / sida "n'était pas très réaliste ni efficace" . ( Notez que Visseyrias n'a pas utilisé le mot « préservatif », et la formulation de sa question ne nécessitait pas que le Pape en fasse usage. )

Benoît répondit que les deux pierres angulaires de l'approche de l'église étaient l'humanisation de la sexualité , et une amitié sincère avec les gens qui souffrent . En passant, il a ajouté que les préservatifs n'étaient pas la solution au SIDA, mais , en fait, aggravaient le problème .

De façon prévisible, ce dernier point devint le principal de la couverture médiatique , et il s'ensuivit des protestations massives , en particulier en Europe . Le gouvernement espagnol annonça qu'il allait expédier un million de préservatifs en Afrique à titre de réplique , et le parlement de Belgique blâma officiellement le pape . Du point de vue de la presse mondiale , le reste des six jours de Benoît en Afrique pourrait aussi bien avoir eu lieu sur la face cachée de la lune (ndt: cela aurait été le cas de toutes façons. Les medias ne s'intéressent pas au Pape, sauf lorsqu'il s'agit de polémiquer sur trois ou quatre sujets bien précis: préservatifs, relation avec les juifs, homosexualité - et maintenant, affaires de pédophilie. Il suffit de regarder la couverture - pratiquement nulle - du voyage en République tchèque, ou à Chypre, pour s'en convaincre) .

Quelques jours après, trois autres points ont émergé , aucun avec la même force que la remarque initiale du pape :

• Il y a une base empirique à l'allégation selon laquelle une large distribution de préservatifs n'est pas la meilleure stratégie de lutte contre le sida .
Les recherches menées par Edward C. Green de l'Université de Harvard montrent que les programmes mettant l'accent sur l'abstinence et la fidélité conjugale ont fait baisser les taux d'infection avec plus de succès que ceux qui se fondent principalement sur les préservatifs . Green dit que c'est pour trois raisons: souvent, les gens n'utilisent pas le préservatif correctement; ils cessent de l'utiliser quand ils croient connaître l'autre personne; et les préservatifs générent un faux sentiment de sécurité qui induit les utilisateurs à adopter des comportements à haut risque .

• Quoi que l'on pense de l'affirmation que le préservatif aggrave le sida , Benoît XVI ne faisait que répéter une déclaration faite par une grande partie des évêques catholiques, et d'autres dirigeants religieux en Afrique . Mgr John Onaiyekan d'Abuja, au Niger , a déclaré: " Le pape n'est pas le seul à le dire . Les ONG qui veulent promouvoir le préservatif dans mon pays rencontrent une forte résistance de nombreuses autres organisations et mouvements , y compris la communauté musulmane dans son ensemble" .

• Beaucoup de spécialistes laïcs du SIDA en Afrique , sans liens avec l'Eglise catholique , sont également de cet avis. Par exemple , Vanessa Ballas , un médecin non-catholique au Cameroun, qui soigne les malades du SIDA , m'a dit à l'époque, "avec le préservatif , les gens pensent qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent . Il encourage simplement à s'engager dans des comportements sexuels à risque. Je l'ai vu moi-même ... ils prennent autant de risque que possible". Insistant avec émotion sur le fait qu '"il est incroyablement difficile de voir des jeunes qui meurent du SIDA", Ballas a dit que la solution "n'est pas le préservatif, mais un changement de comportement " .

Pour mémoire, le pape n'a pas été pris au dépourvu par la question de Visseyrias . Le porte-parole du Vatican , le jésuite Federico Lombardi , recueille les questions des journalistes quelques jours avant un voyage , et en choisit deux ou trois qui semblent être les plus fréquentes, puis les soumet au pape à l'avance.

Qu'on nous permette de penser que Benoît XVI n'aurait pas été en Afrique sans éluder la question du sida et des préservatifs . Qu'on nous permette aussi de stipuler que les responsables du Vatican auraient pu et auraient dû anticiper que le moindre propos de Benoît XVI attirerait un grand intérêt , courant ainsi le risque d'être déformé ou caricaturé .

Dans cette situation, à quoi aurait pu ressembler une meilleure stratégie anti-agression?


Tout d'abord, l'objectif principal du voyage de six jours de Benoît XVI était de jeter un coup de projecteur sur l'Afrique , en particulier sur le dynamisme de l'Eglise catholique sur le continent . Ainsi, lorsque la question du sida est arrivée, dans l'avion, Benoît XVI aurait pu dire quelque chose comme: "C'est une question très importante , et j'en parlerai dans deux jours lors de ma visite au Cardinal Léger Center for the Suffering , jeudi . Pour l'instant, cependant, je veux que l'accent soit mis sur les bonnes nouvelles en provenance d'Afrique " . Une telle réponse aurait assuré que les journalistes feraient les titres du jour sur l'ensemble de la situation en Afrique , sans donner l'impression que le pape esquivait la question des préservatifs . Elle aurait également suscité un intérêt mondial lors de sa visite au Centre Léger , l'un des moments les plus visuellement frappants du voyage , puisqu'il mettait le Pape en contact pastoral direct avec des personnes malades et handicapées.
(Ndt: je me demande si John Allen ne vit pas dans le monde merveilleux d'Alice... Négligeant le côté "provocation" délibérée, de la part du Pape. Sans cette provocation, on n'en aurait pas parlé. Benoît XVI, par ses propos décapants, et mûrement pesés, a sciemment libéré la parole, sur un sujet qui sans lui serait resté tabou).

Deuxièmement, quand Benoît a parlé de préservatifs , le Vatican aurait pu s'arranger pour qu'il soit entouré par d'autres leaders religieux africains - évêques catholiques et anglicans , prédicateurs pentecôtistes , imams musulmans , et dirigeants des religions traditionnelles tribales , qui tous auraient fait écho son argument . Ils n'étaient pas difficiles à trouver ; le deuxième jour du voyage j'ai interviewé le grand imam de la mosquée nationale à Yaoundé, la capitale du Cameroun , qui m'a dit que son seul regret au sujet du commentaires du pape , c'est qu'il n'ait pas attendu qu'ils puissent le dire ensemble .

Troisièmement, le Vatican aurait pu prendre des dispositions pour avoir à portée de mains des experts africains du SIDA laïcs, comme Balla , n'ayant aucun lien avec l'Eglise catholique , et qui auraient pu offrir leur expertise à l'appui de l'argumentation du pape. A la fois des leaders religieux et des spécialistes laïcs du sida auraient pu être mis à la disposition des journalistes au centre de presse à Yaoundé , immédiatement après le discours du pape au Centre Léger .

Quatrièmement, Lombardi et ses collaborateurs auraient pu rassembler un dossier d'études empiriques démontrant les limites de la lutte contre le sida fondée sur les préservatifs , avec l'étude de Green, d'Harvard, mentionnée ci-dessus . Ce dossier aurait pu être distribué peu avant le discours du pape , afin qu'il figure dans le premier cycle de récits et de commentaires TV. Les journalistes n'auraient pas eu besoin d'attendre quarante-huit heures avant de lire un rapport sur les travaux de Green dans une tribune du Washington Post - un article, d'ailleurs, qui semble avoir pris le Vatican complètement au dépourvu.

Rien de tout cela n'aurait complètement empêché les protestations contre les propos du pape , d'autant plus qu'il y a un débat légitime à tenir, notamment sur le rôle approprié du préservatif dans la lutte contre le sida . Une telle stratégie , cependant, aurait au moins rendu plus difficile de dépeindre Benoît XVI comme isolé, sans contact , et insensible , ce qui a été le scénario qui a dominé le voyage en Afrique . (ndt: John Allen fait semblant de croire que le sujet du préservatif était pour le Saint-Père le focus unique du voyage. Ce qui est évidemment faux. La haine des journalistes n'avait d'ailleurs, de façon éclatante, rien à voir avec l'emballage - i.e. la façon dont les choses avaient été présentés - mais tout avec le contenu - la substance des propos du Pape)

C'est le genre de réflexion pratique qu'on espère qu'"Attacco a Ratzinger" pourrait stimuler .

Note (1)

Par exemple, la Canard Enchaîné vient de publier un de ses "Dossiers", consacré cette fois aux "dessous du Vatican". Affligeant de vulgarité, mâtiné d'humour potache en dessous de la ceinture, et saupoudré de calembours pitoyables à peine dignes d'un élève de sixième, mais surtout confondant d'ignorance, et même de naïveté!! J'en reparlerai peut-être.
Et dans ce "dossier", il y a une entrée assez longue sous le titre "Com' papale: les voix du Seigneur sont inqualifiables", et en sous-titre: De bourdes en gaffes, de cafouillages en rétropédalages, la communication du pape pèche méchamment. C'est normal: Benoît XVI n'a rien d'une bête de Cène.

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CIC ... (canard intégralement crétin!)