surtout quand elle concerne l'avenir. L' aphorisme génial de Pierre Dac pourrait résumer ce réjouissant texte de Messori, revenant sur une analyse selon laquelle la Chine serait sur le point de devenir la deuxième puissance économique mondiale, dépassant le Japon (30/8/2010)


Vittorio Messori réagit à une information récente issue du Wall Street Journal, abondamment relayée par la presse mondiale.
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La Chine, 2e économie mondiale d'ici décembre ?
Source
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D'ici décembre, la Chine sera la deuxième économie au monde en prenant la place du Japon, selon le Wall Street Journal
Une information que l'on trouve sur son site internet et dans son édition européenne de lundi.

La Chine atteindrait ainsi une position inédite pour un pays en développement. Les experts s'attendent à ce que le Japon soit définitivement supplanté d'ici à décembre.

Article original de Vittorio Messori sur son site www.et-et.it/ .

Ma traduction:

Quand le prophétisme des experts est démenti par l'histoire
Vittorio Messori
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" Tournant historique ": nous y voici de nouveau, avec le défilé habituel d'analyses , de projections, de prévisions . Cette fois, c'est le tour de la Chine , avec son économie qui dépasse celle japonaise . Comme d'habitude , une multitude d'"experts" vont nous dérouler leurs scénarios pour l'avenir de l'Empire du milieu. Mais l'ennui de l'âge (au sens la vieillesse, ndt), c'est l'instinct qui consiste à tourner la page, pour regarder les nouvelles du jour , laissant de côté la futurologie.
Ceux qui , comme moi , étaient au lycée puis à l'Université, à la fin des années cinquante et au début des années soixante sont hyper-vaccinés contre le prophètisme des «experts» .

Commençons par un cas personnel : en 1961, la ville de Turin où je vivais atteignait un million d'habitants . Les sociologues , démographes , économistes , pris au sérieux par les politiciens , prédisaient avec une certitude absolue qu'en 2000, la ville dépasserait les deux millions. Cette année , la population était de 865.000 habitants.
Mais dans ces années-là , dans une enquête de l'Espresso, Eugenio Scalfari (ndt: fondateur de La Repubblica, sorte de Serge July italien, déjà tristement rencontré ici) prophétisait que dans les années quatre-vingt , l'Union Soviétique aurait dépassé en richesse , bien-être individuel et liberté, l'Amérique et l'Europe occidentale elles-mêmes .
A la faculté de sciences politiques , des professeurs, les yeux brillants, parlaient des merveilles de la décolonisation alors en cours. Ils prévoyaient surtout un boom en Afrique : l'économie et la culture "noires" allaient exploser et nous serions surclassés .
Pendant ce temps , les plus vénérés parmi les sociologues publiaient des essais sur l' "éclipse du sacré dans la société laïque". Dans un avenir proche , juraient-ils , nous devions nous attendre à une chute de la religion : elle s'éteindrait ou serait réduite à rien , y compris le christianisme , et l'édit de mort de l'islam était déjà proclamé . Une foi née pour les Bédouins dans le désert , incapable de faire face à la modernité . Il ne pouvait y avoir aucune place pour elle , pour ses préceptes décrépits , dans les nouveux états asiatiques et africains nés de la décolonisation .
Surtout, le Think Tank très écouté des super-experts réunis dans le Club de Rome tenait le haut du pavé: avec l'assurance de ceux qui s'appuient uniquement sur des données sûres, ils annonçaient , implacables , "la fin du développement". D'ici quelques années , les stocks de matières premières seraient épuisés, à commencer par le pétrole. On attendait, bien avant l'an 2000, la régression vers les cavernes par manque des ressources qui nous sont fournies par la Mère Terre .
Mais on s'attendait aussi à une grande glaciation , on allait vers un "Global Cooling".
Il ne s'agit pas d'une boutade ironique destinée aux apôtres actuels du "Global Warming" (ndt: nommé chez nous réchauffement de la planète). Je me souviens qu'en tant que jeune journaliste , j'avais été envoyé à une grande conférence internationale et que j'avais rapporté aux lecteurs l'avis unanime des scientifiques spécialistes du climat : la force du soleil s'affaiblissait à cause de l'écran provoqué par la pollution , nous allions bientôt voir des icebergs dériver sur la Méditerranée . A Venise, on se déplacerait avec des traîneaux et des patins. Même si on y a renoncé à regret , telle était alors , l'obsession de l'apocalyptisme environnemental.
Puis vint l'électronique , et là dominaient les experts qui se basaient sur un best-seller français "Le défi américain" (JJSS, 1968). Une école opposée à celle de Scalfari , une école où on misait sur l'hégémonie yankee. Selon ces experts , tout le secteur de l'électronique du monde entier serait monopolisé par une seule entreprise , IBM . Personne ne serait en mesure d'égratigner son hyper-puissance et aucune technologie, sinon américaine, ne serait en mesure de construire un ordinateur . Moins que quiconque les Japonais , tout justes bons à copier. Mais le pouvoir impérial des Etats-Unis s'imposerait aussi dans l'automobile : les trois géants historiques, General Motors , Ford , Chrysler , avaient déjà accaparé tous les brevets , leurs centres d'étude étaient invincibles , dans tous les continents on ne construirait que sous leur licence . Rien à faire pour les non Américains , y compris pour les compagnies aériennes : toutes deviendraient des filiales locales de l'invincible géant, Pan American . Juste pour mémoire : la société fit faillite en 1991, après une longue agonie.
Quant à l'Europe , des éditorialistes de journaux, et d'éminents professeurs convergeaient sur quelques certitudes: dans ce cas , était d'ailleurs donnée comme impossible la réunification allemande, il s'agirait seulement d'une sorte d'incorporation de l'Allemagne de l'Ouest dans celle de l'Est qui, comme l'URSS , allait monter dans le classement économique. Et encore: après des décennies de traitement énergique par Tito , la Yougoslavie serait un bloc compact , l'union indissoluble d'un peuple . En Espagne, la mort de Franco plongerait le pays dans une autre guerre civile , le roi désigné comme son successeur serait expulsé, sinon fusillé. Dans tous les cas , le pays , épuisé par la dictature franquiste sombrerait non seulement dans des décennies de violence , mais aussi de pauvreté terrible.
Pour Israël , un avenir serein : l'islam fondrait sous le soleil de la modernité , les Arabes apprécieraient de plus en plus les avantages économiques apportés par les Juifs , qui faisaient fleurir le désert et avaient besoin de main-d'oeuvre pour leurs usines . Seuls quelques fanatiques musulmans , isolés , s'opposeraient à la prédominance de la démocratie , de la laïcité , et donc de la coexistence féconde . Quant à la Chine - dans les médias aujourd'hui - les sinologues occidentaux n'hésitaien pas : le marxisme de Mao avait trouvé un habitat idéal dans le tempérament et dans l'histoire chinois , l' immense pays ne se convertirait jamais à l'économie de marché. Les affaires n'étaient pas quelque chose pour les grégaires "fourmis chinoises" .

Je pourrais continuer longtemps ainsi. Mais cela suffit , je pense , pour justifier le sourire d'ennui - le mien, et celui de mes contemporains - chaque fois que les médias annoncent des "virages historiques" et en tirent des prévisions démenties ponctuellement par l'histoire.
Bien avant Hegel , les anciens Pères du christianisme parlaient de l'ironie divine : le Tout-Puissant se moque de la présomption humaine à vouloir prévoir un avenir dont lui seul connaît le mystère .