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LE COEUR DES JEUNES
 

Longue mais superbe intervention de JL Restàn à l’Université d’Été sur le thème « Les jeunes et l’Église », organisée à Madrid en vue des JMJ. Le malaise des jeunes est un défi pour l'Eglise. Une réponse, autour de deux discours adressés par le Saint-Père aux jeunes: à Lorette, et le message pour les JMJ 2011 (28/7/2011).




 

Benoît XVI à Malte

 

À l’occasion de l’Université d’Été sur le thème « Les jeunes et l’Église », organisée par la Fondation Université Roi Juan Carlos et dont nous avons déjà parlé dans ces pages (L'urgence éducative), José-Luis Restan a fait une longue intervention que le site www.paginasdigital.es a reproduite et que Carlota a traduite.
Le titre: "Les jeunes et le coeur".
Après avoir tenté de cerner les symptômes du mal-vivre de la jeunesse, et énuméré les faux remèdes de la société, (idéologies, monde virtuel, drogues...), il apporte les vraies réponses, celles de la rencontre avec le Christ.
Il faut, dit-il, « que nous ayons le courage de construire, dans la "périphérie", des centres qui s’opposent à la dissolution du moi, qui permettent la rencontre avec les autres, et qui soient d'authentiques lieus éducatifs où chacun découvre son propre visage et devient protagoniste ».
Il faut aussi « courir le risque de mesurer la proposition chrétienne avec la raison et avec la liberté des jeunes ».
Et pour cela, « ce qu’il faut, ce n’est pas un système ou une organisation, mais c'est un témoin, quelqu’un dont la vie a été changée par la rencontre chrétienne ».

Il s'appuie pour son argumentation sur deux magnifiques discours du Saint-Père, adressés aux jeunes, qu'il faut relire ici:




A Lorette

L'échange de Lorette - que JL Restan attibue par erreur à Gênes (*) - le 2 septembre 2007 (texte complet ici):
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Q. « Beaucoup d'entre nous, jeunes de périphérie, auraient besoin d’un centre, d’un lieu ou de personnes capables de nous donner une identité. Nous sommes souvent sans histoire, sans perspectives et donc sans avenir. Il semble que ce que nous attendons vraiment n'arrive jamais. D'où l'expérience de la solitude et, parfois, des dépendances. Votre Sainteté, y a-t-il quelqu'un ou quelque chose pour lesquels nous puissions devenir importants ? Comment est-il possible d'espérer lorsque la réalité nie tout rêve de bonheur, tout projet de vie ? »

Benoît XVI – Merci de cette question et de la présentation très réaliste de la situation. Au sujet des périphéries de ce monde qui connaît de grands problèmes, il n'est pas facile d'apporter ici une réponse et nous ne voulons pas vivre dans un optimisme facile. Mais, d’un autre côté, nous devons être courageux et aller de l'avant. J'anticiperai ainsi la substance de ma réponse : « Oui, il y a de l'espoir aujourd'hui aussi, chacun de vous est important, parce que chacun de vous est connu et voulu par Dieu et pour chacun, Dieu a un projet. Nous devons le découvrir et y répondre, pour qu'il soit possible, malgré ces situations de précarité et de marginalisation, de réaliser le projet que Dieu a pour nous. Mais pour en venir aux détails, vous nous avez présenté de manière réaliste la situation d'une société : dans les périphéries, il semble difficile d'aller de l'avant, de changer le monde. Tout semble concentré dans les grands centres du pouvoir économique et politique, les grandes bureaucraties dominent et les personnes qui se trouvent dans les périphéries semblent réellement exclues de cette vie. Alors, un aspect de cette situation de marginalisation de tant de gens est que les grandes cellules de la vie de la société, qui peuvent construire des centres également en périphéries, se sont désagrégées : la famille, qui devrait être le lieu de la rencontre des générations – de l'arrière grand-père au petit-fils – devrait être un lieu où se rencontrent non seulement les générations, mais où on apprend à vivre, où on apprend les vertus essentielles pour vivre. Cette famille s'est désagrégée, elle est en danger. Nous devons d'autant plus faire tout notre possible pour que la famille soit vivante, pour qu’elle soit elle aussi la cellule vitale, le centre de la périphérie. De même, la paroisse, la cellule vivante de l'Église, doit être réellement un lieu d'inspiration et de vie, de solidarité, qui aide à construire ensemble les centres de la périphérie. Et je dois dire ici que l'on parle souvent dans l'Église de la périphérie et du centre, qui serait Rome, mais en réalité dans l'Église, il n'y a pas de périphérie, parce que là où est le Christ, le centre est là tout entier. Là où l'on célèbre l'Eucharistie, où il y a le tabernacle, le Christ est là et donc c'est là que se trouve le centre et nous devons tout faire pour que ces centres vivants soient efficaces, présents et qu’ils soient réellement une force qui s'oppose à cette marginalisation. L'Eglise vivante, l'Eglise dans de petites communautés, l'Eglise paroissiale, les mouvements, devraient former tout autant de centres dans la périphérie, et aider ainsi à surmonter les difficultés que la grande politique, bien sûr, ne surmonte pas et nous devons dans le même temps penser également que malgré les grandes concentrations de pouvoir, la société d'aujourd'hui a besoin de la solidarité, du sens de la légalité, de l'initiative et de la créativité de tous. Je sais que cela est plus facile à dire qu'à faire, mais je vois ici des personnes qui s'engagent pour que des centres se développent également dans les périphéries, pour que l'espérance grandisse, et donc il me semble que nous devons prendre l'initiative précisément dans les périphéries ; il faut que l'Église soit présente, que le centre du monde, le Christ, soit présent. Nous avons vu et nous voyons aujourd'hui dans l'Évangile que, pour Dieu, il n'y a pas de périphéries. La Terre Sainte, dans le vaste contexte de l'Empire romain, était une périphérie ; Nazareth était une périphérie, une ville inconnue. Et toutefois, cette réalité était précisément, de fait, le centre qui a changé le monde ! Et ainsi, nous aussi nous devons former des centres de foi, d'espérance, d'amour et de solidarité, de sens de la justice et de la légalité, de coopération. C'est uniquement ainsi que peut survivre la société moderne. Elle a besoin de ce courage, de créer des centres, même si à l'évidence, il ne semble pas y avoir d'espérance. Nous devons nous opposer à ce désespoir, nous devons collaborer avec une grande solidarité et faire ce qui nous est possible pour que grandisse l'espérance, pour que les hommes puissent collaborer et vivre. Le monde, nous le voyons, doit être changé, mais c'est précisément la mission de la jeunesse que de le changer ! Nous ne pouvons pas le faire seulement avec nos forces, mais en communion de foi et de chemin. En communion avec Marie, avec tous les saints, en communion avec le Christ, nous pouvons faire quelque chose d'essentiel et je vous encourage et je vous invite à avoir confiance dans le Christ, à avoir confiance en Dieu. Demeurer dans la grande compagnie des saints et aller de l'avant avec eux peut changer le monde, en créant des centres dans la périphérie, pour qu'elle devienne réellement visible et que l'espérance de tous devienne réaliste et que chacun puisse dire : « Je suis important dans l'ensemble de l'Histoire. Le Seigneur nous aidera ».




Message pour les JMJ 2011

Le message pour les journées mondiales de la jeunesse 2001 extrait ici benoit-et-moi.fr/ete2010/.. , texte entier sur le site du Vatican:
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Certes, me souvenant de ma jeunesse, je sais bien que stabilité et sécurité ne sont pas des questions qui occupent le plus l’esprit des jeunes. S’il est vrai que la recherche d’un emploi qui permette d’avoir une situation stable est un problème important et urgent, il reste que la jeunesse est en même temps l’âge de la recherche d’un grand idéal de vie. Si je pense à mes années d’alors, nous voulions simplement ne pas nous perdre dans la normalité d’une vie bourgeoise. Nous voulions ce qui est grand, nouveau. Nous voulions trouver la vie elle-même dans sa grandeur et sa beauté. Bien sûr, cela dépendait aussi de notre situation. Durant la dictature du national-socialisme et la guerre nous avons été, pour ainsi dire, «enfermés» par le pouvoir dominant. Nous voulions donc sortir à l’air libre et entrer dans toutes les potentialités de l’être humain.
...
Il y a un moment, durant la jeunesse, où chacun de nous se demande : quel sens a ma vie? Quel but, quelle direction ai-je le désir de lui donner? C’est une étape fondamentale, qui peut tourmenter l’âme, parfois même longtemps. On pense au genre de travail à entreprendre, aux relations sociales à établir, aux relations sentimentales à développer … Dans ce contexte, je repense à ma jeunesse. D’une certaine façon, j’ai bien eu conscience que le Seigneur me voulait comme prêtre. Mais ensuite, après la guerre, quand au séminaire et à l’université j’étais en chemin vers ce but, j’ai eu à reconquérir cette certitude. J’ai dû me demander: est-ce vraiment ma voie? Est-ce vraiment la volonté du Seigneur pour moi? Serais-je capable de Lui rester fidèle et d’être totalement disponible, à son service? Prendre une telle décision ne se fait pas sans souffrance. Il ne peut en être autrement. Mais ensuite a jailli la certitude: c’est bien cela! Oui, le Seigneur me veut, Il me donnera donc la force. En l’écoutant, en marchant avec Lui, je deviens vraiment moi-même. Ce qui importe, ce n’est pas la réalisation de mes propres désirs, mais (.) Sa volonté. Ainsi, la vie devient authentique.




Les jeunes et le coeur (I)

Original ici. Traduction Carlota.
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Un élève d’un lycée madrilène discute aigrement avec son professeur qui annonce à la classe une interrogation écrite pour lundi suivant : « Professeur, tu (Ndt : tutoiement dans le texte !) ne vas pas nous mettre un contrôle, la fin de la semaine, c’est du temps pour nous et nous en avons besoin pour nous reposer ». Une semaine après, cet élève participait à une manifestation à l'appel du collectif des «Jeunes sans futur », qui réclamait au « Système », « une maison, du boulot et une retraite » ; la manifestation se termina avec de violents affrontements avec la police.

Un jeune étudiant en Sciences Politiques fait campagne dans son université pour que ses camarades se déplacent jusqu'au campement (Ndt : des « indignés » ) de la « Puerta del Sol ». Il se dit anarchiste et proclame à voix haute qu’il faut courir là-bas car on va pouvoir enfin mener à bien « la révolution ». Au bout de quelques jours il revient en cours et une camarade, avec laquelle il avait durement polémiqué, lui demande pourquoi il a abandonné le campement. « Parce que ce n’est pas la révolution, j’en ai marre et je suis désenchanté ». Sa camarade lui demande en quoi alors devrait consister la révolution désirée, et il répond : « Je ne sais pas, cela doit être quelque chose qui a à voir avec moi, qui commence à l’intérieur de moi ».

Une jeune fille ressent une profonde tristesse dans sa relation avec les choses. Rien ne lui suffit, ni la relation avec son petit ami, ni la découverte de nouvelles connaissances dans sa carrière, ni la beauté de l’art pour laquelle elle est exceptionnellement douée. Il lui manque toujours quelque chose. Des collègues lui disent de se calmer et de prendre du plaisir, que cette mélancolie passera. Mais un ami lui affirme que cette tristesse est le signe que rien ne peut calmer sa soif, parce que c’est la soif de l’Infini. Elle écoute ces paroles, mais elle l’avertit : j’espère que finalement il y aura une réponse parce que sinon, il n’y aurait aucun sens à tenir cette blessure ouverte.

Ce sont trois histoires que je connais de première main et qui nous parlent du coeur des jeunes, de la culture qui les environne, de leur chemin et de leurs déviations. Je reviendrai ensuite sur ces histoires. Mais maintenant je voudrais commencer avec ce que dit Benoît XVI dans son Message d’invitation pour les prochains JMJ de Madrid 2011.

Le coeur des jeunes
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"Quand je me rappelle ma jeunesse, je vois qu’en réalité la stabilité et la sécurité ne sont pas les questions qui occupent le plus l’esprit des jeunes…En pensant à mes années d’alors, simplement nous ne voulions pas nous perdre dans la normalité d’une vie bourgeoise. Nous voulions ce qui est grand, nouveau. Nous voulions trouver la vie elle-même dans son immensité et sa beauté…Désirer quelque chose de plus que le quotidien régulier d’un emploi sûr et sentir le désir de ce qui est réellement grand fait partie de l’être jeune. S’agit-il seulement d’un songe vide qui s’évanouit une fois devenu adulte ? Non, l’homme en vérité est créé pour ce qui est grand, pour l’infini. Toute autre chose est insuffisante ".

Le Pape signale ici un point important : le temps de la jeunesse ne doit pas être mythifié ; il est intéressant, car en lui se font spécialement vivantes et transparentes les exigences de ce qui est humain. La force, la simplicité-ingénuité de la jeunesse, sont des armes pour distinguer clairement ce qui est humain. Au contraire de tout ce que l’on dit parfois, la maturité ne consiste pas à mettre de l’ordre dans le chaos de la jeunesse, elle ne consiste pas à modérer l’excès du désir juvénile : elle consiste à vérifier la vérité que la jeunesse devinait, elle est appelée à être l’accomplissement de la promesse qui resplendissait dans la jeunesse. Et quand il n’en est pas ainsi, la maturité se transforme en un synonyme du cynisme, et c’est l’échec de ce qui est l’humain.

« Nous voulions trouver la vie elle-même dans son immensité et sa beauté », rappelle le Pape. « Nous sentions le désir de ce qui est réellement grand ». Il ne s’agit pas d’autre chose. C’est là que réside le cœur de la jeunesse, la promesse de la vérité de ce qui est humain.

Une culture qui aplatit le désir
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Donc, une culture, une civilisation, se mesure à sa capacité de maintenir vivant ce coeur, de lui offrir une voie et des perspectives pour qu’il réalise son propre dynamisme.
Malheureusement aujourd’hui, la culture dominante en Occident n’aide pas dans ce chemin, nous dirions même qu’elle tend à aplatir le désir, quand elle ne l’asphyxie pas, offrant une panoplie immense d’occupations et de divertissements pour que le sujet, spécialement le jeune, soit toujours en dehors de lui-même. Et c’est ainsi que se passe ce que don Giussani (Ndt : le fondateur de Communion et Libération) décrivait dans les années 80 : « C’est comme si les jeunes avaient été atteints …par les radiations de Tchernobyl, l’organisme est structurellement le même qu’avant, mais au niveau dynamique il n’est déjà plus le même,… comme s’il était déchargé affectivement (sans énergie par adhérer à la réalité)».

Ce drame a été décrit aussi par des auteurs laïcs comme le critique littéraire Pietro Citati: « Aujourd’hui les jeunes ne savent pas qui ils sont, peut-être ne veulent-ils pas le savoir…ils s’arrêtent devant un seuil qui peut-être ne s’ouvrira jamais…ils ne désirent pas agir, ils préfèrent rester passifs ».
Et le célèbre directeur de La Reppublica, Eugenio Scalfari, ajoutait : « La blessure de ces jeunes est l’ennui, l’ennui invincible, l’ennui existentiel qui a tué le temps et l’histoire, les passions et les espérances ».

Effectivement, si l’homme ne trouve pas la réponse à cette soif qui le constitue (ou au moins une piste de recherche), tout devient relatif et discutable, rien n’est capable de l’attirer…et c’est ce qui explique la mystérieuse léthargie et l’ennui invincible. Nous pourrions dire que le fruit existentiel du relativisme est cette déconnection de la réalité, cet ennui et ce désintérêt que l’on constate facilement en parlant avec les parents et lesenseignants (pourvu que l’on dépasse, évidemment, les discours formels). Naturellement, ce désintérêt , comme nous le voyons souvent, touche également la foi chrétienne.

Mais posons clairement le fait que les crises des jeunes sont des crises d’adultes: les adultes qui ont généré la culture dans laquelle les jeunes sont immergés, et les adultes qui les ont éduqués. Nos jeunes ont grandi dans un climat marqué par la méfiance vis-à-vis de la signification et de la valeur de la personne, de son origine et de son destin. Et en outre ils ont vécu un effrayant déficit éducatif au niveau de la famille, de l’école, de la société dans son ensemble… mais aussi dans une large mesure, dans leurs communautés chrétiennes de référence, quand ils en ont eues.

Voies de sortie
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Face à ce climat, évidemment non satisfaisant, il existe des réponses très disparates.

Il existe, quoique tempérée par les échecs récoltés à la fin du siècle dernier, la réponse des idéologies. Et l’on ne peut écarter une nouvelle vague. L’homme a toujours besoin d’une tentative de réponse à l’attente qu’il porte inscrite dans son cœur, comme Benoît XVI le décrit magistralement dans Spe Salvi . Les idéologies salvatrices qui ont prétendu s’arroger cette réponse, ont laissé une énorme trace de destruction, mais attention : la mémoire est fragile et un contexte de crise sociale, économique et morale peut être le bouillon de culture pour qu’elles prospèrent de nouveau même en ayant changé de peau. C’est pourquoi garder la mémoire de l’inhumanité de ces systèmes et de leur injustice est toujours nécessaire aujourd’hui. Pensons en outre que l’ignorance des jeunes à ce sujet, qui est abyssale, augmente ainsi leur vulnérabilité.

Il existe l’illusion d’une sorte de communauté virtuelle de relations douces qui offrent un certain parapluie affectif (typique de la société virtuelle), une sensation de compagnie qui masque la solitude fondamentale qui en tient lieu quand il n’y pas un jugement partagé, quand il n’y a pas la narration de sa propre expérience qui se mesure avec les autes.

Il existe, bien sûr, les voies de sortie que sont la drogue et le plaisir sans frein - la grande évasion d’un monde que l’on ne comprend pas, que l’on n’aime pas, qui s’avère maussade et sans véritable sens - dont on peut seulement espérer quelque jouissance effrénée et de limiter au maximum la douleur, même si à la longue cela s’avère impossible.

Mais celles-ci et d’autres réponses ne parviennent qu’à rendre plus profond le problème : la confusion énorme du moi, l’incapacité de se situer dans le monde, l’aridité des relations, le charlatanisme vide, la solitude et la violence latente (fruit d’une rébellion aveugle) qui est déjà un trait social de certaines bandes de jeunes.




Les jeunes et le coeur (II)

Original ici.

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Un défi pour l’Église
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Naturellement pour l’Église, tout cela constitue un défi de première grandeur, que je me propose d’aborder maintenant. Je le ferai en partant d’un dialogue que Benoît XVI a eu avec des jeunes en 2007 durant une visite dans la ville de Gênes (Ndlr: en fait, Lorette!). L’un d’entre eux lui a posé le problème suivant : « il nous manque un point central, un lieu, ou des personnes capables de nous donner une identité ; souvent nous nous sentons à la périphérie de l’histoire, sans perspectives et par conséquent sans futur ; il nous semble que ce qui nous attendons n’arrive jamais. Votre Sainteté, y a-t-il quelque chose qui nous permettrait d’arriver à être importants ?

Dans cette phrase certainement intelligente, pointent différentes questions. Là résonne le désir « d’être des protagonistes » (cela fait peut-être écho à ce désir diffus de révolution exprimé par l’un des jeunes auxquels je faisais référence au début), dans un contexte où chaque individu paraît être une pièce anonyme d’un grand mécanisme que manient les divers pouvoirs économico-médiatico-culturels. C’est aussi la sensation de l’orphelin, de ne pas appartenir à un lieu, ni à une tradition, d’être une barque dans cette mer confuse de la toile sociale. C’est la dénonciation d’un manque dramatique de maîtres (et de parents) avec lesquels pouvoir se mesurer. Et c’est l’inquiétant doute : est-ce que l’attente de notre cœur s’accomplira, si déjà ce que nous attendons « n’arrive jamais ». La même inquiétude qui gênait la jeune fille de la troisième histoire que je commentais au début.

Et Benoît XVI a saisi au vol le défi, et a déroulé une réponse très originale. Le Pape part de l’opposition centre - périphérie qu’avait soulevée ce jeune, et il affirme que la tâche, pour le moment, c’est de générer des centres vitaux dans cette périphérie nébuleuse dans laquelle se passe la vie des gens.

Le problème, signale le Pape, c’est que les cellules vitales de la société, appelées à construire des « centres » dans la périphérie, sont en danger, elles n’assurent pas suffisamment leur fonction. La famille, les paroisses, les associations civiles, les mouvements… devraient être des lieux de rencontre où l’on apprend à vivre, où l’on expérimente des vertus essentielles. Il faut reconstruire ce réseau de centres vitaux dans la périphérie, dans la confusion de nos sociétés complexes. Des centres de foi, d’espoir, d’amour et de solidarité, où naîtra le sentiment de la justice et de la coopération.

Il faut que nous ayons le courage de construire ces centres, signale le Pape, qui s’opposent à la dissolution du moi, qui permettent la rencontre avec les autres, et qui soient d'authentiques lieus éducatifs où chacun découvre son propre visage et devient protagoniste. Et comment cela peut-il arriver ? Seulement si, dans ces lieux, le christianisme se reconnaît comme une vie qu’on peut expérimenter, comme l’accomplissement de la promesse de vérité, de beauté et d’unité, que chacun reconnaît dans son propre cœur.

Parler à leur coeur. Une proposition à la hauteur de leurs désirs
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Ce implique en premier lieu que cette proposition (la foi de l’Église vécue à l’intérieur des circonstances) prenne le risque de se mesurer avec les questions et les désirs du jeune. Récemment le Pape a dit au diocèse de Rome, qu’il est nécessaire « de parcourir ce chemin qui permet de découvrir l’Évangile non comme une utopie mais comme une forme entière et réelle de l’existence ». Et l’existence, c’est l’amour d’une fille, le désir de travailler, le contenu des études, la préoccupation pour la cité commune, la peur du futur…Montrer que dans chacune de ces facettes, la foi est la forme pleine et réelle de l’existence, l’unique qui soit à la hauteur des désirs du cœur de l’homme, c’est absolument nécessaire pour que le christianisme soit quelque chose de significatif, quelque chose qui ne balayera pas le vent de la vie avec ses échecs et ses douleurs.

Et cela implique d’être disposé à courir le risque de mesurer la proposition chrétienne avec la raison et avec la liberté des jeunes, dans un dialogue qui peut être (et même, qui est toujours !) dramatique et qui demande du temps. Pour cela, ce qu’il faut, ce n’est pas un système ou une organisation, ce qu’il faut, c’est un témoin : quelqu’un dont la vie a été changée par la rencontre chrétienne, quelqu’un qui « appartient » à la communauté de l’Église et qui « s’expose », en renseignant sur son expérience celui qu’il a devant lui. Comme disait le jeune qui interpellait le Pape « il nous manque des personnes capables de nous donner une identité ». Cette personne c’est le témoin, et sans elle il n’y pas de proposition ni d’éducation, sans témoins, sans espaces (famille, paroisse, école, communauté) il n’y aura pas de « centres dans la périphérie ». Et c’est pour cela que même si beaucoup passent par là, leurs vies ne changent pas.

Ce qui peut vaincre le relativisme ce n’est pas un discours correct ni non plus une simple proposition de changement moral. Ce qui vainc le relativisme (des jeunes et des adultes) c’est la rencontre avec la Vérité faite chair, avec la fascination et la correspondance du Christ présent dans la vie de l’Église. Une vie qui ne se réduit pas à une doctrine, à une morale ou à des pratiques de piété. C’est une vie-vie : « Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance » dit Jésus dans l’Évangile.

Nous devons accepter le risque de confronter la proposition chrétienne (dans toute son étendue et sa profondeur) avec la liberté et la raison des jeunes. Et l’énoncer ne suffit pas, il s’agit d’accompagner les jeunes dans la vérification de la raison humaine de la foi. Justement, ce qui provoque le détachement et l’insignifiance, c’est l’absence de cette vérification : qu’en vivant la foi, je saurais aimer cent fois plus la fille dont je suis amoureux, je pourrais profiter cent fois plus de ce que j’étudie, je pourrais maintenir cent fois plus l’élan pour construire une cité plus hospitalière et digne de l’homme, je pourrasi affronter cent fois mieux le vertige de la maladie et de la douleur. Parce que le christianisme est un « plus » de l’humanité, parce que comme le répète Benoît XVI infatigablement : « Dieu n’enlève rien, il donne tout».

Lors de ce même dialogue avec les jeunes de Gêne (ndlr: en fait, Lorette, dans le second échange), Benoît XVI disait que « la foi crée une compagnie de personnes en chemin…dans laquelle, malgré tous les problèmes, naît la joie de vivre ». J’ai assisté (j’assiste encore !) au spectacle de cette compagnie de personnes en chemin. En chemin par les circonstances de la vie personnelle et de l’histoire, et pourtant ce n’est jamais un chemin de roses. Ainsi la vie adulte devient la vérification mature des idéaux de la jeunesse, au lieu d’être la plage sur laquelle s’échouent les restes de nos rêves. La « victoire » de la foi se joue de cette dramatique alternative. Parce que nous n’invitons pas les jeunes à venir pour autre chose, mais pour faire ce chemin, qui les amènera à découvrir la vérité de leur propre vie : que le désir de leur cœur n’est pas une grosse farce mais la trace ineffaçable qu’a laissé le Dieu qui est raison créatrice et amour définitif. Un Dieu qu’on peut rencontrer par les chemins du monde, comme l’ont rencontré ces Galiléens, il y a plus de deux mille ans.




Ce que disait Benoît à Gênes

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Le discours de Gênes, le 18 mai 2008 (ma traduction ici):
Il est beau d'être jeunes et aujourd'hui tous veulent être jeunes, rester jeunes, et se déguiser en jeunes, même si le temps de la jeunesse est passé, visiblement passé. Et me demandé-je - je réfléchis - pourquoi est-il beau d'être jeunes? Pourquoi rêvons-nous de l'éternelle jeunesse?
Il me semble qu'il y a deux éléments déterminants.
La jeunesse a encore tout le futur devant elle, tout est futur, temps d'espoir. Le futur est plein de promesses. Pour être sincère, nous devons dire que pour beaucoup le futur est aussi obscur, plein de menaces. On ne sait pas: trouverai-je un travail? trouverai-je une maison? trouverai-je l'amour? quel sera mon vrai futur?
Et devant ces menaces, le futur peut aussi apparaître comme un grand vide. Donc aujourd'hui, beaucoup veulent arrêter le temps, par peur d'un futur dans le vide. Ils veulent vite consommer toutes les beautés de la vie. Et ainsi, l'huile dans la lampe est consommé, lorsque commence la vie.
Donc, il est important de choisir les vraies promesses, qui ouvrent au futur, même s'il faut des renoncements. Celui qui a choisi Dieu a encore dans la vieillesse un futur sans fin et sans menaces devant lui.
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