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DANS LE COSMOS DES SEPT NOTES
 

Dans l'OR de mercredi 27 juillet, une recension du livre-recueil de textes de Benoît XVI/Joseph Ratzinger sur la musique: "Lodate Dio con arte". (30/7/2011)




 
 

En janvier 2011, je me faisais l'écho d'un livre-album intitulé "Lodate Dio con arte" (Louez Dieu avec art):
Il s'agit d'un recueil de textes de Joseph Ratzinger - Benedetto XVI, éparpillés à différents endroits, et rassemblés pour l'occasion, réflexions du Pape-musicien sur les rapports entre musique et liturgie, musique et théologie.
(voir ici benoit-et-moi.fr/2011-I/..)

Mercredi, l'OR proposait une recension du livre.
Texte en italien grâce à Raffaella.
Ma traduction.




 

Dans le cosmos des sept notes
Réflexions à partir des écrits de Joseph Ratzinger
Michael J. Zielinski
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Les médias nous ont souvent présenté la figure de Benoît XVI comme celle d'un grand amoureux de musique. Ses interventions fréquentes en la matière, les nombreux concerts offert en son honneur, et même le fait que son frère soit un musicien professionnel, ont façonné cette image de grand amateur de musique.
En fait, la relation entre Joseph Ratzinger et de la musique va au-delà de la simple passion et apparaît bien plus profonde et plus riche. En ce sens, on pourrait se référer à ses écrits sur le sujet, publiés dans le livre Louez Dieu avec art (Joseph Ratzinger-Benoît XVI, Venise, Marcianum Press, 2010).

En observant l'état de crise réelle dans lequel se trouvent la musique liturgique et la musique religieuse en général, la parole du Pape nous ouvre la porte à l'espérance grâce à une synthèse solide où est indiqué de façon systématique ce qu'est ou ce que devrait être la musique à partir de son histoire millénaire. Dans ses réflexions, on peut vraiment trouver l'inspiration qui rappelle au musicien professionnel, ce qu'il cherche, ce à quoi aspirent et ce que peuvent trouver les hommes dans la musique.

La vision de Benoît XVI est une vision complètement nouvelle, même si, en réalité, c'est une réflexion qui redécouvre un horizon ancien. En lisant les écrits musicaux du XXe siècle, par exemple, nous constatons que ces derniers ne jaillissent pas de thèmes philosophiques ou théologiques, comme à d'autres époques, ni même de thèmes littéraires ou poétiques, mais qu'ils se réduisent à des traités de théorie et de techniques de composition. Dans cet horizon, l'art de la musique finit par apparaître comme un simple «métier». Ainsi, aujourd'hui, il est certainement plus difficile de trouver deux musiciens conversant de philosophie entre eux.

Mais il n'en a pas toujours ainsi. Les Grecs, la culture et la foi dans le Temple de Jérusalem, la première Église et presque toute la culture chrétienne, ont vécu la dimension «cosmique» de la musique dans la forme la plus naturelle. En ce sens, au Moyen-Age, une figure de proue fut Sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179), la grande mystique allemande. Ses visions confirment d'une certaine manière cette perspective particulière, et la rendent «fiable» même du point de vue de la foi.
Dans la description de la vision du Choeur des Bienheureux ("Scivias", Giovanna della Croce, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2002 ) (1) , sainte Hildegarde écrit:
«Et je vis un air parfaitement transparent où j'entendis ... de manière admirable de nombreux types de musique. C'étaient les chants de louanges des citoyens vivant dans les joies du ciel, parce qu'ils avaient été très persistants dans la voie de la vérité. Puis j'entendis les chants de plaintes de ceux qui s'étaient éveillés [après la chute] aux louanges et aux mêmes joies et, finalement, les chants de ceux qui s'exhortaient mutuellement à offrir une aide pour le salut du peuple attaqué par le diable. (...) Et ce son chantait dans l'harmonie comme la voix d'une multitude d'habitants célestes, la louange de Marie Très Sainte».

À deux reprises (1er septembre, et 8 septembre), Hildegarde a été objet de réflexion du Pape dans ses catéchèses. Bien que la mystique allemande ne soit pas explicitement mentionnée dans le livre "Louez Dieu avec art", on peut en trouver des réminiscences: « Déjà les pythagoriciens avaient déjà conçu les mathématiques de l'univers d'une manière qui n'était pas purement abstraite. Les actions intelligentes présupposent, dans la vision des anciens, une intelligence qui les cause. Les mouvements intelligents (mathématiques) des astres ne sont donc pas expliqués de manière purement mécanique, mais ils ne sont compréhensibles que dans l'hypothèse que les astres sont animés, "intelligent". Pour les chrétiens le passage des divinités astrales au Choeur des anges qui entourent Dieu et illuminent l'univers était une étape naturelle. La perception de la "musique cosmique" devint ainsi écoute des chants angéliques, et la référence à Isaïe (chapitre 6) s'établit d'elle-même. Un pas supplémentaire a été fait grâce à la foi trinitaire »(p. 151).
Le développement ultérieur du texte convainc de manière presque irrésistible: « Chanter avec l'univers entier, signifie alors se placer dans les traces du Logos et l'approcher. Tout art humain véritable est l'approche de Celui qui est l' "Artiste", le Christ, l'Esprit créateur »(p. 152).

Au XIXe siècle, encore, des compositeurs tels que Felix Mendelssohn et Liszt étaient de vrais poètes et chez eux, la signification religieuse transparaissait avec force. Le grand Ludwig van Beethoven, en une occasion, avoua à l'archiduc Rodolphe de Habsbourg que pour lui il n'y a rien de plus sublime que de se rapprocher de Dieu plutôt que des hommes, et d'étendre à toute l'humanité les rayons de la divinité.
En musique, toutefois, le grand tournant était proche. Nous lisons: « L'interprétation de la musique cosmique, dans différentes variantes, est restée vivante jusqu'au début de l'ère moderne. Ce n'est qu'au XIXe siècle qu'on s'en éloigna, parce que la métaphysique semblait dépassée »(p. 152).

Benoît XVI nous montre une situation actuelle dramatique, où on en vient facilement aux extrêmités. «La musique s'est divisée en deux mondes qui n'ont presque rien à voir l'un avec l'autre. D'un côté, il y a la musique pour la masse, qui avec l'étiquette pop voudrait se présenter comme "populaire", comme la musique du peuple. Ici, la musique est devenue une simple marchandise commerciale produite industriellement et mesurée en termes de valeur marchande. D'un autre côté il y a une musique construite de manière rationnelle, artificielle, qui répond aux critères techniques les plus sophistiqués et qui réussit à grand peine à dépasser le cercle étroit des élites »(p. 68).

La culture contemporaine, et l'art musical qui en est le fruit, devraient-ils formuler leur propre Quo Vadis?

La situation de la musique sacrée ne concerne pas seulement l'Eglise, pas plus que la problématique du langage dans la musique contemporaine n'a son origine dans la discipline musicale elle-même. Après avoir écouté certaines œuvres contemporaines viennent à l'esprit les paroles du comte Chigi Saracini (ndt: musicologue et mécène siennois, 1880-1965, voir ici), qui comparaient les "créateurs de formules", autrement dit certains compositeurs, avec les pharmaciens. La musique d'Église, pour sa part, souvent "fonctionnelle", ne semble pas, aujourd'hui, être toujours à la hauteur de la liturgie.
Il faudrait un souffle plus ample. Le Verbe, la vraie source, dans le cadre de la liturgie, trouve dans nos sens un lieu pour s'incarner, à travers l'image, le chant, la musique. «La foi - nous dit le pape - en se faisant musique, est une partie du processus d'incarnation de la Parole» (p. 105). Cette réalité, par extension, peut également intéresser toute la musique, la renouvelant. Cela nous amène à la conclusion extraordinaire citée plus haut, où tout art humain vrai - est-il affirmé - est nécessairement fruit de l'initiation au Logos, à l'Esprit Créateur.

Reste, toutefois, la question des non-croyants. Pourrait-on accepter une vision de caractètère religieux, voire christocentrique dans un monde comme celui d'aujourd'hui, au-delà des habituelles vagues références spirituelles? L'avertissement urgent du Pape à l'égard de la musique sacrée, de sa nature et de sa qualité, peut sans doute englober le monde de la musique. «L'art que l'Église a produit est, à côté des saints qui y ont mûri, la seule véritable "apologie" qu'elle puisse produire pour son histoire... » (p. 46). La vraie valeur de l'art authentique, face aux croyants et aux non croyants, se ratifie elle-même.

Le pape note que, malgré tout, à un œil attentif, n'échappe pas l'existence de chefs-d'œuvre dans le panorama de l'art contemporain. Le compositeur Olivier Messiaen (1908-1992), au XXe siècle, constitue un témoignage lumineux. Yvonne Loriod en parle ainsi (dans "Olivier Messiaen", sous la direction de Peter Hill, Milan, Il Saggiatore, 2008, p. 257): «Les oiseaux étaient pour lui les musiciens suprême à la gloire de Dieu et lui-même voulait chanter comme eux. Sa vie entière a été une sorte de chant. Il a célébré tous les mystères du Christ, et maintenant sa musique parle à ceux qui, sans le savoir, ont besoin foi. Dans le siècle terrible où nous vivons, ils s'accrochent à la musique de Messiaen, parce qu'il avait la foi et parce que sa musique est pleine de couleurs et possède un langage merveilleux ».
(© L'Osservatore Romano, 27 Juillet, 2011)

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(1) Le texte est disponible en français en ligne ici : livres-mystiques.com/.. (j'ai peut-être regardé trop rapidement, mais je n'ai pas identifié le passage cité).
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A 43 ans, Hildegarde reçut de Dieu l'ordre de mettre par écrit ses visions. Ses premières visions sont consignées dans le Scivias qu'elle achève en 1151.
Scivias provient de l’expression latine « Scito VIAS Domini » qui veut dire « connaître les voies du Seigneur ». Le livre est assez volumineux, plus de 150000 mots et est illustré de 35 dessins ou miniatures. La première partie de l’incunable comprend une préface décrivant la façon dont elle a été commandée pour écrire le livre. Le Scivias est le premier de trois ouvrages décrivant ses visions, les autres étant le Liber vitae meritorum écrit entre 1158 et 1163 et le De operatione Dei écrit entre 1163 et 1174, également connu sous le nom de Liber divinorum operum. (Source)




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