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LOURDES, LE FILM
 

Le film de Jessica Hausner vient tout juste de sortir en France (ici). L'évêque de Lourdes n'aime pas, et il le dit! C'est le moment de relire un article de Vittorio Messori, en 2010 (31/7/2011)




 
 

L'évêque de Tarbes et Lourdes, Mgr Perrier, n'aime pas non plus le film, et il le dit (merci à Carlota, qui se fait ici l'écho du quotidien Sud-Ouest (via /www.perepiscopus.org ):
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Le film « Lourdes » de la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner, tourné il y a trois ans dans la cité pyrénéenne, fait des remous aux sanctuaires. Monseigneur Jacques Perrier n'est pas content.

- Sud Ouest: Quel votre réaction après avoir vu le film ?
- Mgr Jacques Perrier: J'estime que c'est un mauvais film qui mélange les deux genres. Il se présente comme un reportage mais tout est fictif.

- Estimez-vous qu'il fait de la contre-publicité à Lourdes ?
- Je m'en fous (?) complètement. Beaucoup de gens viendront quand même à Lourdes ! Sauf qu'à la sortie du film, les gens vont repartir désabusés. Venir à Lourdes ne laisse pas indifférent. C'est en ça que le film est faux, tout est pipé. Dans le film, les garçons ne pensent qu'à draguer, c'est désespérant pour l'humanité.

- Vous faites une critique cinématographique du film mais la cité mariale n'est pas attaquée.
- Je lui ai donné la liberté de dire ce qu'elle voulait, moi j'ai la liberté de parole.

- Regrettez-vous de lui avoir donné l'autorisation de tourner dans les Sanctuaires ?
- Je suis déçu car elle n'en a rien tiré. Si on n'est pas du tout perméable à l'environnement, c'est grave, c'est comme le touriste qui part avec son cinéma intérieur.
Je ne regrette pas de lui avoir donné l'autorisation de tourner car sinon on aurait crié à la censure. Non ceux qui pourraient protester c'est l'Ordre de Malte ! Ils sont caricaturés.
La réalisatrice a joué l'ambiguïté entre la réalité et la fiction. Au moins avec la parodie de Mocky c'était clair, c'était extrêmement désagréable mais c'était clair.

Propos recueillis par Odile Faure




 

Dans Il Corriere della Sera du 12 février 2010, Vittorio Messori (traduit ici: benoit-et-moi.fr/2010-I/) écrivait:

Un Lourdes trop sombre pour être vrai
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La perspective de Jessica Hausner dans son Lourdes est déclarée immédiatement, dès la scène d'ouverture, avec le plan du réfectoire des pèlerins. Pas de fenêtres, mais une lumière artificielle faible, dans un environnement claustrophobique: noir le sol, noirs les murs où sont accrochés des crucifix noirs, noirs les jupes et les pantalons du personnel, noires les pélerines des Hospitalières avec la croix de Malte, noirs les uniformes des Chevaliers de l'ordre, noirs les clergymen des prêtres.

A ces tables lugubres prennent place en silence une foule de cour des miracles, nains, paralysés, cancéreux, assistés par des bénévoles aussi formellement corrects que distraits ou perplexes ("Qu'est-ce que je fais ici?"); le seul élément vivant est dans l'échange de regards entre les filles coiffées d'un voile et les garçons d'un béret basque.

Peu, très peu de lumière dans le film, dont la marque chromatique est le plomb: nuages noirs dans le ciel, même dans les quelques scènes en plein air. Même la bénédiction eucharistique de l'après-midi - le rendez-vous quotidien préféré des pèlerins, avec la procession aux flambeaux de la nuit - n'est pas tournée, comme elle l'est en réalité sur le grand et lumineux Esplanade face aux trois sanctuaires superposés.

Non, Hausner a choisi de la situer dans l'énorme église souterraine, où aucune lumière ne pénètre. Peu de lumière aussi, pour la lugubre petite fête finale. Et sombre, bien sûr, la scène de la guérison - miraculeuse, ou dûe au hasard - de la tétraplégique qui vient à Lourdes pas par foi, mais pour échapper à la maison où le mal la tient prisonnière.

Je crois que l'UAAR, "Union des athées et des agnostiques, rationalistes" a vu juste, en attribuant à ce film son prix satyrique nommé Brian, d'après un film irrévérencieux sur Jésus. Ces athées organisés disent que l'oeuvre de la Hausner pourra faire perdre la foi à " ceux qui ne sont pas encore arrivés à une vision désenchanté et sceptique". La franc-maçonnerie a également exprimé son appréciation.

Que dire, alors, du prix attribué par des gens de cinéma catholiques, réunis dans une association officiellement reconnue par le Saint-Siège? Que dire du diocèse de Milan, qui a décidé de parrainer l'oeuvre, la diffusant dans les paroisses?

Il me vient à l'esprit ce que m'avait dit un Umberto Eco ironiquement déçu, lorsque des récompenses catholiques similaires (et même une de la Loyola University, l'Université des Jésuites Américains) avaient été attribuées au film tiré de son roman "Le nom de la rose". "Je me suis donné du mal pour faire un livre radicalement agnostique sinon athée, dans l'espoir de provoquer un débat enflammé. Et aux contraire, non, ces prêtres m'acclament, et me comblent de prix. J'ai presque la nostalgie du bon vieux temps de la Sainte Inquisition. Ces durs dominicains étaient moins ennuyeux que le moine et sacristain "adultes" qui, entousiastes, acclament le mécréant".

Mais oui, il serait facile de sourire du masochisme clérical, auquel nous sommes maintenant résignés. Ici, cependant, on pourrait trouver des circonstances atténuantes. En effet, à la première lecture, le film de la réalisatrice autrichienne (l'habituelle ex-catholique: L'Occident en est maintenant rempli!) peut sembler captivante pour les dévots.

Il n'y a rien ici de l'anticléricalisme d'un Emile Zola, qui se glisse anonymement dans le Pèlerinage national français et en tire son roman sectaire, où tout commence selon lui avec "Une pauvre idiote" (en français dans le texte), avec une petite hystérique nommée Bernadette. Rien non plus des invectives des loges du XIXe siècle, appelant à la fermeture de Lourdes manu militari pour "abus de la crédulité du public" et pour "raisons d'hygiène".

Aux vieux "bouffeurs de curé" vociférants a succédé, avec Hausner, un athéisme radical, mais politiquement correct. Et une telle négation de la foi - très dure dans les contenus, mais très soft dans la forme - pourrait avoir induit en erreur les clercs enthousiastes. L'athéisme, pourtant honnêtement déclaré dans les interviews, ne réside pas tant dans la blague du chef des Chevaliers Hospitaliers (la Sainte Vierge qui veut aller à Lourdes parce qu'elle n'y a jamais été), réplique plutôt blasphématoire qui révèle l'incrédulité de ces bénévoles. L'athéisme n'est pas tant dans l'incrédulité des pèlerins, dans leur manière envieuse de s'épier, chacun craignant que le voisin de chambre soit guéri et pas lui.

Il n'est même pas dans ces aumôniers qui, aux questions des patients, répondent avec des slogans comme s'ils étaient des distributeurs automatiques de réponses apologétiques.
Non, l'athéisme radical du film réside dans l'annonce que le christianisme est mort, parce que justement, le papier "tournesol" (le révélateur) de Lourdes révèle que les trois vertus théologiques qui l'ont soutenu sont mortes: morte la Foi, morte l'Espérance, morte aussi la Charité, malgré les apparences de ceux qui, en tant que bénévoles, semblent l'exercer. Mais pour l'amour de soi, pas de ceux qui en ont besoin. Pour échapper à l'ennui, pour trouver un sens, ou un mari, plutôt que pour aider les autres.

L Pape Jean XXIII avait appelé Lourdes, qu'il aimait beaucoup, "une fenêtre qui s'est grande ouverte à l'improviste, montrant le ciel". La Hausner, cette fenêtre, elle la ferme: d'où le manque de lumière, le sentiment d'oppression et de claustrophobie, le noir qui marque tous le film. Ce ciel de Roncalli est désormais interdit, tuant l'espoir.

L'explosion joyeuse de l'aube de la Résurrection a été éliminé en faveur d'une dévotion routinière, grise, ennuyeuse, secrètement hypocrite.
Mais en est-il vraiment ainsi? Quiconque a une expérience réelle de Lourdes sait (et ce n'est pas de la rhétorique) que c'est le royaume de la douleur mais aussi de la joie; du désespoir et de l'espérance; du doute et de la foi; de l'égoïsme des marchands, des hôteliers, des professionnels de l'assistance, et de la générosité d'innombrables anonymes.

Un mélange contradictoire, certes, mais plein de vie et façonné, malgré tout, par une foi tenace qui ne renonce pas. Il y a parfois des nuages, dans les Pyrénées. Mais plus souvent encore, il y brille un chaud soleil. La Hausner a ses raisons, que nous respectons. Mais autour de la grotte, la vraie, pas celle de l'ancienne pensionnaire des sœurs qui a perdu la foi, il y a un brasier qui continue de brûler, symbolisé par les milliers de bougies allumées jour et nuit, depuis 150 ans.

Ce n'est pas seulement le cierge éteint, ou seulement fumant, que voudrait ce film, aussi excellent dans la technique qu'unilatéral dans le contenu.




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