Vous êtes ici: Articles  

LA JOURNÉE DES FRÈRES
 

En septembre 2007 sortait en Allemagne un livre intitulé "Der Bruder des Papstes". Le dernier chapitre était consacré à la visite de Benoît XVI à Ratisbonne, le mercredi 13 octobre 2006. Voici la reprise de la traduction du très touchant récit, que j'aurais pu intituler "les émotions de Frau Heindl"! (1er/8/2011)

Traduction VB.
Sur cette visite mémorable, voir ici: Voyage en Bavière.




 
 



Der Tag der Brüder

Le jour des frères
Ratisbonne, 13 septembre 2006
-------------------
Un mercredi ensoleillé du début septembre, un vrai temps de Pape

L'ambiance Benoît XVI se propage irrémédiablement à l'intérieur de la ville danubienne;.
Georg Ratzinger et son frère Joseph avaient prévu de se réserver ce mercredi. Sans apparition en public, sans protocole, sans échéances officielles.
Mais il y a ce nouvel orgue de la AlteKäpelle que le Pape doit inaugurer. Et il ne s'agit pas d'un instrument quelconque. Il s'agit de "L'orgue de Benoît", dédié personnellement au Pape. Pour un tel évènement, les frères Ratzinger sont prêts à des compromis...

La frayeur de Frau Heindl

Lorsque la limousine noire du Pape avec à son bord Benoît XVI et Georg Ratzinger arrive, elle s'engage dans une direction qui n'était pas prévue initialement. "Normalement, nous devions nous rendre immédiatement devant l'entrée nord de la Alte Käpelle", précise Georg Ratzinger; "mais mon frère a fait changer l'itinéraire. Il voulait absolument passer en premier devant ma maison de Luzengasse."
Cette modification du parcours du Pape entraîne une certaine agitation. Ainsi, Agnès Heidl (ndt: la gouvernante de Mgr Ratzinger, qui est également la soeur du doyen de la Alte Kappelle) manque de laisser tomber la cuillère qu'elle tient en main, en voyant soudain devant elle les frères Ratzinger.
En plus, la journée de la dame de compagnie de 81 ans avait commencé dans l'effroi.
La veille au soir, elle avait préparé chez elle un pot-au-feu.
Le lendemain, elle se rendait donc avec sa casserole de soupe vers la Luzengasse. Elle n'alla pas loin, car un jeune agent de la sécurité lui barra le passage. "Stop, vous ne pouvez pas aller plus loin. "
Mais Agnès Heindl, sûre de son bon droit, ne se laissa pas impressionner. "Dans cette casserole, il n'y a pas de bombe, seulement de la soupe pour le Saint-Père, et si vous ne me laissez pas passer, il n'aura rien à manger".
Finalement, l'agent la laissa passer, mais uniquement sous l'escorte d'un autre agent de sécurité: "Il m'a même suivi dans la cuisine, et ne m'a pas quittée des yeux jusqu'à ce que je pose ma casserole".

A présent, le Pape est là, devant elle, bien trop tôt: "Mais, Saint-Père, je n'ai pas fini de préparer le repas", balbutie-t'elle, abasourdie.
Mais Benoît XVI la rassure: "Je n'ai pas pu m'en empêcher, j'ai été comme attiré".

Inauguration de l'orgue à la Alte Kappelle

Après quoi les deux frères parcourent à pied la courte distance qui les sépare de la Alte Käpelle.
Georg Ratzinger est ému par la solennité de la musique, le nombre des choristes, et le son majestueux du nouvel orgue.
Le Pape parle de manière impressionnante et limpide du roi des instrument. Avant de procéder au baptême solennel, il formule le souhait insistant "que tous les visiteurs de cette grandiose basilique soient amenés vers la joie de la foi par la splendeur de son architecture associée à la liturgie, elle-même accompagnée par la plénitude des sonorités du nouvel orgue, et du chant solennel".

Un repas de fête

Avec une demi-heure de retard sur son horaire, le Pape passe une seconde fois devant le domicile de son frère. Sur la façade de la maison brille une plaque de bronze neuve, sur laquelle on peut lire:
"Le conseil de fabrique de Saint-Jean immortalise la visite du Pape Benoît XVI chez son frère Georg Ratzinger, le 13/9/2006".

Agnès Heindl est contente, elle a réussi à respecter son emploi du temps.
Georg Ratzinger affirme que la préparation somptuaire du menu du Pape a constitué pour elle l'évènement de sa vie. Frau Heindl en a gardé le secret jusqu'au bout.
Après avoir mûrement réfléchi, elle s'était mise calmement à l'ouvrage.
Pour commencer, on sert l'apéritif, sur la terrasse du toit entourée de fleurs. L'ambiance s'y détend, devient joyeuse. Peu après, on passe dans la salle à manger, où le repas de midi va être servi.
Le frère du Pape, l'évêque Gerard Ludwig Muller, les deux doyens des couvents, Heinrich Wagner et Hubert Schöner, l'ami de la famille Ratzinger, Thaddaüs Kühuel, et l'évêque kénian Mgr Kuvuva, sont tous assis avec le Pape autour de la table, où est servi le repas de fête.
Il n'y a pas que le Pape, à l'apprécier, Georg Ratzinger en fait aussi l'éloge. C'est "comme avant", sauf que le cercle des convives s'est élargi.
Une discussion animée portant sur des thèmes religieux, s'engage autour de la table. Mais il y a aussi des conversations sur la vie quotidienne, et des bons mots sont même échangés.
Le temps passe trop vite.

Ensuite, Benoît XVI se retire pour sa sieste dans la pièce voisine, où, lorsqu'il était cardinal, il travaillait souvent.

Dehors, dans la Luzengasse, règne le calme de la mi-journée. Tout à coup, un hélicoptère de la police fait son apparition. Il tournoie plusieurs fois bruyamment au-dessus de la maison des Ratzinger. Agnès Heindl est furieuse. Résolument, elle sort pour interpeller les policiers: "Que faites-vous comme vacarme, le Saint-Père veut dormir!". Immédiatement, l'hélicoptère s'éloigne.

Sur la tombe familiale

La sieste du Pape est à présent terminée. Benoît XVI et son frère montent dans la limousine BMW blindée, pour se rendre à Pentling.

C'est dans le cimetière de Ziegesdorf, dans la banlieue de Ratisbonne, que les deux frères Ratzinger ont vécu les moments les plus intimes de l'ensemble du voyage du Pape en Bavière.
Là sont enterrés leurs parents et leur soeur Maria.
Le Pape s'agenouille sur un prie-Dieu placé devant la tombe, et s'abîme dans la prière pendant un long moment.
Courbé, les mains croisées sur sa canne, son frère aîné de trois ans, Georg, reste debout à côté de lui.
La tombe est décorée de bouquets de lis blancs - c'est la fleur préférée du Pape - et de bouquets de roses rouges.
Seul, le son des cloches de l'horloge de l'église paroissiale voisine trouble le silence recueilli.
Les quelques accompagnateurs se tiennent discrètement en retrait.

Le Pape chez lui

Jusqu'à son élection à la tête de l'Eglise catholique, Joseph Ratzinger venait ainsi plusieurs fois par an à Ratisbonne, pour voir son frère, et la visite à la tombe familiale allait de soi.
A quelques centaines de mètres du cimetière se trouve le second "chez soi" des frères Ratzinger: il s'agit de la maison située au 6, rue de la montagne (Bergstrasse), à Pentling. Là aussi, Georg et Joseph se retrouvaient, dans le passé. Et cette journée des deux frères devait être pareille à celles de cette époque révolue.
Depuis que son frère est Pape, Georg s'occupe de la petite maison Ratzinger. En général, il y vient le dimanche après-midi, contrôle que tout est en ordre - ce qui n'est d'ailleurs pas nécessaire, car Thétrèse et Ruppert Hofbauer, des voisins de confiance, servent d'"intendants" et règlent de manière exemplaire tout ce qui concerne la maison du Pape.
Après un premier bain de foule, le pape salue le couple d'intendants. On sent qu'ils se connaissent depuis de longues années. Le Pape garde longtemps la main de Thérèse dans la sienne, et la remercie pour le mal que tous deux se donnent. Elle lui dit en souriant "Nous y avons survécu...".
C'est à ce moment que le Saint-Père aperçoit Ruppert. Rayonnant de plaisir, il se dirige vers lui: "Que Dieu vous bénisse, Herr Hofbrauer. Et ces culottes de peau colorée bavaroises me font plaisir à voir".

Rupert Hofbauer va alors ouvrir la porte d'entrée de la petite maison. Georg et Joseph -ce qu'ils sont redevenus pour quelques instants- montent au 1er étage.
Le Pape ressent de la fatigue. Il se repose un instant sur le canapé familier de la salle de séjour.
"Nous nous sentions comme autrefois", dira Georg Ratzinger pour décrire l'ambiance de cet après-midi.

Le souper des frères

Comme alors, les deux frères se mettent à l'aise pour le souper, et ils s'assoient simplement l'un en face de l'autre à la table de la cuisine.
Soeur Berna, des Regensburger Domspatzen, a tout préparé de manière parfaite.
Lorsque par la suite, on demandera au Pape, en arrivant au séminaire où il logeait, s'il voulait encore prendre une collation, il répondra "Non, merci, aujourd'hui, j'ai mangé chez moi...".

Par le passé, Joseph participait à la vaisselle, mais pas cette fois-ci. Agnès Heindl avait en effet donné ses instructions: "Le Pape ne doit en aucun cas laver la vaisselle. Imaginez si cela venait à se savoir..."
Georg Ratzinger a donc obéi à sa gouvernante, et avouera: "Je n'ai jamais aimé laver la vaisselle, ni l'essuyer. Mais on le faisait quand même car il le fallait bien".
Ainsi, Georg et Joseph laissent ce soir-là la vaisselle dans l'évier, et profitent du temps restant.

Une pause trop brève

Georg Ratzinger parle des sentiments de son frère: "Il aimait beaucoup la maison de Pentling, car le plus beau palais ne possède pas le charme de la demeure familiale".

Le ciel commence doucement à s'assombrir, lorsque les frères sortent de la maison. Ensemble, ils descendent dans le jardin. Au cours d'une courte promenade, ils bavardent comme dans le temps, lorsque le cardinal venait régulièreement passer ici ses vacances d'été.
Il est de plus en plus évident que tous deux ont du mal à quitter la maison de Pentling.
Le Pape s'avance vers le micro, et dit avec de la tristesse dans la voix:
"Chers amis, ma journée à Pentling s'achève. Je veux vous remercier pour l'accueil que vous m'avez préparé. Ici, je suis chez moi. Dans l'avenir, nous resterons ainsi unis. Que Dieu vous le rende!"
L'emploi du temps serré ne pouvait pas offir aux deux frères davantage que cette demi-journée.

"Bien sûr, je me serais réjoui si le planning nous avait accordé davantage de temps", dit Georg Ratzinger. Mais dans une visite auusi coûteuse, il faut économiser le temps. Chaque seconde coûte si cher".

Nostalgie...

Cette nuit ravive encore une fois des souvenirs chez Georg Ratzinger. Ceux de leur jeunesse commune, à Traunstein, la vue qu'ils avaient, depuis la fenêtre de la chambre qu'ils partageaient alors. Ensemble, Georg et Joseph s'engageaient tous les deux sur le chemin de la prêtrise. Ensemble, ils ont été ordonnés prêtres.
Georg Ratzinger a depuis dépassé les quatre-vingts ans; en 1959, ils ont dû affronter la mort de leur père. Lorsqu'en 1963, leur mère bien-aimée mourut à son tour, en qu'en novembre 1991, ils dûrent prendre congé de leur soeur Maria, Georg Ratzinger eut le sentiment qu'une partie de sa demeure terrestre avait été transférée dans un autre monde.
"C'est ainsi que l'on constate que la vie nous dévore. Il faut s'accomoder de ce qui nous reste, trouver d'autres raisons de vivre. Et se préparer à l'autre vie. Pour cela, à présent, nous avons le temps, et les occasions..."
Même si, peu à peu, le poids de l'âge se fait sentir, que sa vue se brouille, qu'il a de plus en plus de difficultés à marcher, sa passion pour la musique lui a conservé une fraîcheur et une vitalité à toute épreuve.
Et surtout, une grande reconnaissance pour la tâche merveilleuse que Dieu lui a confié au long de sa vie, où ses fonctions de prêtre et de musicien ont pu s'exprimer dans une telle plénitude:
"Dans la musique comme dans la religion, l'homme est touché par l'invisible. L'expérience de la beauté lui fait entrevoir une vérité plus grande que lui-même."




Lourdes, le film | L'Eglise allemande a le moral en berne