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ASSISE:POLÉMIQUE ENTRE LES JUIFS ET LE SAINT-SIÈGE
 

Le rabbin de Rome lance une (très prévisible!) controverse. Il dispose pour manifester son mécontentement d'une tribune dans.... l'OR. Résumé de Sandro Magister et interprétations de John Allen (7/8/2011).




 

Le rabbin di Segni et le Pape lors de la visite à la Synagogue de Rome, en janvier 2010

 

Le dernier billet de Sandro Magister est consacré au énième épisode de la polémique rythmant très régulièrement le "dialogue" entre catholiques et juifs. Elle oppose le grand rabbin de Rome, Di Segni (souvent rencontré dans ces pages, il perd rarement une occasion de dire tout le "bien" qu'il pense du saint-Père) et le cardinal suisse Koch, président du Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens.

Article à lire ici:
À chacun son Kippour. La protestation de la synagogue de Rome.
"
Le rabbin Di Segni accuse le Vatican de vouloir imposer la croix de Jésus aux juifs aussi, à la place du Yom Kippour. Il proteste contre la rupture du dialogue et remet en question sa présence à Assise."

Je résume - car c'est très technique:




 

Le 7 juillet, le cardinal Koch écrivait dans l'OR:

"Parce que la croix de Jésus supprime tout désir de vengeance et nous appelle tous à la réconciliation, elle se dresse au-dessus de nous comme le Yom Kippour (*) permanent et universel, qui ne reconnaît pas d’autre 'vengeance' que la croix de Jésus, comme Benoît XVI l’a affirmé, le 10 septembre 2006 à Munich, avec ces mots très profonds : 'Sa vengeance, c’est la croix : le non à la violence, l’amour jusqu’au bout'.
En tant que chrétiens, nous ne manquons certainement pas au respect dû aux autres religions ; au contraire nous le consolidons si, surtout dans le monde d’aujourd’hui où la violence et la terreur sont utilisées aussi au nom de la religion, nous professons ce Dieu qui a opposé sa souffrance à la violence et qui a vaincu sur la croix non par la violence mais par l’amour. Voilà pourquoi la croix de Jésus n’est pas un obstacle au dialogue interreligieux ; elle indique plutôt le chemin décisif que surtout les juifs et les chrétiens [...] devraient accueillir en une profonde réconciliation intérieure, devenant ainsi un ferment de paix et de justice dans le monde."

Ces derniers mots ont déclenché l'ire du rabbin, qui lui répondait le 29 juillet, dans les colonnes de l'OR:

"Si l’objectif de ce qui est dit est d’indiquer aux juifs le chemin de la croix, on ne comprend pourquoi il faut un dialogue et à quoi sert Assise (ndlr: le rabbin fait semblant d'interpréter Assise comme une étape du dialogue juifs/catholiques, alors qu'il s'agit de prier ensemble pour la paix)
...
On ne peut pas proposer sa propre différence à l’autre comme modèle à suivre. En le faisant, on dépasse une limite qui, dans le rapport judéo-chrétien, peut être atténuée mais qui doit être infranchissable. Tout au moins ce n’est pas une façon de dialoguer qui puisse intéresser les juifs".

L'OR mettait en vis-à-vis dans le même numéro la réponse de Kurt Kocch, qui disait, en subtance

Son article était adressé aux chrétiens. L'objectif était de souligner le devoir des chrétiens de chercher la réconciliation, y compris avec le judaïsme, "qui découle de l'essence même de leur foi". Il a invoqué la Croix, parce qu'elle est depuis longtemps considérée comme un obstacle au dialogue, mais en fait, pour les chrétiens, c'est le fondement de toute réconciliation.
Si des fidèles d'autres religions ne voient pas la croix de cette façon, ce n'est pas à lui de porter un jugement, cela relève de la "liberté de convictions religieuses" que tout le monde apprécie.

Et il concluait:

"Je ne pense absolument pas que les juifs aient à percevoir la croix comme nous chrétiens pour pouvoir prendre avec nous le chemin d’Assise. [...] Il n’est donc pas question de remplacer le Yom Kippour juif par la croix du Christ, même si les chrétiens voient dans la croix 'le Yom Kippour permanent et universel'. On touche ici au point fondamental, très délicat, du dialogue judéo-catholique, c’est-à-dire à la question de savoir comment on peut concilier la conviction, contraignante pour les chrétiens aussi, que l’alliance de Dieu avec le peuple d’Israël a une valeur permanente, avec la foi chrétienne en la rédemption universelle en Jésus-Christ, de telle sorte que, d’une part, les juifs n’aient pas l’impression que leur religion est considérée par les chrétiens comme dépassée et, d’autre part, que les chrétiens n’aient à renoncer à aucun des aspects de leur foi. Il est certain que cette question fondamentale occupera encore longtemps le dialogue judéo-chrétien. Ici, elle ne peut être mentionnée que brièvement. En tout cas, ce n'est certainement pas un obstacle au fait que les chrétiens et les juifs, dans le respect mutuel pour leurs convictions religieuses respectives, s'engagent à promouvoir la paix et la réconciliation et donc de cheminer ensemble vers Assise.".

(*) Pour comprendre ce débat éminemment théologique - au moins de la part du Cardinal Koch! - il convient d'expliquer ce qu'est le Yom Kippour:

Le Yom Kippour, le jour de l'expiation, est la fête liturgique la plus importante de l'année juive. C’est le jour où la rémission des péchés est accordée, le seul où le grand prêtre entrait dans le "saint des saints" du temple et appelait Dieu par son nom. Il est précédé de jours de repentir et il est célébré dans les synagogues en présence d’une nombreuse assistance. On y lit principalement le livre de Jonas, représentation grandiose de la miséricorde divine. Le jeûne est total, pendant 25 heures on ne mange et on ne boit pas.




Le point de vue de John Allen.

Pour commencer, il convient de préciser que John Allen est un "fan" de la ligne éditoriale imposée par Gian Maria Vian à l'OR, depuis septembre 2007. Il rejoint en cela l'ensemble de la presse "libérale", qui avait accueilli très favorablement sa nomination.... (1)

Lui aussi revient sur la polémique, et on ne sera pas surpris de constater qu'il en tire, avec une certaine naïveté, ou, si l'on veut, un certain parti-pris, tout le "positif" possible. On ne va pas lui reprocher de souligner qu'une rencontre d'Assise réussie sera une occasion pour l'Eglise de "reprendre la main" devant le tribunal de l'opinion, et que les dirigeants feront tout pour éviter un "flop".

Plus intéressant, il souligne deux faits étonnants qui n'ont pas été relevés:

- Le rabbin di Segni est appelé à s'exprimer dans les colonnes du journal du Pape, pour critiquer un membre éminent de la hiérarchie de l'Eglise.
Certes, on peut penser que c'est une façon de "crever un abcès" - comme le dit Allen - ou plutôt de désamorcer une petite bombe à retardement.
Mais on peut aussi éprouver un certain malaise à voir mis en parfaite symétrie dans le journal du Pape un rabbin et un cardinal, quand les niveaux - tant spirituel qu'intellectuel, l'un étant un théologien professionnel, et l'autre, dans la vie civile, un médecin (on ne peut pas être spécialiste de tout!), s'exprimant ici au nom de sa communauté - de leurs contributions respectives ne peuvent en aucun cas être comparés. La réciproque serait-elle envisageable?

- L'autre point qui peut prêter à réfléchir est que le même journal n'a jamais ouvert ses colonnes à la Fraternité Saint-Pie X, elle aussi très critique face à l'initiative d'Assise !!




 

Le Vatican engage un critique juif
Article en anglais: NCR; ma traduction
Par John Allen
5 août 2011
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Normalement, l'Osservatore Romano n'est pas l'endroit pour chercher des critiques du Vatican, de la même manière que personne ne regarde Fox News (ndt: la chaîne de Rupert Murdoch!!) pour y trouver des satires des Tea Party, ou ne lit le New York Times pour des parodies de l'attitude "bobo-libéral". Quel que soit leur bord, les médias n'ont généralement pas l'habitude de mordre la main qui les nourrit.

Pourtant, mirabile dictu , le 29 Juillet, l'édition de L'Osservatore offrait l'une des critiques les plus mordantes qui soit, d'une déclaration du Vatican. Elle venait du rabbin italien Riccardo Segni Di, en réponse à un texte du 7 Juillet, écrit par le cardinal suisse Kurt Koch, président du Conseil pontifical du Vatican pour l'unité des chrétiens, au sujet de la «Rencontre interreligieuse de prière pour la paix» convoquée par le Pape Benoît XVI et prévue le 27 octobre 2011, à Assise.

Di Segni, 62 ans, est le grand rabbin de Rome. (Il est aussi médecin-chef du département de radiologie à l'hôpital San Giovanni de Rome.)
Di Segni est bien connu au Vatican; dans le passé, il a contesté l'héritage du pape Pie XII, a refusé d'assister à des événements du Vatican avec des juifs convertis par peur de cautionner le prosélytisme, et rejeté la tentative de comparer à l'antisémitisme les critiques de l'Église sur les abus sexuels.

Ainsi l'Osservatore savait parfaitement qui il publiait (cf. note (1)): un partenaire de dialogue, oui, mais pas vraiment un caniche.

[Ici, Allen résume le débat évoqué plus haut]

Je ne suis pas en mesure d'évaluer les mérites théologiques (ndt: moi non plus! en réalité, ledit débat intéresse très peu de gens, et je soupçonne que le but de Di Segni était de marquer son opposition, une pratique qui lui est habituelle!) de l'objection de Di Segni, ou de la réponse de Koch - c'est le travail des experts. Ce que je peux faire, cependant, c'est offrir trois observations journalistiques sur l'importance de l'échange.

1. Pour L'Osservatore Romano

J'ai déjà écrit au sujet de la révolution à L'Osservatore sous le directeur Gian Maria Vian (1). Le journal offre désormais une synthèse magnifique de nouvelles internationales, d'interviews de circonstance, et d'essais provocateurs sur la théologie et l'histoire. Même ses articles de fond sont devenus, à défaut d'un meilleur mot, plus "hip": le temps de la Pravda est passé: Sous Vian, il est devenu aussi utile de lire dans les lignes du journal qu'entre ses lignes.
Le va-et-vient entre Di Segni et Koch fait partie de cette image, et il ne pouvait pas venir à un meilleur moment.
La crise des abus sexuels a fait sauter le couvercle du ressentiment anti-Vatican accumulé dans diverses parties du monde, suscitant un instinct de repli naturel, mais fondamentalement inutile. L'échange entre Di Segni et Koch montre qu'il existe une autre façon de prendre les critiques - sans fournir aide et facilités aux ennemis de l'église (ce que Di Segni n'est pas (?)), mais aussi sans se réfugier dans la défensive face à des préoccupations légitimes.
En outre, il y a une valeur thérapeutique dans l'intervention de l'Osservatore. Sans elle, le ressentiment juif sur l'e texte de Koch aurait suppuré, avec des conséquences potentiellement dommageables pour le sommet d'Assise. Là, cet abcès a été crevé.
Le débat Di Segni / Koch ne serait-il pas le début d'un élément régulier dans l'Osservatore, qui pourrait avoir un effet positif sur la psychologie du Vatican? un engagement constructif avec des critiques sérieuses, d'où qu'elles viennent.

2. Pour les relations juifs / catholiques

En soi, le fait que L'Osservatore ait publié l'article de Di Segni est un témoignage du sérieux avec lequel le Vatican prend les sensibilités juives. Après tout, le Vatican est impliqué dans le dialogue avec la société traditionaliste de Saint-Pie X, dont la hiérarchie a exprimé beaucoup d'objections à la rencontre d'Assise, mais rien de tout cela n'est ressorti dans le journal du Vatican.
Fondamentalement, l'échange peut être interprété comme un signe de santé dans les relations judéo / catholiques, pour cette raison: Les personnes adéquates se parlent .
Voici pourquoi. Les relations judéo / catholiques ont connu un boom depuis le Concile Vatican II (1962-65), comme les liens de l'Eglise avec les autres religions. Pourtant, avec les meilleures intentions du monde, ces dialogues ont parfois été confiés à des experts dans les diverses traditions qui, au fil des décennies, ont développé un langage, des rituels et une vision du monde communs. L'effet est que ces dialogueurs professionnels ont parfois plus de points communs entre eux qu'avec le courant dominant des religions qu'ils sont censés représenter.
Dit en termes politiques, le dialogue interreligieux formel est souvent dominé par les ailes libérales des différentes confessions. Dans un moment où la tendance dans le catholicisme semble carrément aux "évangéliques", toutefois, les non-initiés pourraient se demander si les libéraux peuvent réellement engager l'Église institutionnelle. (Une question similaire pourrait être posée sur d'autres traditions, avec le scepticisme bien connu entourant «l'islam modéré», comme l'exemple le plus évident.)
Le point essentiel, à propos de Koch et Di Segni, c'est qu'ils ne font pas partie d'une avant-garde interreligieuse. Au contraire, ils incarnent la pensée de la direction de leurs religions. Pour sa part, Koch est un Ratzingerien convaincu qui évolue à l'aise dans les cercles intellectuels autour du pape.
En ce sens, ils peuvent avoir un peu plus de mal pour trouver un terrain d'entente, mais lorsqu'ils le font, c'est du solide.

3. Pour le Sommet d'Assise

Enfin, l'échange de l'Osservatore illustre à quel point le Vatican veut qu'Assise se déroule bien.
Les faiseurs d'opinion ("movers and shakers", terme désignant les personnes exerçant un pouvoir ou une influence dans une sphère d'activité) de Rome sont bien conscients (ndt: ou plutôt, ils ont fait en sorte) que le sommet interreligieux de Jean-Paul II en 1986 soit parmi les moments emblématiques de son pontificat. Il a contribué à faire du pape un point de référence globale, il a amélioré l'efficacité de la diplomatie du Vatican, et il a relancé l'autorité morale de l'Église.
Aujourd'hui, le Vatican pourrait utiliser une autre victoire de ce type devant le tribunal de l'opinion publique. En Occident, il est confronté à un environnement politique et juridique hostile, avec l'Irlande menaçant même de violer le caractère sacré de la confession. Dans d'autres parties du monde, il a besoin de la bonne volonté des gouvernements et des leaders d'autres religions pour protéger les chrétiens sous le feu. L'attaque de mardi avec une voiture piégée contre une église syro-catholique de Kirkouk, en Irak, en offre la preuve tragique.
Un événement de grand relief public comme Assise, qui met en valeur la capacité unique de la papauté à mettre ensemble les religions, pourrait être une véritable aubaine - à condition, bien sûr, qu'il ne tourne pas en un nouveau fiasco de relations publiques.
Assise est également important pour Benoît XVI. Bien qu'il ait fait de grandes avancées dans les relations inter-religieuses, en particulier avec l'islam, dans certains milieux, il est toujours poursuivi par l'image d'un guerrier culturel associée à son Discours de Ratisbonne de Septembre 2006, dans lequel il citait un empereur byzantin critique de Mahomet (ndt: c'est une idée fixe!!!). Il est effrayant qu'un cinglé puisse reconnaître ce que de nombreux experts et spécialistes présumés n'ont pas pu, ou ne pourront pas. Dans son manifeste pour l'Europe, Andrew Behring Breivik a appelé Benoît XVI un "pape lâche, incompétent, corrompus et illégitime" parce que sa main tendue aux musulmans précipiterait "l'anéantissement délibérés et systématiques de la chrétienté européenne."
Compte tenu de tout cela, on peut s'attendre à ce que les responsables du Vatican se mettent en quatre pour éteindre tous les incendies potentiels liés au sommet d'Assise.
Naturellement, le fait que le cardinal Joseph Ratzinger a été parmi ceux qui considéraient comme ambivalent Assise 86 est également en filigranne de l'édition d'Octobre. À la lumière de cette histoire, les officiels du Vatican feront tout pour insister que ce n'est pas, comme Koch l'a dit, un «acte syncrétiste».




Note (1)

A propos de la "nouvelle" ligne de l'OR sous la direction de Gian Maria Vian, voir dossier ici: http://benoit-et-moi.fr/2008-I/...

A ce sujet, John Allen écrivait déjà:
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"Le journal a commencé à mener des interviews question-réponse sur les sujets du jour, souvent avec des cardinaux ou d’autres officiels de l’Eglise. Quelquefois ces entretiens ont donné des scoops sur l’existence de documents à venir, et d’autres fois ils ont été les premiers à donner le commentaire du Vatican sur les développements politiques et sociaux. Un responsable important du Vatican a dit à NCR que les cardinaux commençaient à prendre goût à ce genre d’entretiens, de telle sorte qu’à un certain nombre d’occasions, l’Osservatore avait pris de vitesse les canaux officiels et les autres média sur les développements imminents du Vatican.
Progressivement, ces interviews donnent aussi la voix à des personnalités importantes en dehors de l’Eglise Catholique, en particulier les dirigeants d’autres Eglises et d’autres religions. […] Aujourd’hui, le journal propose une série de questions réponses avec le Grand Rabbin de Rome, Riccardo di Segni. Chose intéressante, l’interview avec di Segni s’est concentré sur une lettre récente de Benoit XVI, dans laquelle le pape parlait d’urgence éducative, une idée que di Segni a paru minimiser, disant que les choses étaient encore pires sous l’ère fasciste. Cela signifie que les voix qui ne se calquent pas sur la ligne du pape ne seront pas boutées hors de l’Osservatore Romano.

Les signatures dans l’Osservatore Romano sont de plus en plus féminines, comme l’historienne juive Anna Foa, l’éditorialiste Eugenia Roccela, l’historienne des lois Giulia Galeotti, la scientifique Assuntina Morresi, et l’historienne Lucette Scaraffia. Dans une interview de janvier pour un journal italien, Vian a indiqué que l’effort pour augmenter la présence féminine d’auteurs, de rédacteurs en chef et de commentateurs avait été explicitement demandé par le pape Benoit XVI et le secrétaire d’Etat, le cardinal Tarcisio Bertone. […]"




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