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JMJ: JL RESTÀN (2)
 

"Vous serez comme des dieux": dans ce second article traduit par Carlota, JL Restàn revient sur le discours prononcé par le Saint-Père Place de Cibeles, et celui à l'Escorial, devant les jeunes professeurs d'Université. Deux discours magistraux, aux implications éminemment politiques. (27/8/2011)

Original en espagnol ici: http://www.paginasdigital.es/..




 
 

Vous serez comme des dieux

José Luis Restán
19/08/2011

Que le Pape ait parlé de ceux qui « se croient comme des dieux » (1) et pensent ne pas avoir besoin de racines ni de fondations hormis en eux-mêmes a causé incompréhension et scandale pour certains. La vérité est qu’il s’agit d’un thème éternel depuis les premières pages de la Genèse, et d’une grande actualité. Il est absurde de dire que Benoît XVI s’en est pris aux athées. Bien au contraire, cette affirmation du Pape est à la base de notre système des libertés.

Tout homme loyal à sa propre expérience peut reconnaître qu’il ne possède pas le fondement ni la raison de par lui-même, et qu’il ne peut pas se donner cette racine de par ses propres forces. Il y a des biens, des valeurs qui précèdent ses analyses, des biens devant lesquels l’on doit s’incliner. Cela peut être reconnu par un croyant et par un athée (de fait c’est la clef du fameux dialogue entre Habermas et Ratzinger). Sur cette reconnaissance de ce que nous sommes limités et que nous sommes ouverts à d’autre réalité (mystérieuse), de ce que personne ne peut s’arroger la prétention d’être absolu et autosuffisant, se base précisément la possibilité de signaler une limite à l’arbitraire de n’importe quel pouvoir.

Aucun homme ou femme, aucun groupe ou institution ni aucun État ne peuvent prétendre être absolus, être comme Dieu. C’est le fondement culturel et moral de la démocratie, qui ne s’est pas en vain enraciné dans le sol judéo-chrétien. Un agnostique ou un athée ne doit pas se sentir attaqué par cette réflexion du Pape. Le sen de la propre limite, de la nécessité d’une relation qui nous soutienne et nous constitue, d’une dignité inviolable qui précède nos analyses, consensus et décisions, est la base solide de la vie commune des diverses entités présentes dans une société plurielle.

Précisément ce vouloir « être comme des dieux » a été le véritable Waterloo de la modernité où se sont embourbés ses meilleurs idéaux et où ont grandi les totalitarismes qui ont flagellé le XXème siècle. Cette négation de l’ouverture originale de l’homme, de sa dépendance originale, de sa soif d’Infini, est dans le cœur de la crise de l’Occident et Benoît XVI rend un grand service en la dénonçant.

Le Pape a mis le doigt sur la plaie en abordant de plein fouet la question de la liberté et de ses perversions. Une liberté sans liens devient évanescente, bon plaisir et jeu à l’état pur. Une liberté sans référence à la vérité (laborieusement et loyalement recherchée) se transforme en amertume aveugle ou en puissance supérieure sauvage. Au contraire la grande figure que le christianisme met sur le tapis c’est celle de l’homme créé libre à l’image de Dieu, pour qu’il soit un protagoniste de la recherche de la vérité et du bien. Le Pape s’est demandé (a demandé à tous) « si ce n’est pas cela un sol fermé pour édifier la civilisation de l’amour et de la vie ».

Nous pouvons dire la même chose de la magistrale intervention au Monastère de l’Escorial (2) devant plus de mille jeunes professeurs. La recherche de la vérité sans adjectifs est le signe le plus grandiose de l’humanité et le meilleur service pour la liberté. Quand la connaissance ou le gouvernement se passent de cette recherche, ils se penchent au précipice du totalitarisme (ndt: l’on peut comprendre aisément pourquoi les médias ont si peu parler des messages espagnols du Pape). Des paroles dures mais vraies. Le christianisme, ce n’est pas du gâteau, mais c’est la charité dans la vérité, qui comme le sel dans une blessure peut brûler. Nous le voyons ces jours-ci.
Mais de nouveau insistons dans cette position du Pape qui peut être appelée authentiquement « laïque ». Ce qui nous unit à tous (croyants et non croyants) dans la construction de la cité commune c’est précisément la recherche loyale de la vérité. Cela ne nous divise pas mais nous fait amis et compagnons d’aventure. Dans ce dialogue dans la recherche de la vérité, dans ce témoignage réciproque des raisons de sa propre expérience, réside la laïcité positive, de celle dont Benoît a voulu en être l’enseignant ces jours-ci.

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Notes

(1) Oui, nombreux sont ceux qui, se croyant des dieux, pensent ne pas avoir besoin d’autres racines ni d’autres sources qu’eux-mêmes. Ils voudraient décider eux-mêmes ce qui est vérité ou pas, ce qui est bien ou mal, le juste et l’injuste ; décider ce qui est digne de vivre ou peut être sacrifié sur l’autel d’autres préférences ; marcher à chaque instant au hasard, sans but préétabli, se laissant guider par l’instinct du moment. Ces tentations sont toujours aux aguets. Il est important de ne pas y succomber car, en réalité, elles mènent à quelque chose d’aussi évanescent qu’une existence sans horizons, une liberté sans Dieu.
Fête d'accueil des jeunes, Plaza de Cibeles, jeudi 18 août 2011

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(2) Nous savons que quand la seule utilité et le pragmatisme immédiat s’érigent en critère principal, les pertes peuvent être dramatiques : des abus d’une science sans limites, bien au-delà d’elle-même, jusqu’au totalitarisme politique qui se ravive facilement quand on élimine toute référence supérieure au simple calcul de pouvoir. Au contraire, l’idée authentique d’université est précisément celle qui nous préserve de cette vision réductrice et détachée de l’humain.
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Les jeunes ont besoin de maîtres authentiques ; des personnes ouvertes à la vérité totale dans les différentes branches du savoir, sachant écouter et vivant à l’intérieur d’elles-mêmes ce dialogue interdisciplinaire ; des personnes convaincues, surtout, de la capacité humaine d’avancer sur le chemin vers la vérité. La jeunesse est le temps privilégié pour la recherche et la rencontre de la vérité. Comme le disait Platon : « Cherche la vérité tant que tu es jeune, parce que si tu ne le fais pas, ensuite elle t’échappera des mains » (Parménide, 135d). Cette haute aspiration est la plus valable que vous puissiez transmettre personnellement et vitalement à vos étudiants, et pas simplement quelques techniques matérielles et anonymes, ou quelques froides données, utilisées seulement de façon fonctionnelle.
Rencontre avec les jeunes professeurs universitaires, Basilique Saint-Laurent de l'Escorial, 19 août




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