Analyse d'un "best-seller" antichrétien

J'ai reproduit hier un article paru sur le site Petrus, Attaques contre l'Eglise: qui, pourquoi? , qui s'interrogeait (pas vraiment, en fait, les réponses étaient bien perceptibles) sur les attaques contre l'Eglise, visant à étouffer le message de l'Evangile.
Le prétexte en était la "une" d'un prestigieux hebdomadaire italien, et la parution d'un roman "facile" du faiseur de best-seller (pardon pour le barbarisme, mais je n'ai pas envie de l'appeler écrivain) Ken Follett.
L'Avvenire monte crânement à l'attaque, et donne la parole à un historien pour réfuter ses arguments cousus de fil blanc.
Le livre n'est pas encore paru en France, à ma connaissance, mais nul doute que ce sera pour bientôt.
De toutes façons, cet excellent article vaut pour une grande partie de la production que l'on n'ose appeler "littéraire", dans une société où la culture se vend en hypermarché.

Article original en italien ici: ken_follet.pdf [309 KB]
Ma traduction:

POLÉMIQUE

L'écrivain sort son nouveau roman et accuse l'Église d'indifférence envers la Peste noire.
La réponse" de l'historien Cardini
Le faux Moyen âge de Ken Follett
Franco Cardini
-----------------------------
"Je ne croyais pas en Dieu il y a vingt ans, tout comme je n'y crois pas aujourd'hui. Ce qui a effectivement changé, c'est ma prise de conscience de tout le mal qui a pu être fait au nom de la religion... La Peste (de 1347-52) révéla à tous la vérité : le clergé était complètement impuissant... La découverte de l'infection bactérienne a permis de sauver la vie à des millions de personnes en montrant que les préjugés anti-scientifiques de la religion n'avaient pas le moindre fondement ".

Cela ne vaudrait pas la peine de gaspiller du temps et de l'encre à citer ce ramassis de bêtises, de banalités, d'erreurs et de mensonges s'ils n'étaient sortis hélas - sauf démenti souhaitable mais improbable - de la bouche d'un des écrivains parmi les plus célèbres, les plus lus et les plus adulés de notre temps; et si un journaliste dans le numéro de "Panorama" de cette semaine ne les avait pieusement recueillis et transcrits, sans le moindre commentaire qui ne soit admiratif et flatteur.
Comme si c'était de l'or qui coulait. Et pourtant, ce n'est pas vraiment d'or, qu'il s'agit ici.
L'effigie de Ken Follett, le célèbre auteur de thrillers et d'histoires d'espionnage parmi les plus vendus au monde, occupe triomphalement la couverture de l'hebdomadaire réputé, où, exultant, il annonce: "Science et religion : les fautes de l'Église", et où son nouveau livre, le Monde sans fin, est présenté comme "un acte d'accusation contre le clergé ".
Le livre n'est pas encore dans les librairies, mais c'est déjà un best seller annoncé : et il le deviendra, par la force de choses, dès l'instant que la puissante machine médiatique de son éditeur est déjà en mouvement et que les photos de l'auteur sont affichées dans toutes les grandes librairies. Une force considérable, qui aura une retombée assurée.

Mais il y a une limite à tout.
Il n'y a rien à dire sur le Follett auteur de thrillers à succès... Mais lorsqu'il s'essaie aux thèmes historiques, spécialement ceux liés au Moyen-âge, il faut dire que les résultats sur le plan proprement historique, justement, sont décevants : son célébrissime "Les piliers de la terre" est, sous l'angle de la reconstruction de ce qu'il présente comme "le Moyen âge", un ridicule méli-mélo dans lequel naviguent (et c'est le meilleur côté) des réminiscences de Victor Hugo assaisonné à une sauce à mi-chemin entre Disneyland et Carolina Invernizio.
Je n'ai pas encore lu "Monde sans fin", et je ne peux pas donc le juger: mais, en s'en tenant aux déclarations de son auteur, il y a vraiment de quoi s'indigner.
L'interviewer a l'air de découvrir quelque chose de nouveau et d'original, "un Moyen-âge très éloigné des représentations stéréotypées d'une époque immobile et privée d'innovation".
On ne peut s'empêcher de rire, mais aussi de perdre patience. Depuis des décennies les médiévistes du monde entier - de Bloch à Le Goff, à Tabacco et à milles autres - nous répètent au contraire, que le soi-disant Moyen âge (une période définie de manière arbitraire, et de toute façon très longue, peut-être même au-delà d'un millénaire selon certains) fut caractérisé par une profonde expérimentation dans tous les domaines, de la technologie à la politologie. Même un mystique comme Bernard de Clairvaux était un amoureux des machines et des moulins avec lesquels on travaillait dans les monastères cisterciens.

Follett est tout à fait libre d'être athée et anticlérical : mais, s'il décide de parler du Moyen âge, il n'est pas tout à fait libre d'ignorer tout de l'authentique passion pour la recherche et l'innovation qui animait des personnages comme Gerberto d'Aurillac, Ruggero Bacone et tant d'autres : clercs, prêtres, religieux et mystiques, et pas seulement quelque rêveur alchimiste, ou hérétique isolé.

Mais l'Église inventée par Follett dans son dernier roman, à l'entendre, est une association de profiteurs, de voleurs, d'exploiteurs et de violeurs. La peste survient au milieu du XIV ème siècle, et elle ne fait rien pour la combattre ni pour soulager la souffrance des gens. Selon Follet, les universités, les hôpitaux, les immenses oeuvres de miséricorde, ne sont rien. Selon lui, les responsabilités du fait que le mécanisme des infections bactériennes n'était pas connu avant le XIX ème siècle est à attribuer aux "préjugés anti-scientifiques de la religion". Il ne lui passe pas un instant par la tête que les thèses relatives à la contagion par la "corruption de l'air" ou dûes au "déséquilibre des humeurs physiques" étaient en réalité la science de cette époque, celle pratiquée par toute une societé : y compris par l'Eglise, justement, dans la mesure où l'Église et la societé de ce temps coïncidaient.
Je renvoie les gens intéressés par la Peste Noire à mon récent livre Le cento novelle contro la morte (edizioni Salerno), où la période examinée par Follett est abordée sous l'angle de l'histoire médiévale la plus récente. En particulier, il n'est pas tout à fait si évident que l'épidémie emporta avec elle les deux tiers de la population européenne : en réalité les victimes de la contagion se répartirent "en taches de léopard", selon une géographie difficile à comprendre. Dans beaucoup de cas, les morts furent bien supérieurs à l'estimation donnée par l'écrivain gallois ; dans d'autres, à l'inverse, la contagion ne passa pas. Je remarque à ce sujet le cas de la ville de Milan, qui fut mystérieusement et miraculeusement épargnée. Quant au conflit entre science et Église, je le répète, il n'y en eut pas vraiment. Les médecins de cette époque étaient étroitement encadrés à l'intérieur d'un savoir cohérent dans lequel théologie et physiologie cohabitaient profondément. Les critiques formulées par le romancier n'ont donc pas la moindre crédibilité et proviennent clairement ou de son ignorance des données de fait, ou de son anti-catholicisme, ou d'un antipathie mélangeant ces deux aspects.
Ce "tir" antichrétien et, surtout, anticatholique, finit justement par frapper toutes les religions, et le fait religieux à travers lui. De la religion et de l'homo religiosus naissent tous les maux du monde, autrefois comme aujourd'hui. La soif de gain, les destructions aveugles de l'environnement au nom du profit, la volonté illimitée de puissance des élites économiques et financières et de leurs complices exécutifs n'ont aucune responsabilité. Tout est la faute de Dieu et de ceux qui croient en lui.