Une catéchèse exemplaire

Portrait de Grégoire de Naziance



Lors de la catéchèse du 8 août, Benoît XVI a évoqué, avec un ton intensément personnel, la figure d'un éminent "père de l'Eglise" du IV-ème siècle, Grégoire de Naziance, dans lequel il m'a paru évident qu'il se reconnaissait. C'était une catéchèse d'un ton plus intimiste que religieux, ou brassant de grands thèmes philosophiques et théologiques, et ce sont celles-là que je préfère.
Regardant le "direct" sur KTO, et pouvant apprécier pleinement la voix du Saint-Père en italien -- pour une fois, il n'y avait pas de traduction --, j'ai constaté qu'une partie de ce texte a été prononcé "a braccio" (on comprend vraiment l'expression italienne!) en fixant l'auditeur dans les yeux, le bras tendu, l'index dressé, la main expressive, afin d'accentuer l'effet de conviction. Le professeur s'était transformé en un conteur fascinant, et son évocation d'un passé pour nous lointain s'avérait, comme on le dit souvent aujourd'hui, étonnamment moderne; il y a même une référence au "politiquement correct"!..

C'est donc un véritable autoportrait, à lire -- entre les lignes -- pour le connaître encore mieux.
Il y a beaucoup de similitudes entre lui et Grégoire de Naziance, des références à des épisodes de sa vie, à son propre cheminement, et même à notre époque (*).
Evidemment, il est trop modeste pour se dévoiler à travers les personnages qu'il nous fait découvrir chaque mercredi, et c'est probablement très éloigné de ses intentions, mais on sent que ce sont pour lui des modèles - et des amis. Dont il voudrait qu'ils le deviennent aussi pour nous.
[Accepter], comme cela lui arriva souvent dans sa vie, de se laisser porter par la providence là où il ne voulait pas aller, n'est-ce pas ce que le cardinal Ratzinger a fait à plusieurs reprises dans sa vie, et encore un fois le 19 avril 2005 -- il a utilisé ces mêmes mots, en souriant, devant ses compatriotes allemands venus le saluer?
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J'ai aimé l'allusion à l'amitié entre Basile et Grégoire qui m'a fait penser, en plus beau encore, à la célèbre phrase de Montaigne parlant de son ami La Boétie, et que j'ai trouvée particulièrement émouvante et délicate: Il semblait que nous ayions une âme unique en deux corps...

En lisant ce texte si personnel de sa main, où il fait sienne, pour nous, une pensée si complètement jumelle , je pense décidément à ce témoignage recueilli par Constance Cesari-Colonna dans sa biographie de Benoît XVI: "Il est estomaquant de sensibilité".

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...on peut aussi imaginer que cet homme, qui était tellement tenté d'aller au-delà de la terre, a beaucoup souffert par les choses de ce monde.
... la solitude, la méditation philosophique et spirituelle, le fascinaient.
... il reçut l'ordination sacerdotale avec une certaine réticence, parce qu'il savait qu'il lui faudrait ensuite faire le pasteur, s'occuper des autres, de leurs affaires, et donc ne plus pouvoir se recueillir dans la méditation pure.
Mais aussitôt, une forte opposition se ligua contre lui, jusqu'à ce que la situation devînt insoutenable. Pour une âme sensible comme la sienne, ces inimitiés étaient insupportables.
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J'ai pris beaucoup de plaisir à traduire ce texte, à le sous-titrer, à l'illustrer d'"instantanés" choisis et capturés sur le direct de KTO, puisque j'en avais le temps, et même si je sais qu'à mon retour, le travail de traduction aura été fait sur le site du Vatican.
La francisation des noms propres m'a posé quelques problèmes... et je me suis fiée à mon instinct, n'ayant pas de documents sous la main.



 

(Ma traduction d'après le texte original en italien sur le site du Vatican)
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Mercredi dernier, j'ai parlé d'un grand maître de la foi, le "père de l'Eglise" Saint-Basile. Aujourd'hui, je voudrais parler de son ami Grégoire de Naziance, comme lui originaire de la Cappadocie. Ilustre théologien, orateur, prédicateur de la foi chrétienne au IVème siècle, il fut célèbre pour son éloquence, et eut aussi, comme poète, une âme raffinée et sensible.


 

1. Une grande amitié

Grégoire nacquit dans une famille noble. Sa mère le consacra à Dieu dès sa naissance, autour de 330. Après la première éducation familière, il fréquenta les plus célèbres écoles de son époque: d'abord à Césarée de Cappadocie, où il se lia d'amitié avec Basile, futur évêque de cette ville, puis il s'installa dans d'autres villes du monde antique, comme Alexandrie, en Egypte, et surtout Athènes, où il rencontra de nouveau Basile... Evoquant cette amitié, Grégoire écrira plus tard:
"Je n'étais pas seul à ressentir de la vénération envers mon grand Basile, pour le sérieux de ses moeurs, pour la maturité et la sagesse de ses discours, mais je poussais d'autres, qui ne le connaissaient pas encore à faire de même... nous étions guidés par la même soif de savoir... telle était notre compétition: non pas à celui qui était le premier, mais à celui qui permettrait à l'autre de le devenir. Il semblait que nous ayions une âme unique en deux corps".
Ces mots font un un peu office d'auto-portrait à cette âme noble. Mais on peut aussi imaginer que cet homme, qui était tellement tenté d'aller au-delà de la terre, a beaucoup souffert par les choses de ce monde.


 

2....le miroir immaculé des choses divines

De retour chez lui, Grégoire reçut le baptême, et s'orienta vers la vie monastique: la solitude, la méditation philosophique et spirituelle, le fascinaient. Lui-même écrira: "Nul ne me semblait plus grand que cela: imposer silence à ses propres sens, sortir de la "chair du monde", se recueillir en soi-même, ne plus s'occuper des choses humaines, sinon des nécessités immédiates, parler avec soi-même, et avec Dieu, mener une vie qui transcende les choses visibles; porter dans son âme des images divines toujours pures, sans se mêler de choses terrestres ou erronées; être vraiment le miroir immaculé des choses divines, et le devenant toujours davantage, prenant la lumière de la lumière...; jouir, dans l'espérance présente, du bien futur, et converser avec les anges; avoir déjà pris congé de la terre, tout en restant sur la terre, transporté en haut avec l'esprit."


 

3. Là oł il ne voulait pas aller

Comme il le confie dans son autobiographie, il reçut l'ordination sacerdotale avec une certaine réticence, parce qu'il savait qu'il lui faudrait ensuite faire le pasteur, s'occuper des autres, de leurs affaires, et donc ne plus pouvoir se recueillir dans la méditation pure: pourtant, il accepta cette vocation, et assuma le ministère pastoral en pleine obéissance, acceptant, comme cela lui arriva souvent dans sa vie, de se laisser porter par la providence là où il ne voulait pas aller. En 371, son ami Basile, évêque de Césarée, contre la volonté du même Grégoire, voulut le consacrer évêque de Sasime, un pays d'une importance stratégique de Cappadocie. Lui, cependant, pour diverses raisons, ne prit jamais possession de cette charge, et resta dans la ville de Naziance.


 

4. Cinq discours splendides et fascinants

Vers 379, Grégoire fut appelé à Constantinople, la capitale, afin de guider la petite communauté catholique fidèle au Concile de Nicée et à la foi en la Trinité. La majorité, à l'inverse, adhérait à l'arianisme, qui était "politiquement correct" et considéré comme politiquement utile à l'Empereur. Ainsi, il se trouva en position de minorité, entouré d'hostilité. Dans la petite église d'Anastasis, il prononça cinq discours théologiques, précisément pour défendre et rendre intelligible la foi trinitaire. Ce sont des discours demeurés célèbres, pour la fermeté de la doctrine, l'habilité du raisonnement, qui fait vraiment comprendre la logique divine. Et aussi la splendeur de la forme les rendent fascinants aujourd'hui encore. A cause de ces discours, Grégoire reçut la dénomination de "théologien". C'est ainsi qu'on l'appelle dans l'Eglise orthodoxe: le théologien. Et ceci parce que, pour lui, la théologie n'est pas une relation purement humaine, et encore moins le fruit de spéculations compliquées, mais elle dérive d'une vie de prière et de sainteté, d'un dialogue assidu avec Dieu. Et ainsi, elle fait apparaître à notre raison la réalité de Dieu, le mystère de la trinité. Dans le silence contemplatif, saisi de stupeur devant les merveilles du mystère révélé, l'âme accueille la beauté et la gloire divine.


 

5. D'insupportables inimitiés

Alors qu'il participait au second Concile Oecuménique de 381, Grégoire fut élu évêque de Constantinople, et assuma la présidence du Concile. Mais aussitôt, une forte opposition se ligua contre lui, jusqu'à ce que la situation devînt insoutenable. Pour une âme sensible comme la sienne, ces inimitiés étaient insupportables. Ce dont Grégoire s'était déjà plaint précédemment avec des paroles affligées se renouvelait: "Nous avons divisé le Christ, nous qui aimions tant Dieu, et le Christ. Nous nous sommes menti les uns aux autres, au nom de la vérité, nous avons nourri des sentiments de haine à cause de l'amour, nous nous sommes divisés!".
Dans un climat de tension, on arriva ainsi à sa démission. Dans la cathédrale archi-comble, Grégoire prononça un discours d'adieu de grand effet, plein de dignité. Il conclut son intervention peinée par ces mots: "Adieu, grande ville ... aimé du Christ... Mes enfants, je vous en supplie, gardez le dépôt [de la foi] qui vous a été confié, rappelez-vous de mes souffrances. Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous!".


 

6. Le chemin exemplaire d'un chrétien souffrant

Il s'en revient à Naziance, et, pendant deux années, il se consacra au soin pastoral de cette communauté chrétienne. Puis il se retira définitivement dans la solitude près d'Ariance, sa terre natale, se consacrant à l'étude et à la vie ascétique. Durant cette période, il composa la majeure partie de son oeuvre poétique, surtout autobiographique: "De vita sua", une relecture en vers de son propre itinéraire humain et spirituel, un chemin exemplaire d'un chrétien souffrant, d'un homme plein d'intériorité dans un monde de conflits. C'est un homme qui nous fait sentir la primauté de Dieu, et pour cette raison s'adresse aussi à nous, à notre monde: sans Dieu, l'homme perd sa grandeur, sans Dieu, il n'y a pas de vrai humanisme. Ecoutons donc sa voix, et cherchons à connaître nous aussi le visage de Dieu. Dans une de ses poésies, il avait écrit, s'adressant à Dieu: "Sois bienveillant, Toi, l'Au-delà de tout".
Et en 390, Dieu accueillait entre ses bras ce serviteur fidèle, qui, avec une intelligence aigüe, l'avait défendu dans ses écrits, et qui, avec tant d'amour, l'avait chanté dans ses poésies"
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Rappel

Sur un thème voisin, on se souviendra de la catéchèse du 20 juin dernier, sur Anathase d'Alexandrie.
Voir ici: Audience du 20 Juin.

Voir aussi, à propos des catéchèses du mercredi: Les catéchèses de Benoît XVI et surtout ici: Benoît XVI censuré par les medias.