Catéchèse du 24 octobre: Saint-Ambroise

Une catéchèse passionnante qui se lit comme un conte moral (le récit de la mort d'Ambroise est un grand moment...).
A tel point que j'ai pris un grand plaisir à la traduire avant que le Vatican ne s'en charge.
Ambroise est lié d'une certaine façon à son maître Saint-Augustin, on sent que le Saint-Père s'implique à fond.
Il a d'ailleurs prononcé une certaine partie de son discours sans notes, très détendu, et d'une voix étonamment claire.
Un grand moment, avec de réelles envolées, comme celle-là:
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"Celui qui éduque à la foi... doit être comme le disciple aimé, qui a posé sa tête sur le coeur du Maître, et a appris là la façon de penser, de parler, d'agir".
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Texte original en italien: www.vatican.va/holy_father/


 

Chers frères et soeurs,

... le Saint évêque Ambroise - dont je vous parlerai aujourd'hui - mourut à Milan dans la nuit entre le 3 et le 4 avril de 397. C'était l'aube du Samedi Saint. Le jour d'avant, vers cinq heures de l'après-midi, il s'était mis à prier, étendu sur le lit, avec les bras ouverts en forme de croix. Il participait ainsi, dans le solennel Triduum Pascal, à la mort et à la résurrection du Seigneur. "Nous le voyions remuer ses lèvres", atteste Paolino, le diacre fidèle qui sur l'invitation d'Augustin en écrivit la vie, "mais nous n'entendions pas sa voix". Tout à coup, la situation parut se précipiter. Honoré, Évêque de Vercelli, qui se trouvait assister Ambroise et dormait à l'étage au-dessus, fut réveillé par une voix qui lui répétait : "Lève-toi, vite ! Ambroise est en train de mourir... ".
Vite, Honoré descendit - poursuit Paolino - "et apporta au Saint le Corps du Seigneur. Dès qu'il l'eût pris et dégluti, Ambroise rendit l'esprit, emportant avec lui le bon viatique. Ainsi son âme, renforcée par la vertu de cette nourriture, put alors jouir de la compagnie des anges "
En ce Vendredi Saint de l'an 397, les bras grand ouverts d'Ambroise mourant exprimaient sa participation mystique à la mort et à la résurrection du Seigneur. C'était-là sa dernière catéchèse : dans le silence des mots, il parlait encore, avec le témoignage de la vie.

Ambroise n'était pas vieux lorsque il mourut. Il n'avait même pas soixante ans, étant né autour de 340 à Treviri, où son père était préfet... La famille était chrétienne. A la mort de son père, la maman le mena à Rome alors qu'il était encore enfant, et le prépara à la carrière civile, en lui assurant une solide instruction réthorique et juridique. Vers 370 il fut envoyé pour gouverner les province de l'Emilie et de la Ligurie, dont le siège était à Milan. Là, la bataille entre orthodoxes et ariens battait son plein, surtout après la mort de l'Évêque arien Aussenzio.
Ambroise intervint pour pacifier les esprits des deux factions rivales, et son autorité fut telle que, bien que simple catéchumène, il fut acclamé par le peuple comme Évêque de Milan.

Jusqu'à cet instant Ambroise était le plus haut magistrat de l'Empire dans l'Italie septentrionale. Culturellement très bien préparé, mais aussi démuni dans l'approche des Écritures, le nouvel Évêque se mit à les étudier avec obstination. Il apprit à connaître et à commenter la Bible à partir des oeuvres d'Origène, le Maître indiscuté de l'"école d'Alexandrie". Ainsi, Ambroise transféra dans l'environnement latin la méditation des Écritures initiée par Origène, en entamant en Occident la pratique de la lectio divine. La méthode de la lectio en vint à guider toute la prédication et les écrits d'Ambroise, qui jaillissent précisément de l'écoute priante de la parole de Dieu. Un célèbre exorde d'une catéchèse ambrosienne expose remarquablement comment le saint évêque appliquait l'Ancien Testament à la vie chrétienne : "Tout en lisant les histoires des Patriarches et les maximes des Proverbes, nous traitions chaque jour de morale - dit l'Évêque de Milan à ses catéchumènes et aux néophytes - afin que, formés et instruits par eux, vous vous habituiez à entrer dans la voie des Pères et à suivre le chemin de l'obéissance aux préceptes divins" . En d'autres termes, les néophytes et les catéchumènes, selon l'Évêque, après avoir appris l'art de vivre selon le bien, pouvaient maintenant se considérer comme préparés aux grands mystères de Christ. Ainsi la prédication d'Ambroise - qui représente le noyau de son oeuvre littéraire considérable - part de la lecture des Livres sacrés ("les Patriarches", c'est-à-dire les Livres historiques, et "les Proverbes", c'est-à-dire les Livres Sapientiaux), pour vivre conformément à la divine Révélation.

Il est évident que le témoignage personnel du prédicateur et le niveau d'exemplarité de la communauté chrétienne conditionnent l'efficacité de la prédication. De ce point de vue, un passage des Confessions de Saint-Augustin est significatif Il était venu à Milan comme professeur de réthorique ; il était sceptique, pas chrétien. Il cherchait, mais il n'était pas en mesure de trouver réellement la vérité chrétienne. Ce qui remua le coeur du jeune rétheur africain, sceptique et désespéré, et le poussa définitivement à la conversion, ce ne fut pas en priorité les belles homélies d'Ambroise -qu'il appréciait aussi beaucoup. Ce fut plutôt le témoignage de l'Évêque et de son Église milanaise, qui priait et chantait, compacte comme un seul corps. Une Église capable de résister aux arrogances de l'empereur et de sa mère, qui, dans les premiers jours de l'an 386 prétendaient réquisitionner un édifice de culte pour les cérémonies des ariens. Dans l'édifice qui devait être réquisitionné - rapporte Augustin - "le peuple fidèle veillait, prêt à mourir avec son Évêque". Ce témoignage des Confessions est précieux, parce qu'il signale que quelque chose allait remuer dans le coeur d'Augustin, lequel poursuit : "Nous aussi, encore tièdes spirituellement, participions à l'excitation de tout un peuple".

De la vie et de l'exemple de l'Évêque Ambroise, Augustin apprit à croire et à prêcher. Nous pouvons nous référer à un sermon célèbre de l'Africain, qui mérite d'être cité bien des siècles après, dans la Constitution conciliaire Dei Verbum : "Il est nécessaire - met en effet en garde Dei Verbum au n. 25 - que tous les clercs et ceux qui, comme les catéchistes, exercent le ministère de la parole, conservent en permanence un contact avec les Écritures, au moyen d'une lecture assidue des textes sacrés, et d'une étude soigneuse" afin de ne pas devenir - et là se trouve la citation d'Augustin - un vain prédicateur de la Parole, qui reste à l'extérieur et qui ne l'écoute pas de l'intérieur "".
Il avait appris d'Ambroise ceci, "écouter de l'intérieur", cette assiduité dans la lecture de la Sainte Écriture, dans une attitude de prière, de manière à accueillir réellement dans son coeur et à assimiler la Parole de Dieu.

Chers frères et soeurs, je voudrais vous proposer encore une sorte d'"icône patristique" (ndt: image des Pères de l'Eglise?), qui, interprétée à la lumière de ce que nous avons dit, représente fidèlement "le coeur" de la doctrine ambrosienne. Dans le sixième livre des Confessions, Augustin raconte sa rencontre avec Ambroise, une rencontre certainement de grande importance dans l'histoire de l'Église. Il écrit textuellement que, lorsqu'il se rendait chez l'Évêque de Milan, il le trouvait régulièrement assailli par des foules de gens pleins de problèmes, pour lesquels il se prodiguait. Il y avait toujours une longue file qui attendait de parler avec Ambroise pour trouver auprès de lui consolation et espoir. Lorsqu'Ambroise n'était pas avec eux, avec les gens (et ceci arrivait rarement), soit il restaurait son corps avec la nourriture nécessaire, soit il alimentait son esprit avec des lectures. Ici, Augustin s'étonnait, parce qu'Ambroise lisait les Écritures à bouche fermée, seulement avec les yeux (cf Confess. 6,3). De fait, dans les premiers siècles chrétiens la lecture était étroitement conçue aux fins de la proclamation, et les lectures à haute voix facilitait la compréhension, y compris à celui qui lisait. Qu'Ambroise pût parcourir les pages rien qu'avec les yeux, signalait à Augustin admiratif une capacité singulière de lecture et de familiarité avec les Écritures. Et dans cette "lecture à fleur des lèvres", où le coeur s'emploie à rejoindre l'intelligence de la Parole de Dieu - c'est là "l'icône" dont nous parlions -, on peut entrevoir la méthode des catéchèses ambrosiennes : c'est l'Écriture même, intimement assimilée, qui suggére les contenus à annoncer pour mener à la conversion des coeurs.

Ainsi, en s'en tenant au magistère d'Ambroise et d'Augustin, la catéchèse est inséparable du témoignage de vie. Ce que j'ai écrit dans l'"Introduction au christianisme", à propos du théologien peut servir aussi au catéchiste. Celui qui éduque à la foi ne peut pas risquer d'apparaître comme une sorte de clown, qui récite un rôle "pour faire son métier". Plutôt - pour employer une image chère à Origene, écrivain particulièrement apprécié d'Ambroise - il doit être comme le disciple aimé, qui a posé sa tête sur le coeur du Maître, et a appris là la façon de penser, de parler, d'agir. En fin de compte, le vrai disciple est celui qui annonce l'Évangile de la façon la plus crédible et la plus efficace. Comme l'apôtre Jean, l'Évêque Ambroise - qui jamais ne se lassait de répéter : "Omnia Christus est nobis ! ; Le Christ est tout pour nous!" - reste un authentique témoin du Seigneur. Avec ses propres mots, pleins d'amour pour Jésus, concluons ainsi notre catéchèse : "Omnia Christus est nobis ! Si tu veux soigner une blessure, il est le médecin ; si tu es brûlé par la fièvre, il est la source ; si tu es opprimé par l'injustice, il est la justice ; si tu as besoin d'aide, il est la force ; si tu crains la mort, il est la vie ; si tu désires le ciel, il est le chemin; si tu es dans les ténébres, il est la lumière... Goûtez, et voyez comme il est bon, le Seigneur : bienheureux est l'homme qui espère en lui!" (De virginitate 16,99).
Espérons nous aussi dans le Christ. Nous serons ainsi bienheureux et vivrons dans la paix.