Création et évolution, la réflexion de Benoît XVI

Il s'agit d'un "dossier" publié le 13 novembre dans L'Avvenire.
La traduction m'a donné, je l'avoue, un peu de fil à retordre, les puristes pourront revenir à la version originale en italien sur le blog de Raffaella.
Dans sa bouche, ou sous sa plume, la Création n'est l'objet d'aucune crispation idéologique, elle devient quelque chose de compréhensible, et de raisonnable. "Il s'agit plutôt de cette interaction entre les différentes dimensions de la raison, dans laquelle s'ouvre aussi le chemin de la foi."
Je trouve passionnant et admirable que le Saint-Père puisse s'exprimer vraiment en Pape, c'est-à-dire avec avec une hauteur de vue maximale, sur un sujet aussi pointu, qu'il comprend d'un point de vue scientifique, et dont il domine les aspects philosophiques et moraux, pour nous guider. Y compris en utilisant un langage familier, lorsque, soulignant les "vides" de la théorie de l'évolution, il dit non sans humour: 'Ce n'est pas que maintenant je veuille glisser le bon Dieu dans ces vides : il est trop grand pour trouver place dans ces vides.'
Je ne suis pas sûre que tous les "laïcistes" qui ricanent sur "l'intelligent design" seraient capables de lui opposer des arguments.
Quant à ceux qui glosent sur l'"obscurantisme" du Vatican, ils sont pulvérisés!
Ma traduction

L'Avvenire, 13 novembre 



En Italie, un livre intitulé "Creazione ed Evoluzione. Un convegno con Papa Benedetto XVI a Castel Gandolfo" vient de sortir ces jours-ci en librairie (Editions Dehoniane Bologna): il réunit les Actes du Séminaire qui s'est tenu à huis-clos dans la résidence estivale du Pape, du 1er au 3 septembre 2006.
Il s'agissait de la rencontre annuelle du "Ratzinger­Schülerkreis", le groupe d'ex-doctorants du professeur Ratzinger aux universités de Bonn, Münster, Tubingen et Regensburg, et qui depuis 1978 se réunit régulièrement avec leur ancien maître. Un groupe qui rassemble ceux qui aujourd'hui sont devenus des prélats, des théologiens, des éditeurs, habitués à s'entretenir dans une certaine discrétion, hors de l'attention de la presse. L'année dernière, au contraire, ils se sont trouvés au centre d'une attention internationale, avec des journalistes qui faisaient le guet devant les gardes suisses, ... à la recherche de quelque indiscrétion.
La curiosité était dûe au débat amorcé en Juillet 2005 par le désormais célèbre article du cardinal Christoph Schönborn sur le New-York Times, dans lequel l'archevêque de Vienne invitait à repenser l'explication darwinienne de l'évolution (article défini par Benoît XVI comme "providentiel").
Mais l'intérêt, en ce mois de septembre romain, allait surtout à ce qu'aurait dit le Pape lui-même au sujet de l'intelligent design, la sélection naturelle, la création, etc..
La réponse se trouve contenue dans ce volume qui suit fidèlement le déroulement des travaux pendant trois jours à Castel Gandolfo. On y trouve en effet les interventions des trois conférenciers-invités : Peter Schuster, professeur de chimie théorique à l'Université de Vienne et président de l'Académie autrichienne des sciences, sur "Évolution et dessein" ; Robert Spaemann, professeur émérite de philosophie à la Ludwig- Maximilians­Universität de Munich, sur "Descendance et "dessein intelligent" ; le jésuite Paul Erbrich, professeur émérite de philosophie naturelle à la Hochschule für Philosophie de unich, sur "le problème de la création et de l'évolution" ; le cardinal Schönborn sur "Fides, ratio, scientia"; donc, la discussion collective et les réflexions de Benoît XVI, dont un extrait se trouve ici.
À tout cela, il faut ajouter une post-face de Siegfried Wiedenhofer, professeur de théologie dogmatique à la Goethe- Universität de Francfort, sur "Foi en création et théorie de l'évolution", mais aussi la longue préface, portant elle aussi la signature de Schönborn, dans lequel est tracée une synthèse des plus efficaces de la pensée du Pape sur évolution et évolutionisme. En récupérant pour l'occasion des textes peu connus, comme la transcription d'une émission radiophonique que le théologien Ratzinger tint en 1968 sur la station Sueddeutsche Rundfunk.

L'évolution ? Elle n'exclut pas le Dieu créateur

par Benoît XVI
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Avec les quatre relations que nous avons écoutées, s'ouvre devant nous un vaste spectre sur lequel nous pourrions discuter beaucoup plus longuement, mais malheureusement nous avons peu de temps à notre disposition.
Après la pause nous pouvons encore discuter quelques questions. Je pense que surtout, les intervenants eux-mêmes veulent se dire quelque chose l'un à l'autre, l'un pour l'autre, et l'un contre l'autre, mais toujours dans une contraposition productive qui vise à faire en sorte que nous connaissions la vérité et que nous en assumions la responsabilité.

Nous devons penser à ce que nous voulons faire avec le trésor des quatre relations. ...
J'ai l'impression que ce fut la providence qui a induit le cardinal Schönborn à écrire cet article dans le New York Times, à rendre ce thème accessible au public et à indiquer où se situent les questions : qu'il ne s'agit pas d'opter ni pour un créationisme, qui se ferme substantiellement à la science, ni pour une théorie de l'évolution qui dissimule ses vides ou ses lacunes et ne veut pas voir les questions qui dépassent les possibilités de la méthode des sciences naturelles. Il s'agit plutôt de cette interaction entre les différentes dimensions de la raison, dans laquelle s'ouvre aussi le chemin de la foi.

Lorsque, entre ratio et fides, on met l'accent sur la science ou la philosophie, il s'agit au fond de récupérer sous une forme nouvelle une dimension de la raison que nous avions perdue. Sans elle, la foi se trouverait exilée dans un ghetto et ainsi perdrait son sens pour la totalité de la réalité et de l'être humain.
Ce que je suis en train de dire, en effet, est déjà d'une certaine façon dépassé par les derniers exposés, parce que cela dérive directement de l'écoute de l'exposé du professeur Schuster, mais je voudrais le dire quand même.
Le professeur Schuster a d'une part évoqué de manière étonnante la logique de la théorie de l'évolution qui est allée en se développant, arrivant peu à peu à une grande cohérence, y compris par les corrections internes qu'entre-temps on a apportées (surtout dûes à Darwin) ; de l'autre côté, aussi, il a très clairement mis en relief les questions qui restent en suspens.
Ce n'est pas que maintenant je veuille glisser le bon Dieu dans ces vides : il est trop grand pour trouver place dans ces vides. Mais à moi, il me semble important de souligner que la théorie de l'évolution implique des questions qui doivent être assignées à la philosophie et qui n'ont rien à voir avec le domaine des sciences naturelles.

En premier lieu, il me semble important de souligner que la théorie de l'évolution, en grande partie, n'est pas démontrable expérimentalement de façon simple parce que nous ne pouvons pas introduire en laboratoire 10.000 générations. Cela signifie qu'il y a des vides ou des lacunes considérables de vérifiabilité-faisabilité (?) expérimentales à cause de l'énorme espace temporel auquel la théorie se réfère.
En second lieu, une autre de ses affirmations m'a paru importante: la probabilité n'est pas nulle, mais elle n'est pas non plus égale à 1. D'où la question : à quelle hauteur se situe la probabilité ? C'est important si nous voulons interpréter correctement la phrase du Pape Jean-Paul II : "La théorie de l'évolution est plus qu'une hypothèse". Lorsque le Pape a dit cela, il avait ses bonnes raisons. Mais en même temps, il est vrai aussi que la théorie de l'évolution n'est pas encore une théorie complète, scientifiquement vérifiable.

Comme troisième point je voudrais faire allusion aux "sauts" dont a déjà parlé également le cardinal Schönborn. La somme de petits pas n'est pas suffisante. Il y a des "sauts". La question de leur signification sera approfondie ultérieurement.

Comme quatrième point, il est intéressant de noter que les mutants positifs sont peu nombreux et que les couloirs où ils pouvaient se développer sont étroits. Ces couloirs ont été ouverts et traversés.

Les sciences naturelles et même la théorie de l'évolution peuvent répondre de manière surprenante à beaucoup de choses, mais sur les quatre points que j'ai mentionnés des questions considérables restent encore ouvertes.

Avant d'arriver à ma conclusion, je voudrais dire une chose, à laquelle le cardinal Schönborn a déjà fait allusion : non seulement quelques tests de vulgarisation, mais aussi des tests scientifiques sur l'évolution affirment fréquemment que la "nature" ou l'"évolution" aurait fait ceci ou de cela.
Ici nous nous demandons : qui est en fait la "nature" ou l'"évolution" en tant que sujet ? En fait il n'existe pas ! Lorsqu'on dit que la nature fait ceci ou cela, cela peut être seulement une tentative de regrouper une série d'évènements dans un sujet qui cependant n'existe pas comme tel.
Il me semble evident que cet expédient verbal - peut-être inévitable - renferme en lui des questions d'un certain poids.

Pour résumer, je pourrais dire : les sciences naturelles ont ouvert de grandes dimensions de la raison qui jusqu'à présent n'avaient pas été explorées, et elles nous ont transmis ainsi des nouvelles connaissances. Mais dans la joie suscitée par la grandeur de leur découverte elles tendent à nous enlever les dimensions de la raison dont nous continuons à avoir besoin. Leurs résultats soulèvent des questions qui vont au-delà de la compétence de leurs canons méthodologiques et auxquelles il n'est pas possible d'apporter une réponse.
Toutefois, ce sont des questions que la raison doit poser et qui ne peuvent pas être laissé seulement au sentiment religieux. Il faut les considérer comme des questions raisonnables et trouver aussi des modalités raisonnables pour les traiter.
Ce sont les grandes questions fondamentales de la philosophie qui se présentent à nous sous une forme nouvelle: la question sur les origines et sur le futur de l'homme et du monde.

En outre, récemment, je me suis rendu compte de deux choses, qui ont été illustrées aussi par les trois exposés qui se sont succédé : il y a d'un côté une rationalité de la matière. On peut la lire. Elle porte des mathématiques en elle, elle est elle-même raisonnable, même si dans le long chemin de l'évolution il y a l'irrationnel, le chaotique et le destructif ; mais la matière comme telle est lisible.

D'un autre côté, il me semble que le processus envisagé dans sa globalité a aussi une rationalité. Malgré ses errances, le fait qu'il ait parcouru des routes erronées en empruntant des couloirs étroits, dans le choix des rares mutations positives et dans l'exploitation de faibles probabilités, le processus lui-même est quelque chose de rationnel.
Cette double rationalité qui se rend à nouveau accessible en correspondant à notre propre raison conduit inévitablement à une question qui dépasse la science, mais qui de toute façon est une question de la raison : d'où vient cette rationalité ?
Y-a-t'il une rationalité originelle qui se reflète dans ces deux zones et dimensions de la rationalité ? Les sciences naturelles ne peuvent pas et ne doivent pas répondre directement, mais nous devons reconnaître la question comme raisonnable, oser croire en la raison créatrice, et lui faire confiance.
D'un côté, il y a la rationalité de la matière, qui ouvre une fenêtre sur le Creator Spiritus. À cela nous ne devons pas renoncer. C'est la foi biblique dans la Création qui nous a indiqué le chemin vers une civilisation de la raison, qui laisse naturellement toujours la possibilité de s'anéantir à nouveau. Cette dimension doit rester et je la définis même comme une dimension de contact entre les cultures grecques et bibliques, qui durent se fondre ensemble dans une raison interne et dans une nécessité interne.

De l'autre côté, toutefois, nous devons aussi en voir les limites.

Naturellement, dans la nature il y a la rationalité, mais elle ne nous permet pas d'avoir une vision totale du plan de Dieu.
Donc dans la nature persistent le contingent et l'énigme de l'horrible, un peu comme le décrit Reinhold Schneider après une visite au Musée de sciences naturelles de Vienne (moi aussi, j'ai visité ce musée avec mon frère, et nous avons été effarés face à tant à de choses horribles dans la nature).
Malgré la rationalité, qui existe, nous pouvons constater une composante d'horreur, que l'on ne peut résoudre philosophiquement. Ici la philosophie réclame quelque chose d'autre et la foi nous montre le Logos, qui est la raison créatrice et qui de manière incroyable a pu se faire chair, mourir et ressusciter. De cette manière se révèle à nous un aspect du Logos entièrement différent de ce que nous pouvons pressentir et chercher à tâtons, en partant d'une reconstruction des fondements de la nature.
Les deux parties de l'âme grecque y font aussi allusion : d'une côté la grande philosophie et de l'autre la tragédie, ce qui en dernière analyse reste sans réponse.

La lettre de Jean-Paul II

Voici le discours prononcé par Jean-Paul II en 1996 devant l'Académie Pontificale des Sciences (source: Forum Catholique).

-> Evolutionnisme: la lettre de Jean-Paul II