Spe Salvi: La Croix

Benoît XVI offre à l'Église une encyclique sur l'espérance
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«Spe salvi» : «C'est dans l'espérance que nous avons été sauvés». À partir de cette affirmation de saint Paul, le pape, dans sa seconde encyclique, montre toute l'actualité de l'espérance chrétienne dans notre société actuelle
Isabelle de GAULMYN

Le ciel n’est pas vide, et si Marx est mort, l’espérance chrétienne, elle, perdure. Face à un monde moderne matérialiste et souvent athée, la seconde encyclique de Benoît XVI, publiée vendredi dernier sous le titre ‘Spe salvi’ («Sauvés dans l’espérance »), rappelle ce qui fait le fondement de la foi chrétienne, son espérance en l’au-delà, et ce qui caractérise ce salut. Il s’aide pour cela des figures témoins de l’espérance dans des situations dramatiques, comme sainte Bakhita, esclave soudanaise, Paul Le-Bao-Thin, martyr vietnamien du XIXe siècle, ou, vietnamien également, le cardinal Van Thuan, incarcéré treize années par le régime communiste.

Comme à son habitude, le pape va d’abord chercher la réponse dans la Bible. Les Actes des Apôtres et les lettres de saint Paul montrent que, dès les premières années du christianisme, apparaît comme caractéristique des chrétiens le fait qu’ils ont un avenir. L’Évangile n’est pas uniquement « une bonne nouvelle », mais un message qui produit des faits et change la vie : « La porte obscure du temps, de l’avenir, a été ouverte toute grande », énonce ‘Spe salvi’.

À partir du témoignage de sainte Bakhita, Benoît XVI analyse l’espérance comme rencontre « avec le vrai Dieu ». Il ne s’agit donc d’un message ni social, ni politique : le Christ mort sur la croix est venu apporter la rencontre avec un Dieu vivant, et une espérance plus forte que toutes les souffrances. Une espérance qui transforme de l’intérieur. Sur la base d’une certitude : « Le ciel n’est pas vide. La vie n’est pas un simple produit de soins et des causalités de la matière, mais en tout et en même temps au-dessus de tout, il y a une volonté personnelle, il y a un Esprit qui en Jésus, s’est révélé comme Amour. »

L'espérance n'est pas uniquement pour l'avenir
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L’espérance n’est cependant pas uniquement pour l’avenir, l’au-delà. Le pape théologien critique une interprétation de la foi par Luther, pour démontrer son lien avec l’espérance : la foi, explique le pape, n’est pas seulement une tension personnelle vers des biens absents ; elle donne quelque chose dans l’immédiat, « elle attire l’avenir dans le présent ». Une telle espérance pose dès aujourd’hui la vraie liberté, qui permet de se détacher des biens du monde présent et de relativiser le fondement matériel habituel d’une vie.

Cette espérance reste-t-elle valable pour les chrétiens du troisième millénaire ? La deuxième partie de l’encyclique montre l’actualité de la foi face aux courants de la pensée moderne qui ont justement attaqué les fondements de l’espérance. Le pape allemand se situe ici dans un contexte très européen, marqué par les Lumières et la critique marxiste (lire page suivante). Un marxisme que Benoît XVI a toujours pris au sérieux, qu’il connaît profondément, et dont il fait l’éloge – surprenant dans une encyclique –, louant la « grande capacité d’analyse » de Karl Marx.

Mais sur le fond, la grande erreur du marxisme et de ses avatars est le matérialisme : l’homme n’est pas seulement le produit des conditions économiques, et il n’est pas possible de le guérir uniquement de l’extérieur. Certes, le christianisme ne rejette pas le progrès comme tel, mais il refuse d’en faire une nouvelle religion. Le pape revient là, notait vendredi le cardinal Georges Cottier, ancien théologien de la Maison pontificale, « à l’un de ses thèmes de prédilection sur le lien entre foi et raison, à savoir que la raison ne devient véritablement humaine que si elle est capable de regarder au-delà d’elle-même ».

Le caractère communautaire de l'espérance
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La vraie physionomie de l’espérance chrétienne ne sera jamais garantie uniquement par une amélioration des structures sociales. Mais cela ne signifie pas que cette espérance soit individualiste. À plusieurs reprises, ‘Spe salvi’ insiste sur le caractère communautaire de l’espérance chrétienne : « Le fait d’être en communion avec Jésus nous implique dans son être « pour tous », il en fait notre façon d’être. L’espérance, et le salut, ne sont pas donnés singulièrement. » Et d’ajouter : « De l’amour envers Dieu découle la participation à la justice et à la bonté de Dieu envers autrui. »

Dans une dernière partie au ton très spirituel, Benoît XVI propose plusieurs lieux ou écoles d’espérance. Ainsi la prière. Et la souffrance, avec toute la question du mal, de la maladie, de tout ce qui « découle de notre propre finitude ». La souffrance, les tourments restent terribles, soupire l’auteur, mais il cite alors la lettre écrite par Paul Le-Bao-Thin de son camp d’internement : « Le mal n’est pas déchaîné dans l’homme, mais la lumière vainc la souffrance, sans cesser d’être souffrance, devient malgré tout chant de louange ». Ce qui vaut pour notre regard sur la souffrance vaut pour la société tout entière : « Une société qui ne réussit pas à accepter les souffrants (…) est une société cruelle et inhumaine ».

Ultime lieu d’espérance : le jugement dernier. Même si ce n’est pas explicite, ce passage pourrait servir d’antidote à tant de thèses millénaristes qui circulent, y compris à l’intérieur du christianisme. Le pape montre ici comment l’image du Jugement dernier « n’est pas une image terrifiante, mais une image d’espérance ». Et une image « qui appelle à la responsabilité ». Avec cette explication du purgatoire : « Pour se sauver, il faut traverser soi-même le feu pour devenir définitivement capable de Dieu et pour pouvoir prendre place à la table du banquet nuptial éternel. »
Jamais péremptoire, ni vindicatif

Ainsi, au moment du Jugement dernier, « nous expérimentons et nous accueillons cette domination de l’amour de Dieu sur tout le mal dans le monde et en nous » en une forme de « brûlure qui transforme ». Là encore, nul n’est sauvé seul : Benoît XVI promeut au passage la prière pour les défunts, convaincu que l’amour des vivants peut parvenir jusque dans l’au-delà.

Dans cette partie comme plus haut, le ton de ‘Spe salvi’ n’est jamais péremptoire, ni vindicatif. Simplement, le pape entend dialoguer avec cette modernité qui l’interpelle, comme intellectuel et théologien. Parce que c’est dans un tel dialogue « que les chrétiens doivent apprendre de manière renouvelée en quoi consiste véritablement leur espérance, ce qu’ils ont à offrir au monde et ce que, à l’inverse, ils ne peuvent pas offrir ». Et Benoît XVI d’appeler à « une autocritique du christianisme moderne, qui doit toujours de nouveau apprendre à se comprendre lui-même à partir de ses propres racines ». Ce qui, en définitive, définit exactement le propos de cette encyclique.
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