Spe Salvi par l'Huma (4)

« Pas d’espérance sans engagement militant »

Par Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont.(*)

Pourquoi le pape parle-t-il aujourd’hui de l’espérance ?

Mgr Hippolyte Simon. Benoît XVI revient tour à tour sur les trois grandes vertus théologales. Il nous a parlé dans sa précédente encyclique de la charité, la prochaine sera certainement consacrée à la foi. Dans le contexte français, je reçois ces paroles comme une réponse à l’esprit du temps, que l’on pourrait qualifier de « désenchantement », en simplifiant l’expression popularisée par le philosophe Marcel Gauchet. Il ne s’agit pas pour le pape de réenchanter ce monde mais de nous dire que, malgré les épreuves du moment, il y a une espérance possible et cette espérance provient de la foi en Dieu. Le Christ ayant donné sa vie pour le salut du monde, l’espérance est fondée.

En quoi ce message s’adresse-t-il aux non-catholiques ?

Mgr Hippolyte Simon. C’est une bonne nouvelle pour tout le monde, pour tous ceux, croyants ou non, qui ont tendance à désespérer. Qu’ils désespèrent de la science ou du progrès technique, puisqu’on voit bien que la pollution ou les OGM, par exemple, peuvent être sources de déception. Qu’ils désespèrent des grands récits politiques du XXe siècle, dont le marxisme-léninisme a fait partie. Pensons aussi à l’espoir des démocraties en 1989 : il est aujourd’hui terni, car il se retrouve confronté à la crainte du clash des civilisations.

Si la substance de cette espérance est la foi, comme dit le pape, ne risque-t-elle pas de nous plonger « au-delà » du monde réel ?

Mgr Hippolyte Simon. J’aime bien à ce sujet évoquer « la parabole du GPS ». Ce petit appareil vous demande d’abord où vous allez, puis il vous donne la carte partielle de l’endroit où vous vous trouvez. La destination finale n’est plus apparente mais c’est elle, en réalité, qui commande la possibilité d’avancer. Le fait d’avoir une espérance commande la capacité de mettre un pied devant l’autre. Autrement dit, le grand discours chrétien sur la destination ultime de l’homme commande sa capacité à s’investir dans des engagements immédiats pour améliorer les choses. L’espérance religieuse n’est pas un vernis, un superflu, mais elle peut devenir la condition d’un engagement militant pour améliorer son sort et celui des autres.

On a le sentiment néanmoins que le pape limite le champ de cet engagement et donc du dialogue avec des courants d’action politique relevant d’autres conceptions du monde ?

Mgr Hippolyte Simon. Dire que l’espérance est amour, que rien de ce qui est donné pour les autres ne sera perdu, c’est déjà un motif d’engagement et de discernement. Le dialogue de la vie ordinaire et les engagements communs pour améliorer les moyens de vivre continuent. D’un autre côté, comme disait mon maître Maurice Clavel, croire qu’on va « changer la vie » peut conduire à une déception. Le pape est sensible au risque d’idolâtrie, et c’est pourquoi, évoquant l’apport de Marx, il souligne à la fois sa capacité de montrer les voies qui ouvrent à la révolution, et son erreur fondamentale qui est d’avoir semé des illusions sur ce qui devait venir après cette révolution.

Le règne du bien définitivement consolidé n’existera jamais en ce monde, dit encore Benoît XVI. Il faut donc renoncer à agir ?

Mgr Hippolyte Simon. Justement, non. La pointe ne porte pas sur le bien à construire mais sur son caractère définitif. Le pape ne dit pas qu’il n’y a rien à espérer, mais qu’il ne faut pas entretenir l’illusion du paradis sur Terre, parce que la liberté humaine, c’est aussi la possibilité de choisir le mal. Avoir une espérance lucide sur l’amélioration de la condition humaine n’est pas contradictoire avec l’espérance du Salut qui concerne chacun dans sa personne singulière. La question de l’engagement, de l’intervention concrète pour améliorer la condition humaine doit être rapportée à cette problématique de l’espérance ultime, du rapport que chacun entretient avec sa propre vie et sa mort. C’est elle qui commande, qui donne sens aux engagements immédiats.

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Le récit d'Isabelle de Gaulmyn