Rome attend avec intérêt le président de la France

Isabelle de Gaulmyn, La Croix

Nicolas Sarkozy devrait rencontrer jeudi 20 décembre au matin Benoît XVI, avant de prendre possession de son titre de chanoine d'honneur du Latran. Le chef de l'état doit inviter le pape à venir en France en 2008

En 1978, une vingtaine de personnes seulement assistaient à la cérémonie volontairement discrète de prise de possession, par le président Valéry Giscard d’Estaing, de son titre d’« unique chanoine honoraire » de la basilique de Saint-Jean-de- Latran. Pour Jacques Chirac, qui avait donné à cet événement le caractère d’une visite d’État, la basilique était plus remplie.

Mais aujourd’hui, avec Nicolas Sarkozy, seules les personnes officiellement invitées pourront entrer, car les responsables ont eu peur d’être débordés par la foule. Et l’imposante salle du concordat du palais du Latran, là où le président de la République tiendra, après la cérémonie religieuse, un discours sur les relations entre les religions et l’État, n’a pas été jugée suffisamment grande pour contenir le public, une seconde salle avec un écran ayant été prévue…

Un intéret certain des autorités du Vatican pour le chef de l'Etat français
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C’est peu de dire que la visite de Nicolas Sarkozy à Rome, où il devrait rencontrer Benoît XVI jeudi 20 décembre au matin, est attendue par les autorités du Vatican, qui manifestent un intérêt certain pour le chef de l’État français. « Votre président est considéré comme George Bush avant la guerre en Irak, note un vaticaniste italien, Gianni Cardinale, du mensuel "30 Giorni" : il a une manière décomplexée de parler de la religion qui tranche avec la tradition française. »
Ici, chacun se souvient du passage en 2005 de Nicolas Sarkozy alors ministre d’État, venu présenter son livre La République, les religions, l’espérance au cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’État, et au cardinal français Jean-Louis Tauran, avec, pour ce dernier, cette dédicace : « Votre ami tout simplement. »

« Qu’un ministre de la République, cent ans après la loi de 1905, affirme que le fait religieux est le premier fait social avait agréablement surpris », rappelle un autre cardinal français, le cardinal Paul Poupard, président émérite du Conseil pontifical pour la culture.

Rome avait aussi apprécié que, en réponse au message de félicitations envoyé par le pape après son élection à la présidence, Nicolas Sarkozy ait choisi de répondre par une longue lettre « au contenu substantiel ».
Signe manifeste de cet intérêt, le président français devrait accorder jeudi un entretien aux médias du Vatican, à savoir L’Osservatore Romano et Radio Vatican.
Rarement, ici, un chef de l’État a droit à de tels égards…

« La laïcité de votre pays est aujourd’hui mieux comprise ici »
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Au-delà de la personnalité même du président de la République, c’est le signe, comme l’explique un responsable de la Secrétairerie d’État, que « la laïcité de votre pays est aujourd’hui mieux comprise ici ». Ce qu’indiquait le message envoyé par Jean-Paul II en 2005, à l’occasion des 100 ans de la loi de séparation de l’Église, où il reconnaissait que cette loi avait permis à l’Église de France de vivre en paix.
De même, l’instauration d’une instance de consultation régulière entre l’Église catholique et l’État français est analysée ici positivement, dans la mesure où le nonce est partie prenante. À Rome, on a aussi été impressionné par l’hommage rendu par les Français à des personnalités religieuses comme l’abbé Pierre et le cardinal Lustiger.
Ce climat de confiance par rapport à la laïcité est nouveau : il ne faut pas oublier que, du point de vue du Vatican, la France était responsable de la suppression de la mention de l’héritage chrétien de l’Europe des premiers projets de Constitution européenne.
Sur le volet diplomatique classique, en revanche, les bonnes relations entre le Saint-Siège et Paris sont plus traditionnelles : « Rome a toujours considéré pouvoir compter sur la France pour les dossiers importants », ajoute encore le cardinal Poupard.

Pour l’intervention américaine en Irak, par exemple, mais aussi à propos du Liban, les diplomaties française et vaticane se rejoignent, même si sur l’Irak le Vatican a été agacé par la publicité donnée par la France au départ des chrétiens du pays, souhaitant tout faire pour maintenir dans la région la communauté chaldéenne. De même, le rejet par la France de la Constitution européenne a étonné le Saint-Siège, mais, souligne-t-on aujourd’hui, « c’est désormais derrière nous ».

Une perte d'influence française
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Subsiste même au Vatican une tradition diplomatique française, puisque, après Jean-Louis Tauran pour Jean-Paul II, c’est encore un Français, Mgr Dominique Mamberti, qui est le chef de la diplomatie de Benoît XVI. Le cardinal Tauran, qui a été depuis cet automne chargé du dialogue avec les autres religions, et en particulier l’islam, reste responsable de l’un des dossiers stratégiques de la diplomatie du pape.
Dans les relations avec l’islam, d’ailleurs, un certain « savoir-faire français » est reconnu, avec la présence traditionnelle de religieux français en pays musulmans africains, l’implication des Pères Blancs français, les Missionnaires d’Afrique, dans l’Institut pontifical d’études d’arabe et d’islamologie (Pisai), et aussi l’expérience vécue aujourd’hui en France d’un « islam européen ».
Cette amélioration générale des relations avec la France ne doit cependant pas faire oublier la tendance de fond, à savoir la perte d’influence de celle qui ne peut plus se considérer comme « la fille aînée de l’Église ».

Au Vatican, on mesure notamment la catholicité d’un pays au regard des vocations et du nombre de prêtres. Là, la situation française inquiète. Elle entraîne une vision globalement négative de la Curie romaine, que l’arrivée d’un nouveau Français à Rome, Mgr Jean-Louis Bruguès, comme secrétaire de la Congrégation chargée de l’éducation catholique, ne suffit pas à masquer. La Curie compte de moins en moins de Français, ne serait-ce que parce que l’Église de France ne dispose pas de prêtres en nombre suffisant pour les envoyer ici.

Cette année, il n’y a plus d’élève français à l’Académie pontificale ecclésiastique, sorte d’ENA de l’Église pour les prêtres, là où sont formés les nonces. Ceux-là mêmes qui seront les cadres du gouvernement futur de l’Église universelle.

<<< Sarkozy chez le Pape

Le récit d'Isabelle de Gaulmyn
Discours de Sarkozy à St-Jean de Latran