Sarkozy: analyse du Figaro

Sphères publique et privée : Sarkozy abolit la distinction
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L'analyse de Guillaume Tabard, rédacteur en chef adjoint au service Politique du Figaro.
François Hollande a eu tort de voir dans le discours de Nicolas Sarkozy, jeudi à Saint-Jean-de-Latran «une vieille rengaine de la droite cléricale».
En défendant, pour la première fois comme président de la République, une «laïcité positive» prenant en compte «l'importance de l'aspiration spirituelle», il a au contraire opéré une double rupture par rapport à l'approche classique de la question religieuse par les responsables politiques français, de droite au premier chef.

La première a souvent été soulignée. Elle consiste à reconnaître publiquement que les religions sont un «atout» et non un «danger pour la société», que la «laïcité », c'est la possibilité pour chacune des religions de s'exprimer, pas l'obligation pour toutes de se taire. C'est aussi assumer que l'histoire de la nation française a été façonnée par ses «racines chrétiennes».

Ce serait faire un procès d'intention à Jacques Chirac que de le présenter a posteriori en ennemi des religions. Lui aussi avait marqué son premier semestre à l'Élysée d'une visite au Saint-Siège, autrement solennelle d'ailleurs que celle de son successeur jeudi. Puis, au fil des ans, l'ancien président de la République s'était posé en gardien d'une laïcité intransigeante. En septembre 1996, il avait refusé d'assister à Reims à la célébration par Jean-Paul II du quinzième centenaire du baptême de Clovis et interdit toute présence gouvernementale à la messe. En 2001, c'est Jacques Chirac qui, avec Lionel Jospin, avait mené le combat pour exclure toute référence aux «racines chrétiennes de l'Europe» dans la charte des droits fondamentaux figurant dans le préambule du traité constitutionnel.

La volonté légitime de Chirac d'interdire le voile à l'école s'était traduite par une loi interdisant tous les «signes ostensibles» d'appartenance à la religion. Bien entendu, les pouvoirs publics français n'ont jamais, dans les années récentes, contrecarré l'action des Églises ou communautés religieuses, mais dans le consensus du débat politique, religion avait fini par rimer avec méfiance. C'est ce discours «politiquement correct» appliqué à la religion, que Nicolas Sarkozy brise spectaculairement. La reconnaissance que la mise en œuvre de la laïcité avait provoqué des «souffrances» est un tournant majeur dans la relecture de l'histoire de la République.

Mais le chef de l'État brise surtout un second tabou bien français : la séparation étanche entre la sphère publique et la sphère privée, la religion étant censée rester cantonnée dans la seconde. C'est, à l'inverse, l'intimité des convictions qui intrigue Nicolas Sarkozy et dont il veut parler dans le débat public. Dans son discours du Latran, il a à peine évoqué le rôle diplomatique, politique ou moral de l'Église catholique, alors qu'on pouvait s'y attendre dans la bouche du chef de l'État. Il s'est en revanche longuement intéressé au «sens de la vie et au mystère de la mort», au mystère de la vocation religieuse, à «la fidélité aux sacrements, la lecture de la Bible et la prière» qui nourrissent la vie des prêtres. Pour lui, le mot d'«espérance» n'est pas l'apanage des encycliques papales.

Nicolas Sarkozy ne met pourtant pas en scène sa foi personnelle. De tous les présidents de la Ve République Mitterrand compris , il est sans doute celui qui est allé le moins à la messe et qui revendique le moins de professer le Credo de l'Église. Mais il est celui qui parle de la foi de la manière la plus ostensible, libre, décomplexée. C'est un paradoxe. Ou plutôt la clef d'une nouvelle forme de modernité qu'incarne Nicolas Sarkozy. En vertu de cette distinction française sphère publique/sphère privée, élus et ministres catholiques s'interdisent le plus souvent de s'exprimer et d'agir au nom de leur foi. C'est un président catholique pratiquant qui a fait voter la loi sur l'avortement. La loi sur la bioéthique, autorisant la production d'embryons à fin de recherche, n'a guère suscité d'objections chez les parlementaires se revendiquant catholiques.

Ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy s'étonnait que les responsables religieux ne se montrent pas plus offensifs dans la défense de leurs intérêts. «La France a besoin de catholiques convaincus qui ne craignent pas d'affirmer ce qu'ils sont», a-t-il soutenu encore jeudi, cette fois en tant que président. Nicolas Sarkozy veut donc entendre les catholiques. Mais est-il prêt à les écouter ?

Sur des sujets majeurs, son action semble faire fi d'un regard chrétien. En voulant déjudiciariser le divorce, il le facilite un peu plus. En cherchant à encourager le travail le dimanche, il contribue à le banaliser. À Bercy, comme ministre des Finances, puis dans sa campagne, il a posé une forme d'égalité entre couples hétérosexuels et homosexuels. Certains aspects de sa politique de l'immigration (les tests ADN) ont été critiqués par une partie des évêques.

Pour Nicolas Sarkozy, le rappel des racines chrétiennes de la France n'est donc en rien le signe annonciateur d'une supposée politique chrétienne. Mais son discours n'en demeure pas moins une invitation faite aux catholiques, et aux autres croyants, à plus d'audace dans le débat public.

<<< La "laïcité positive" fait quelques vagues