"Confession d'un cardinal"

Fiction romanesque, pamphlet, "lettre" anonyme? Cela ressemble à un "coup" éditorial déplaisant.
A moins qu'il ne s'agisse du manifeste d'un think-tank catho-progressiste contre la vision de l'Eglise par Benoît XVI?
-> Lire absolument: La surprise de la fin


 
On peut fantasmer sur la calotte rouge, mais la chevelure châtaine et la nuque juvénile trahissent l'amateurisme du maquettiste...     ... très loin de l'image qu'on se fait (même de dos) d'un prélat octogénaire.  


J'ai trouvé ce livre au rayon "Religions" d'une grande librairie (j'ai déjà dit ce que je pensais de ces rayons, où le "témoignage" de Fadela Amara voisine parfois avec "Jésus de Nazareth"!, voir ici: "Peut-on croire aujourd'hui?" ). En pile.
Je ne connais pas l'auteur - au moins pas sous ce nom, je soupçonne qu'il s'agit du pseudo d'un journaliste travaillant au Vatican... Il est trop bien informé pour qu'il en soit autrement.
J'ai acheté le livre par curiosité. Je suis en train de le lire, et je ne suis pas sûre d'avoir envie d'aller au bout.
Cette fois encore, était-il à la bonne place?

Des mémoires "courageux", mais... anonymes

Il se présente sous la forme d'une série d'entretiens que l'auteur aurait eus avec un cardinal désireux d'écrire ses mémoires (et de se faire aider dans son entreprise par un professionnel de l'écriture).
Pourquoi pas? De telles pratiques sont courantes, même si elles sont un peu plus choquantes qu'ailleurs dans ce milieu.
Au contenu près, ce qui n'est pas une différence négligeable, on va le voir, cela pourrait aussi faire penser aux remarquables "Entretiens sur la foi" de Joseph Ratzinger avec Vittorio Messori, ou aux deux livres co-écrits avec Peter Seewald, "Le sel de la terre", et "Voici quel est notre Dieu".
Oui mais... la comparaison s'arrête là. En dehors du style, insupportable d'onction "écclésiastique" d'érudition ostentatoire, et de digressions philosophiques assommantes, il y a une différence, et de de taille.

Le courageux cardinal qui, flattant le goût du mystère du lecteur "se livre - et livre de multiples informations sur le fonctionnement d'une église souvent énigmatique", au cours d'une "rencontre franche et sans langue de bois"(sic!) le fait... ANONYMEMENT. L'auteur, d'un bout à l'autre du livre, ne l'appelle que "mon cardinal". Cette circonstance ôte évidemment beaucoup de crédibilité à ses arguments, et une grande partie de sa force à son tir de barrage nourri - mais feutré, comme il se doit de la part d'un écclésiastique, c'est du moins ce que l'auteur semble croire- contre l'institution à laquelle il devrait en principe tout.

L'Eglise a tant à se reprocher

Une des occupations de "mon cardinal", au moins dans la première moitié de 400 pages nourries d'anecdotes qui paraisent assez bien informées, consiste en effet à battre généreusement sa coulpe sur la poitrine des autres en général, et de la hiérachie catholique passée et présente, en particulier.

Car tout y passe, du récit minutieux du conclave (auquel "mon cardinal" n'a pas assisté, ayant depuis peu dépassé l'âge d'être électeur, mais dont des confrères naïfs ou peu délicats lui auraient raconté le détail!!) déjà rapporté par la presse italienne de gauche, au lourd passif de l'Eglise (obscurantisme, compromissions avec le pouvoir temporel, procès de Galilée, papes scandaleux) et aux intrigues actuelles de la Curie (dont il faisait soi-disant lui-même partie!). L'Eglise a tant de torts, en vrac, la Shoah, le colonialisme, le massacre du Rwanda (choisi comme emblème de l'échec de l'Eglise, ce qui est pour le moins discutable, ou mérite au moins d'être nuancé) , etc..
C'est la repentance du jubilé, initiée par Jean-Paul, mais à la puissance mille! Au passage, ceux qui se sont soi-disant acharnés à vider cette repentance de toute sa substance sont dénoncés nommément, et parmi eux, il y a un certain cardinal Biffi, qui LUI vient d'écrire de vrais et courageux mémoires, signés, ayant un écho non négligeable en Italie.

Bref, on croit entendre, en négatif, le désormais célèbre avertissement lancé par le Cardinal Ratzinger lors de la méditation de Chemin de Croix en 2005: "Ton Eglise, Seigneur, semble une barque qui prend l'eau de toutes parts". Le diagnostic est le même, mais les causes avancées sont autres, et surtout, les remèdes proposés ici sont propres à faire sombrer définitivement la barque. Il s'agit, ni plus ni moins, de "nettoyer le passé pour aller de l'avant" (*). Un discours cynique (et sinistre) qui rappelle de mauvais souvenirs, et qui est évidemement diamétralement opposé à celui du Saint-Père.

Un pape par raccroc

Enfin, "mon cardinal" voit en Jose"f" (sic!) Ratzinger un "pape par raccroc", un pape de la peur, élu par un collège cardinalice désamparé et frileux, refusant d'affronter les vrais problèmes, ou les repoussant à un futur qu'il espère le plus proche possible. Tout en lui reconnaissant hypocritement d'éminentes qualités humaines et intellectuelles, "mon cardinal" déplore en effet qu'il ne soit pas l'homme de la situation.
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[Les cardinaux] ne voulaient pas d'un inventeur, d'un innovateur. Ils souhaitaient seulement reprendre souffle un moment. Un court moment, peut-être, si on suivait l'explication de mon cardinal quant à l'âge de Benoît XVI.
Un court moment, ce n'est pas si sûr... En revanche, il était indubitable que, si les cardinaux avaient voulu un pape avec un programme ambitieux et chargé, ils l'auraient choisi plus jeune.
Mon cardinal, finalement, avait raison, me disais-je en jetant un dernier coup d'oeil aux appartements du nouveau pape. En choisissant cet homme de soixante-dix-huit ans, les cardinaux avaient envoyé un message au monde, et en même temps à l'Église et à eux-mêmes. Et, quelle que soit la délicatesse que l'on mettait à l'énoncer, il revenait à ceci : que nous vous ayons choisi malgré votre âge, ou que nous vous ayons choisi précisément pour votre âge, nous attendons de vous la stabilité.
Mon cardinal ajoutait un pronostic : cette stabilité risquait d'affaiblir encore l'Église.

(page 151)
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Arrêtons-nous là, provisoirement.

Qui est "ce" cardinal?

A dire vrai, je doute de l'existence de "mon cardinal". Ou plutôt, je suis presque sûre qu'il n'existe pas sous cette forme.
Au moment où j'écris ces lignes, il ne m'est pas possible de faire des recherches: s'il existait, il ne devrait pas être difficile d'identifier un cardinal, sans doute italien, né en 1924 ou 1925 (il venait d'atteindre ses 80 ans au moment du dernier conclave, ce qui l'avait empêché d'être électeur), et précedemment en fonction à la Curie, à la tête d'un dicastère. Le choix revendiqué de l'anonymat rend donc pratiquement impossible l'hypothèse de cette existence.
L'auteur n'apporte aucun éclaircissement sur la nature de son travail, qui pourrait être (mais alors, il faut le signaler) une fiction romanesque, ce qui rend ses démonstrations particulièrement tendancieuses. Il aura évidemment beau jeu de s'abriter derrière la licence artistique, qui en a vu d'autres!
Je pense plutôt que "mon cardinal" est une synthèse, une sorte d'incarnation idéale (si l'on peut dire...) du courant progressiste au sein de l'Eglise, dont l'auteur a fait le réceptacle et la caisse de résonnance de tous les ragots du Vatican, et dont il se sert pour faire avancer ses thèses. Et ce courant-là existe bel et bien, il est influent, à n'en pas douter, et, pour parler familièrement, il met les bâtons dans les roues au Saint-Père (*).
Comme l'a dit très récemment le philosophe italien Massimo Introvigne ( L'Eglise attaquée de l'intérieur? ): "Non è certamente un mistero che il Magistero di Giovanni Paolo II e di Benedetto XVI non piacciano ai settori cosiddetti ‘progressisti’ della Chiesa: certi documenti potrebbero essere stati passati ai giornali per attaccare la Chiesa proprio da suoi esponenti.".

Quoi qu'il en soit, dans la partie du livre que j'ai lue jusqu'à présent, celle qui se passe à Rome puis en France, il y a une contradiction fondamentale: pour dénoncer le goût du secret d'une institution, on utilise soi-même l'artifice discutable du secret de l'anonymat; un oubli de taille, de la part d'un écclésiastique aussi éminent: la prière -lorsque mon cardinal se retire (ce qui permet un découpage artificiel en chapitres), c'est pour se reposer, jamais pour prier.
Et surtout un très grand absent: Dieu. En tous cas, je ne l'ai pas vu.
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(*) pages 123-124
- D'une certaine manière, oui, il y a deux grandes tendances dans notre Église aujourd'hui, au-delà des clivages classiques sur les sujets secondaires. Il y a de fait deux grands partis, n'ayons pas peur des mots. Celui qui veut nettoyer le passé pour aller de l'avant, et celui qui protège envers et contre tout ce passé par crainte qu'il nous explose au visage, et projette dans toutes les directions les pierres de l'édifice qui se nomme la Tradition et du bâtiment qui se nomme l'Eglise.
- Vous appartenez à quel parti, Éminence ? lui demandai-je.
- Devinez, me répondit-il avec un large sourire.


A suivre:
>>> Confession d'un cardinal (II)