Archives(1)
Archives(2)
Archives
Archives
Spe Salvi
La prière du Vendredi Saint révisée

Comme c'était prévisible, au vu de l'intérêt qu'il porte au sujet depuis près d'un an, John Allen lui consacre une partie de son billet hebdomadaire.
Il le dit, non sans humour, "c'est difficile, d'être pape"...
Sauf qu'ici, ce n'est pas drôle.
Les précisions qu'ils donnent m'inspirent d'ailleurs une réelle inquiètude avant le voyage du Saint-Père aux Etat-Unis, le 15 avril prochain.
Nul doute qu'une fois encore, les attaques sont toutes prêtes, elles n'attendent que "la mise à feu", pour parler familièrement, "on" l'attend au tournant". Et l'on aura beau jeu, ensuite, de l'accuser, en toute mauvaise foi, de maladresse!

On retrouve ici une de nos vieilles connaissances, un interlocuteur récurrent de John Allen, le Frère John Pawlikowski.
A chaque fois que, dans le cadre du dialogue entre juifs et chrétiens, il est question de critiquer "le Vatican", Pawlikowski n'est pas loin (au fait, dans quel camp est-il?).
Il a déjà fait plusieurs apparitions dans les articles de John Allen, à propos de la fameuse prière du Vendredi Saint, bien sûr, mais aussi du procès en béatification (ajourné) de Pie XII (voir ici).
Et, dans le livre de Daniel Hamiche, "la Passion de A à Z", où sont recensés sous forme lexicale tous les épisodes reliés à la sortie houleuse du film de Mel Gibson, Pawlikowski bénéficie d'une entrée! Ses critiques étaient en effet particulièrement virulentes.

Article original en anglais sur le site de NCR:
Good Friday prayer revised
Ma traduction



Cette semaine a ajouté une nouvelle entrée dans le fichier "Il n'est pas facile d'être pape".
En réponse à la critique de la prière du Vendredi Saint pour la conversion des Juifs dans la messe d'avant Vatican II, un rite dont Benoît XVI a approuvé une utilisation plus large en juillet dernier, le pape a publié cette semaine une version modifiée de la prière. (Vendredi Saint tombe cette année le 21 mars.)

Dans sa forme originale, la prière se lisait comme suit, dans une traduction du latin:

Prions également pour les Juifs: que notre Seigneur Dieu, enlève le voile de leurs cœurs; qu'eux aussi puissent reconnaître Jésus-Christ comme notre Seigneur. Dieu Éternel et Tout-Puissant, qui ne refuse pas aux juifs ta miséricorde: fais nous la grâce d'entendre nos prières, sur l'aveuglement de ce peuple, de sorte qu'une fois reconnue la lumière de ta vérité, qui est le Christ, ils puissentent être sauvés de leur Ténèbres.

Dans la formulation révisée, la prière se lit désormais comme suit, là encore en traduction:

Prions également pour les Juifs: que notre Seigneur Dieu illumine leurs cœurs afin qu'ils puissent reconnaître Jésus-Christ comme Sauveur de tous les hommes. Dieu éternel et tout-puissant, toi qui veux que tous les hommes soient sauvés et puissent acquérir une connaissance de la vérité, permets que, comme tous les peuples entrent dans ton Eglise, tous ceux d'Israël puissent être sauvés.

Ainsi qu'il ressort de la comparaison des deux versions, Benoît a retiré les quelques mots que les critiques trouvaient offensants: la référence à la suppression du « voile sur leur coeur", la "cécité de ce peuple", et les "ténèbres" des Juifs.
Comme il est également clair, toutefois, la nouvelle version n'a pas retiré la demande que les Juifs puissent reconnaître Jésus-Christ comme Sauveur, de sorte que la supplique pour la conversion demeure.

Sur la base des premiers sondages sortis (ndt:!!!), la tentative de Benoît de répondre à ses détracteurs "à mi-chemin" semble n'avoir laissé presque personne entièrement satisfait.

Comme le New York Times l'a noté, certains catholiques traditionalistes sont troublés - sinon par le contenu de la nouvelle prière elle-même, du moins par le précédent que l'ancienne messe puisse être expurgée en réponse à des pressions extérieures. (Certains experts liturgiques, soit dit en passant, pensent que cela peut être la signification durable de la décision du pape. Comme je l'ai entendu cette semaine, «Cela prouve que le missel de 62 peut être réformée, que ce n'est pas intangible ou figé dans le temps ».)

Beaucoup de dirigeants et organisations juifs sont également mécontents car malgré ce que l'Anti-Defamation League a appelé des révisions "cosmétiques", la prière est toujours un appel explicite à la conversion. La question des efforts missionnaires s'adressant à des Juifs a longtemps été peut-être le point le plus douloureux des relations Chrétiens/Juifs.

"Nous sommes profondément troublés et déçus de voir que le cadre et l'intention de déposer une supplique auprès de Dieu afin que les juifs acceptent Jésus comme Seigneur ont été conservés intacts», a déclaré Abraham Foxman, de l'Anti-Defamation League.

Un autre milieu qui a exprimé la déception, un que le "Times" n'a pas le temps d'inclure dans son tour d'horizon, est celui des catholiques les plus libéraux qui ne se sentent pas concernés par l'ancienne messe pour différentes raisons, ainsi que les "vétérans" du dialogue catholiques/juifs qui voient tout cela comme une prise de tête dont ils n'ont pas besoin.

Le Frère John Pawlikowski de l'Union théologique catholique de Chicago est depuis longtemps un pilier des relations juifs/catholiques.
Dans un courrier électronique qu'il m'a adressé mercredi, il a exposé une série de préoccupations, notamment:

«Même si seul un petit nombre de catholiques pourraient prier la nouvelle version de la prière, elle crée une situation de l'église s'exprimant apparemment avec deux voix (la prière de 1970 et la nouvelle prière), qui ne s'accordent pas facilement. Laquelle représente la plus authentique Théologie de l'Eglise catholique à l'égard du peuple juif? Cette situation compromet l'intégrité Catholique. "

«Je crois que la Commission du Vatican chargée des relations religieuses avec les Juifs doit à ceux d'entre nous qui sont impliqués dans le dialogue quelques explications sur la manière dont les théologies derrière les deux prières peuvent s'unir, et si l'opinion fréquement exprimée par le Cardinal Kasper selon laquelle les Juifs ne doivent pas être des objets de prosélytisme parce qu'ils ont la révélation et la foi et sont déjà dans une alliance valable avec Dieu [est encore valable]. Est-ce que la nouvelle prière papale invalide aujourd'hui la déclaration antérieure de Kasper? Sinon, comment l'envisage-t'il en tant que position catholique?
"Les médias devraient cesser de présenter la discussion sur la prière comme "Le Vatican contre les Juifs ». Beaucoup d'entre nous, y compris des cardinaux et des évêques, ont pris la parole sur cette question pendant de nombreux mois au nom des catholiques. Nos voix ne doivent pas être ignorées. " (ndt: une fronde?)
-------------------
Surtout, compte tenu du fait que le voyage de Benoît XVI aux États-Unis est juste dans deux mois (avril 15-20), et que le pape doit rencontrer une délégation inter-religieuse, comportant des dirigeants juifs, les instances officielles de l'Eglise catholique américaine sont légitimement soucieuses de désamorcer les tensions.

Mardi, l'évêque auxiliaire de Milwaukee, Mgr Sklba, président du Comité épiscopal sur les affaires œcuméniques et interreligieuses, a publié une déclaration disant que "le Saint-Père a appris avec compréhension les préoccupations de la communauté juive" et que "l'Eglise catholique des États-Unis reste fermement attachée à l'approfondissement de ses liens d'amitié et de compréhension mutuelle avec la communauté juive. "
La déclaration de Sklba affirme que la nouvelle prière émet l'espoir que les Juifs reconnaissent le Christ dans le contexte de l'épître aux Romains, 11, où saint Paul écrit que «tout Israël sera sauvé" ... Bien que Sklba ne l'ai pas dit explicitement, certains interprétent la remarque comme une suggestion que la conversion des Juifs est plus une attente eschatologique qu'un objectif à rechercher explicitement ici et maintenant.

Comme un expert catholique des relations judéo-catholique me l'a dit cette semaine, "La prière n'est pas une prescription pour l'évangélisation agressive des Juifs."

Tel était le premier point abordé au cours de réunions à huis clos, d'appels téléphoniques et d' e-mails échangés cette semaine entre les responsables catholiques et les juifs.
Et voilà le second: il y a le sentiment que Benoît XVI ne s'adressait pas vraiment aux Juifs, dans cette prière, mais plutôt aux catholiques.

La tâche numéro un du pontificat de Benoît est de réveiller un "solide" sens de l'identité catholique, comme antidote à l'irruption de la laïcité et de ce qu'il a appelé "la dictature du relativisme".
Une partie de ce tableau est une forte insistance sur le caractère missionnaire de l'Eglise: c'est le point-clé, par exemple, de la note doctrinale sur l'évangélisation publiée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 3 décembre. Dans ce contexte, ces officiels font valoir que le maintien du passage sur la conversion dans la prière du vendredi saint, n'a pas tant pour but de statuer sur les relations Catholiques/Juifs, mais est plutôt un rappel intra-catholique de l'impératif primordial d' "aller de l'avant et de faire des disciples dans toutes les nations. "

En d'autres termes, disent ces responsables, le pape n'est pas en train de préparer une nouvelle offensive pour faire du prosélytisme envers les juifs. Il essaye plutôt d'appeler les catholiques à une conscience claire d'eux-mêmes, un effort beaucoup plus large que les relations avec le judaïsme (même s'il a évidemment des implications dans cette relation.)

Que les différentes parties gênées par la prière finissent par trouver cette explication satisfaisante, cela reste à voir.
En attendant, cependant, il y a au moins une lueur d'espoir que ces tensions ne feront pas dérailler les relations judéo-catholiques.

Comme mentionné plus haut, quand le Pape Benoît XVI viendra à Washington, il est prévu qu'il s'adresse à un groupe de près de 200 dirigeants d'autres religions, incluant des représentants de toutes les grandes organisations juives aux États-Unis, tels que le Conseil national des synagogues, le B'Nai B'rith, et l'American Jewish Congress. Certains craignent qu'à la suite des événements de cette semaine, des dirigeants juifs pourraient boycotter la rencontre. Ce n'est pas une simple hypothèse vaine, étant donné que la dernière fois que celui qui était alors le Cardinal Ratzinger est venu sur la côte Est, à New-York, en 1988, une poignée de rabbins ont refusé de le rencontrer pour protester contre les commentaires suggérant prétendument que le christianisme est la "réalisation » du judaïsme.

Lorsque j'ai demandé à un porte-parole de l'Anti-Defamation League, mercredi, s'ils envisageaient d'essayer d'organiser une manifestation, toutefois, la réponse a été conciliante:

"Nous avons hâte de rencontrer le Pape Benoît XVI, pour discuter des questions d'intérêt mutuel», a indiqué Myrna Shinbaum au nom de l'ADL. Nous croyons que le dialogue et le maintien de notre relation avec l'Eglise est important."
Shinbaum dit cependant qu'il est "sans risque de prévoir" que la prière du vendredi saint sera abordée sous une forme ou une autre, lors de la rencontre.



Version imprimable