L'imposture, et La joie

Tels sont les titres des deux livres de Bernanos que Sarkozy a offerts au pape.

Action Française, dans son numéro du 16 janvier, revient sur l'évènement. Avec humour, mais c'est un humour désabusé, et même pessimiste.
C'est la critique intégrale qui prédomine, mais pas la critique de gauche, qui a vu -ou fait semblant de voir- une menace à la laïcité, alors qu'il ne s'agissait vraisemblablement que d'esbroufe de circonstance.
Les quatre articles sont intéressants, sans doute parce que leurs analyses rejoignent la mienne!

Je les ai scannés sur l'édition -papier



L'imposture et la joie

C'est un détail qui n'aura échappé à personne lorsqu'il s'est présenté devant Benoît XVI, jeudi 20 décembre 2007 au Vatican, Nicolas Sarkory tenait entre les mains deux romans qu'il a offerts au pape: L'imposture et La Joie de Georges Bernanos.
Étrange intention de la part d'un homme dont des photographies récemment publiés dans Paris-Match nous ont révélé qu'il n'avait pas le moindre livre sur son bureau. Et dont Yasmina Réza a pu observer qu'il n'avait pas «la culture de la culture».
Dans ce cadeau fait au Saint-Père, ll fait donc voir autre chose qu'une attention particulière. Un aveu involontaire..

La Joie, c'est évidemment le Pape dont la récente encyclique sur l'espérance est un bijou d'intelligence chrétienne.
Et l'imposture ?


Cherchez bien. Elle a des lunettes de soleil américaines, des goûts de concessionnaire BMW et une grosse montre qui fait bling-bling. Il ne passe jamais beaucoup de temps sans que son visage apparaisse sur les écrans de télévision.



Esbroufe et laïcité

Pour Jacques Chirac, la laïcité consistait dans un grand néant spirituel...
Nicolas Sarkozy est moins obtus et ne pense pas que l'on puisse imposer à toute une nation l'idée que l'homme vit seulement de pain.
Lui-même sans réelles convictions, capable de soutenir avec autant de brio aujourd'hui une vérité, demain son contraire, récite intelligemment les discours que lui préparent des collaborateurs sachant ce qu'attendent ses différents auditoires.
Ainsi, à Rome le 20 décembre, dès son intronisation comme chanoine honoraire de Saint-Jean de Latran, a-t-il employé un langage qui tranche avec celui des laïcards patentés :
«C'est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l'Église. »
Et d'ajouter, non seulement que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes », mais que « arracher la racine, c'est perdre la signification, c'est affaiblir le ciment de l' identité nationale, et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire ».
Même au sujet de la laïcité, le Président a dit qu'« elle n'est pas la négation du passé » et « n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes - .
On aimerait pouvoir applaudir. Hélas au moment même où il pérorait à Rome, M. Sarkozy savait qu'à Paris son gouvernement préparait de plus grandes facilités légales de divorcer et que le Sénat relançait le débat sur le travail le dimanche au service du chiffre d'affaires...

Sans compter que tout le reste du discours tend à exalter, au nom d'une "laïcité positive" « toutes les spiritualités qui existent chez nous », comme si toutes se valaient, sans que jamais soit accordée la première place au catholicisme qui a fait la France! Comment donc "cimenter" l'intégration sans dire ce qui est la référence suprême dans ce pays chrétien ?

Toutefois, M. Sarkozy a dit que « la France a besoin de catholiques convaincus qui ne craignent pas d'affirmer ce qu'il sont et en quoi ils croient ». Qu'attendent les évêques pour prendre le Président au mot ?
MICHEL FROMENTOUX



Le président au Vatican

Vêpres sarkoziennes
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Il est venu comme un fils prodigue, entouré de tous les illusionnistes qui pouvaient témoigner de sa vieille catholicité culturelle : Guaino, Gallo, Verdin (op), Guy Gilbert, et même le très déplacé Jean-Marie Bigard, ramassé sans doute dans un coin d'aéroport, ils étaient tous là.
Seule manquait Christine Boutin, mais elle avait sans doute une écurie à nettoyer, et des appartements à relouer. Comme il s'agissait quand même d'une adaptation moderne de la parabole, on n'avait demandé au rejeton égaré qu'une seule chose, laisser sa putain du moment au vestiaire, avec toute liberté de la reprendre après, si bon lui semblait.

Le souverain pontife, sachant qu'il ne s'agirait que d'un retour provisoire dans la maison du Père, n'avait pas tué le veau gras. Pensif et sévère, il n'est pas accouru à la rencontre du porcher retardataire, et s'est contenté de l'attendre dans une salle du trône froide comme un salon d'ambassade.
De nos jours, l'enfant prodigue a un quart d'heure de retard et consulte ses SMS à la sortie.
Il ne baise pas l'anneau, mais tressaille quand même en disant « Très Saint Père », comme une vieille formule magique. Il ne manque pas d'à-propos et demande au théologien bavarois héritier de la plus antique lignée de souverains où il a appris le français. On lui répond « au gymnase » et il est content.

Le président offre au pape, dans une belle édition reliée, son propre livre d'entretiens sur la place des religions dans la France contemporaine, deux Bernanos qu'il n'a jamais lus mais dont on se demande quel farceur lui a soufflé les titres, La Joie et L'imposture...

Il peut maintenant s'asseoir, tête haute, dans la stalle de la cathédrale du Latran qui lui est réservée comme unique chanoine honoraire depuis quatre siècles et jouir de cet apanage qu'un prince français, converti, lui, à une époque où il le fallait encore pour régner légitimement, a gagné à sa place.
Coincé entre des prélats de la Curie violets et pourpres, à qui il est assorti comme un charretier à des duchesses, il lit le discours que ses amis historiens, républicains et souverainistes ont recopié pour l'occasion sur celui que Chirac avait prononcé dans la même nasse. Rome vaut bien des vêpres. Le changement d'époque, ce sont les journalistes qui l'incarnent, soudain passionnés par cette désuète cérémonie qui rappelle ces temps où le monarque français avait le pas sur tous les autres.
Ça rassure le petit homme à l'aise dans le kitsch jet-set ordinaire de les savoir là malgré la pompe romaine. Il lit donc, et parle de cette laïcité heureuse qui vient, comme d'un matin qui chante. Il remonte à Pépin le Bref et constate que finalement il n'y a rien de français qui ne soit catholique. Il oublie un peu la Révolution et bat la coulpe de la République anticléricale sur la poitrine de Briand et Viviani.
Il promet que désormais toutes les religions seront bien traitées en France, qu'on les laissera, si décidément elles y tiennent, s'occuper des pauvres, des paumés, des fous et des criminels. Que nul ne les empêchera de parler de l'homme, de ses espérances ou du fait religieux. Voilà pour elles, elles ont d'ailleurs intérêt à dire merci, à continuer d'agiter l'éventail et pour le reste à se tenir à carreau.
Notre Démosthèné remballe son discours et part pour de nouvelles aventures. Péguy, Bernanos, Bossuet, Pascal et Maritain appelés à la rescousse ont dû s'en retourner dans leur tombe.

La vérité de cette affaire, c'est que personne, ni parmi le gouvernement, ni parmi la Conférence des évêques, ne semble capable de repenser le statut de l'Église, ou des Églises, en France. En effet, la République ne dresse plus de listes d'officiers suspects de catholicisme ; en effet, les congrégations ont l'autorisation d'enseigner - dans les strictes limites de la loi Debré ; en effet, la hargne des bouffeurs publics de curé a décru.
Cependant, l'État, propriétaire de la majorité des lieux de culte, les entretient ou les abandonne à sa convenance, et finance, toujours à sa convenance, les lieux de culte d'autres religions, dont il n'est pas prouvé encore qu'elles adhèrent pleinement à la vision anthropologique qui fonde la France.

On continue de parler des « grandes religions » et du « fait spirituel » pour ne pas penser chaque religion en tant que telle.
La République, dont M. Sarkozy incarne à merveille l'indigence, se débat dans une purée de pois philosophique, qui l'arrange parfaitement. Il y a, encore une fois, un discours de changement, mais il n'y a rien qui change.
JACQUES DE GUILLEBON



Le dernier article est une sorte de revue des blogs et d'Internet au sens large;
On en a déjà largement parlé ici.



Sarkozy, Bigard et Bernanos au Vatican

Malgré, ou peut-être à cause des vacances de Noél, la visite présidentielle au Vatican a suscité une intense activité sur la blogosphère. Voici un aperçu des différentes réactions.
Ainsi Jean-Pierre Chevènement est inquiet Sarkozy risque de choquer des consciences. Il rappelle que « la laïcité, c'est la croyance dans la capacité humaine à définir le bien commun dans l'espace public, en le soustrayant de l'empire des dogmes ».
Moins mesurée, la tendance générale des blogs de gauche est à crier au scandale et au bafouement de la laïcité. Sur le site de campagne de José Bové, on s'attache surtout à fustiger la présence de l'humoriste Bigard. Sarkozy y devient le « chaînon manquant » entre le Saint-Père et Jean Marie Bigard, « quelque part entre un comique de corps de garde et un pape conservateur et sombre ».
Sur les blogs catholiques, les avis sont partagés.
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Les thuriféraires du régime semblent être les seuls à se féliciter du déroulé de cette visite. Ainsi Patrick Devedjian, qui remarque que les racines chrétiennes sont avant tout à la base « des valeurs fondamentales [de] la république et la démocratie ». Du coup, il juge la plupart des critiques évoquées « archaïques et décalées ».
Pierre Assouline sort du lot en s'intéressant aux livres offerts par le Président au Saint Père : La Joie et L'Imposture, de Bemanos, soulignant qu'ils avaient déjà été lus par l'intéressé. Il revient sur ces « ceuvres puissantes, traversées par des visions troublantes [ . ..] sur le thème du rachat par la communion des saints et la réversibilité des mérites ».
Une vision d'avenir ?
PHIUPPE ALEYRAC



<<< Sarkozy et la laïcité à la française



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