L'ami Saint-Augustin

Benoît XVI a consacré la catéchèse d'aujourd'hui à son grand ami Augustin.
Cette catéchèse était tellement personnelle, tellement vivante, je dirais tellement passionnante, que j'ai commencé à la traduire pour la comprendre. Et je suis arrivée à la fin presque sans m'en rendre compte...

Maintenant que le travail est fait, pourquoi ne pas en faire profiter d'autres, avant la traduction officielle du Vatican..



Ce récit renvoie à ce qu'il avait répondu à une question posée par les journalistes allemands venus l'interroger avant son voyage en Bavière, à propos des béatifications: (ici)
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"... il y a les canonisations des plus grandes figures qui sont importantes pour l’Eglise tout entière. ....on pourrait peut-être leur consacrer des films. J’imagine de très beaux films.
Moi naturellement je ne connais bien que les Père de l’Eglise:
un film sur Augustin, et un aussi sur Grégoire de Nizance et sa personnalité si particulière, sa façon de fuir sans cesse les responsabilités toujours plus grandes qui lui étaient confiées et ainsi de suite. Il faut essayer de réfléchir à tout cela: Il n’y a pas que les situations mauvaises auxquelles sont consacrés tant de films, il y a des figures merveilleuses de l’histoire, qui ne sont pas du tout ennuyeuses, qui sont très actuelles. Bref il faut essayer de ne pas trop peser sur les gens, mais de leur proposer les figures qui restent actuelles et dont on peut s’inspirer."



Saint-Augustin : la vie

Texte original en italien ici: Blog de Raffaella
Ma traduction
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Après les grandes festivités de Noël, je voudrais revenir aux méditations sur les Pères de l'Église et parler aujourd'hui du plus grand des Pères de l'Église latine, Saint-Augustin : homme de passion et de foi, d'une très grande intelligence et d'un zèle pastoral infatigable, ce grand Saint et docteur de l'Église est souvent connu, au moins de renommée, y compris par ceux qui ignorent le christianisme ou n'en sont pas familiers, parce qu'il a laissé une empreinte très profonde dans la vie culturelle de l'Occident et du monde.
Pour son importance singulière, Saint-Augustin a eu une influence très large, et on pourrait affirmer, d'une part, que tous les chemins de la littérature latine chrétienne portent à Hippone (aujourd'hui Annaba, sur la côte algérienne), le lieu où il fut évêque et, aussi, qu'en partant de cette ville de l'Afrique romaine, dont Augustin fut Évêque de 395 jusqu'à la mort en 430, s'élargissent beaucoup d'autres voies du christianisme ultérieur et même de la culture occidentale.

Rarement une civilisation a trouvé un esprit ainsi grand, qui sût en cueillir les valeurs et en exalter l'intrinsèque richesse, en inventant des idées et des formes dont devaient se nourrir les époques postérieures, comme le souligne également Paul VI: "On peut dire que tout la pensée de l'antiquité conflue dans son oeuvre et que d'elle dérivent des courants de pensée qui envahissent toute la tradition doctrinale des siècles suivants"

Augustin est en outre le Père de l'Église qui a laissé le plus grand nombre d'oeuvres. Son biographe Possidio dit: il semblait impossible qu'un homme ait pu écrire tant de choses dans sa vie. De ces différentes oeuvres nous parlerons lors d'une prochaine rencontre.

Aujourd'hui notre attention sera réservée à sa vie, que l'on parvient bien à reconstruire à partir d'écrits, et en particulier des Confessions, l'extraordinaire autobiographie spirituelle, écrite à la louange de Dieu, qui est son oeuvre la plus célèbre. Et à juste titre, parce que ce sont vraiment les Confessiones augustiniennes, avec leur attention à l'interiorité et à la psychologie, qui constituent un modèle unique dans la littérature occidentale, et pas seulement occidentale, ni même religieuse, jusqu'à l'époque moderne. Cette attention à la vie spirituelle, au mystère de moi, au mystère de Dieu qui se cache en moi, est une chose extraordinaire, sans précédent et reste toujours, pour ainsi dire, un "sommet" spirituel.

Mais, pour en venir à sa vie, Augustin nacquit à Tagaste - dans la province de la Numidie, en Afrique romaine - le 13 novembre 354, de Patrice, un païen qui ensuite devint catécumène, et de Monique, fervente chrétienne. Cette femme passionée, vénérée comme Sainte, exerça sur son fils une très grande influence et elle l'éduqua dans la foi chrétienne.
Augustin reçut même le sel, comme marque de l'accueil dans le catécumenat. Et il est toujours resté fasciné parla figure de Jésus Christ ; il dit même avoir toujours aimé Jésus, mais s'être éloigné toujours plus de la foi ecclésiale, de la pratique ecclésiale, comme cela se passe encore aujourd'hui pour beaucoup de jeunes.

Augustin avait aussi un frère, Navigio, et une soeur, dont nous ignorons le nom et qui, restée veuve, fut ensuite à la tête d'un monastère féminin. Le garçon, de très vive intelligence, reçut une bonne éducation, même s'il ne fut pas toujours un étudiant exemplaire. Toutefois, il étudia bien la grammaire, d'abord dans sa ville natale, ensuite à Madaura, et à partir de 370 la réthorique à Carthage, capitale de l'Afrique romaine : il parvint à dominer parfaitement la langue latine, mais cependant, il n'arriva pas à manier le grec avec autant d'aisance et il n'apprit pas le punique, parlé par ses compatriotes.

Précisément à Carthage, Augustin lut pour la première fois l'Hortensius, un écrit de Cicéron qui fut perdu par la suite, et qui se place au début de son chemin vers la conversion. Le texte de Cicéron, en effet, éveilla en lui l'amour pour la connaissance, comme il l'écrira, alors Évêque, dans les Confessions : "Ce livre changa vraiment ma manière de sentir", au point qu'"à l'improviste tout espérance vaine perdit sa valeur et je désirai avec une incroyable ardeur du coeur l'immortalité de la sagesse".

Mais puisqu'il était lui-même convaincu que, sans Jésus la vérité ne peut pas se dire effectivement trouvée, et parce que dans ce livre passionant ce nom lui manquait, tout de suite après l'avoir lu, il commença à lire l'Écriture, la Bible. Mais il en resta déçu. Pas seulement parce que le style latin de la traduction de la Sainte Écriture était insuffisant, mais aussi parce que le contenu même lui apparut peu satisfaisant. Dans les récits de l'Écriture sur des guerres et autres événements humains il ne trouvait pas la hauteur de la philosophie, la splendeur de la recherche de la vérité qui lui est propre. Toutefois il ne voulait pas vivre sans Dieu et ainsi il cherchait une religion correspondant à son désir de vérité et même à son désir à s'approcher à Jésus.

Il tomba ainsi dans le réseau des manichéens, qui se présentaient comme chrétiens et promettaient une religion totalement rationnelle. Ils affirmaient que le monde est divisé en deux principes : le bien et mal. Et ainsi s'expliquerait toute la complexité de l'histoire humaine. La morale dualiste plaisait aussi à Saint-Augustin, parce qu'elle comportait un morale très haute pour les élus: et pour ceux qui comme lui, y adhéraient, il était possible de mener une vie bien plus adéquate à la situation de son temps, en particulier pour un jeune homme.
Il fit par conséquent manichéen, convaincu en cet instant d'avoir trouvé la synthèse entre rationalité, la recherche de la vérité et l'amour de Jésus-Christ. Et il en eut même un avantage concret pour sa vie : l'adhésion aux manichéens en effet ouvrait de faciles perspectives de carrière. Adhérer à cette religion qui comptait tant de personnalités influentes lui permettait de continuer la relation tissée avec une femme et de poursuivre sa carrière. De cette femme il eut un fils, Adeodato, qui lui fut très cher, très intelligent, qui sera ensuite présent dans la préparation au baptême prés du lac de Côme, en participant à ces "Dialogues" que Saint-Augustin nous a transmis. Le garçon, malheureusement, mourut prématuréement.
Enseignant de grammaire aux alentours de vingt ans dans sa ville natale, il retourna bientôt à Carthage, où il devint un maître de réthorique brillant et apprécié. Avec le temps, toutefois, Augustin commença à s'éloigner de la foi des manichéens, qui le déçurent vraiment du point de vue intellectuel puisqu'incapables de résoudre ses doutes, et il se transféra à Rome, et ensuite à Milan, où résidait alors la cour impériale et où il avait obtenu une place de prestige grâce à l'intérêt et aux recommandations du préfet de Rome, le païen Simmaco, hostile à l'évêque de Milan Saint-Ambroise.

À Milan Augustin prit l'habitude d'écouter - initialement dans le but d'enrichir son bagage réthorique - les très belles prédications de l'Évêque Ambroise, qui avait été représentant de l'empereur pour l'Italie septentrionale, et le rétheur africain resta fasciné par les paroles de l'évêque milanais ; et pas seulement par sa réthorique, le contenu surtout toucha toujours plus son coeur. Le grand problème de l'Ancien Testament, du manque de beauté réthorique, de hauteur philosofique se résolut dans les sermons de Saint-Ambroise, grâce à l'interprétation typologique de l'Ancien Testament : Augustin comprit que tout l'Ancien Testament est un chemin vers Jésus Christ. Ainsi il trouva la clé pour comprendre la beauté, et même la profondeur philosophique de l'Ancien Testament, et il comprit toute l'unité du mystère du Christ dans l'histoire et même la synthèse entre philosophie, rationalité et foi dans le Logos, dans le Christ Verbe Eternel qui s'est fait chair.

En peu de temps, Augustin se rendit compte que la lecture allégorique de l'Écriture et la philosophie neoplatonicienne pratiquée par l'Évêque de Milan lui permettaient de résoudre les difficultés intellectuelles qui, lorsqu'il était plus jeune, dans sa première approche des textes bibliques lui avaient semblé infranchissables.

À la lecture des écrits des philosophes, Augustin fit ainsi suivre celle, rénovée, de l'Écriture et surtout des Lettres de Paul.
La conversion au christianisme, le 15 août 386, se situa donc au sommet d'un itinéraire intérieur long et tourmenté , dont nous parlerons encore dans une autre catéchèss, et l'africain se tranféra dans la campagne au nord de Milan, prés du lac de Côme - avec sa mère Monique, son fils Adeodato et un petit groupe d'amis - pour se préparer au baptême.
Ainsi, à 32 ans, Augustin fut baptisé par Ambroise le 24 avril 387, pendant la vigile pascale, dans la Cathédrale de Milan.
Après le baptême, Augustin décida de retourner en Afrique avec ses amis, dans l'idée de pratiquer une vie communautaire, du type monastique, au service de Dieu. Mais à Ostia, sur le point de partir, sa mère tout à coup tomba malade et mourut peu après, déchirant le coeur de son fils.

Rentré finalement dans sa patrie, le converti s'établit à Hippone pour y fonder justement un monastère. Dans cette ville de la côte africaine, malgré ses réticences, il fut ordonné prêtre en 391 et commença avec quelques compagnons la vie monastique à laquelle il pensait depuis longtemps, partageant son temps entre la prière, l'étude et la prédication.

Il voulait être seulement au service de la vérité, il ne sentait pas appelé à la vie pastorale, mais ensuite il comprit que l'appel de Dieu était celui d'être pasteur parmi les autres, et ainsi d'offrir aux autres le don de la vérité.
À Hippone, quatre ans plus tard, en 395, il fut consacré Évêque. Continuant à approfondir l'étudie des Écritures et des témoins de la tradition chrétienne, Augustin fut un Évêque exemplaire dans son infatigable engagement pastoral: il prêchait plusieurs fois par semaine à ses fidèles, soutenait les pauvres et les orphelins, il s'occupait de la formation du clergé et de l'organisation de monastères féminins et masculins.
En peu de temps l'ancien rétheur s'affirma comme un des plus importants représentants du christianisme de ce temps : très actif dans le gouvernement de son diocèse - avec des résultats considérables, y compris civils - en plus de 35 ans d'épiscopat, l'Évêque d'Hippone exerça en effet une vaste influence aux rênes de l'Église catholique de l'Afrique romaine et plus généralement du christianisme de son temps, en faisant face des tendances religieuses et des hérésies tenaces et désagrégatrices comme le manichéisme, le donatisme et le pélagianisme, qui mettaient en danger la foi chrétienne dans le Dieu unique et riche de miséricorde.

Et Dieu mit sa confiance en Augustin chaque jour, jusqu'à la fin de sa vie : pris de fièvre, alors que depuis presque de trois mois son Hippone était assiégée par les vandales envahisseurs, l'Évêque - comme le rapporte son ami Possidio dans "la Vie d'Augustin" - demanda que l'on transcrivît en grands caractères les psaumes pénitentiels "et fit afficher les feuilles contre le mur, de sorte qu'en étant dans son lit pendant sa maladie il pût les voir et les lire, et il pleurait sans interruption à chaudes larmes" .
Ainsi se passèrent les derniers jours de la vie d'Augustin, qui mourut le 28 août 430, alors qu'il n'avait pas encore atteint 76 ans.
À ses oeuvres, à son message et à son histoire intérieure, nous consacrerons les prochaines rencontres.



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