Baptême du Seigneur- Messe à la Chapelle Sixtine



Aujourd'hui, fête du Baptême du Seigneur, Benoît XVI a baptisé lui-même, conformément à la tradition, treize nouveaux-nés, dans la Chapelle Sixtine.
Comme cela a été annoncé partout, la messe a été célébrée selon le missel de Paul VI, mais une partie "dos au peuple".

Façon, sans doute, de "réconcilier" les deux rites, et de montrer la continuité.
C'est bien dans sa manière: le Saint-Père procède comme il en a l'habitude -tout en douceur et en délicatesse.
Evidemment, les extrêmistes des deux bords sont mécontents, ou déçus.
D'un côté, il y a ceux qui attendaient peut-être que le Pape célèbre publiquement selon le rite ancien.
Pour l'autre bord, l'AFP donne le ton: on admirera l'à-propos, qui consiste à profiter de l'occasion pour parler une fois de plus de "la prière pour les juifs".
Que vient-elle faire là?
Le Monde, qui reproduit une dépêche de l'Agence Reuters, n'est pas en reste, qui rappelle doctement que Benoit XVI, [est] issu de la frange conservatrice de l'Eglise...

A ce niveau, ce n'est vraiment plus de l'information (ce qu'on pourrait attendre de simples dépêches d'agences de presse, ou bien suis-je trop naïve), mais de l'interprétation idéologique.



Dépêche AFP

Le pape célèbre pour la première fois une messe le dos tourné aux fidèles

Le pape Benoît XVI a célébré dimanche pour la première fois en public une messe en tournant le dos aux fidèles, à la manière dont cela se faisait dans la liturgie ancienne que le souverain pontife a réhabilitée il y a six mois.
Au cours de la cérémonie de baptême de 13 bébés d'employés du Vatican "le pape se trouvera à certains moments le dos tourné aux fidèles et le regard vers la croix", a indiqué auparavant l'Office des célébrations liturgiques en décrivant la messe qui s'est déroulée dans la Chapelle Sixtine.
"Pour le reste, la célébration se déroulera normalement et le missel (livre liturgique) ordinaire, c'est-à-dire celui introduit par Paul VI après le Concile Vatican II, sera utilisé", précise l'Office. Le pape a en effet prononcé la messe en italien et non pas en latin.
Benoît XVI a décidé en juillet dernier d'autoriser la célébration de l'ancienne messe en latin, selon le "missel de Saint Pie V", à la grande satisfaction des catholiques traditionalistes.
Le missel de Saint Pie V a été promulgué en 1570 près le concile de Trente et il a subi plusieurs fois des retouches, dont la dernière à l'époque du pape Jean XXIII en 1962. C'est pourquoi Benoît XVI préfère parler du missel "de Jean XXIII".
Celui-ci comprend toujours une prière pour la conversion des juifs le Vendredi Saint (commémorant la mort du Christ).
Le missel de Paul VI a remplacé cette prière par une autre qui évoque les juifs comme le premier peuple à avoir "reçu la parole de Dieu", mais ne demande plus de conversion. Il a été promulgué en 1970 après le concile Vatican II.
Selon ce missel, le prêtre officie face aux fidèles et dans les langues vernaculaires.



Reuters, dans Le Monde

C'est la première fois depuis le concile de Vatican II (1962-65) que le pape tourne ainsi occasionnellement le dos aux fidèles pour regarder la croix. Il a également prononcé son homélie assis sur le vieux trône en bois situé à la gauche de l'autel, celui qu'utilisait Pie IX au XIXe siècle.

Benoit XVI, issu de la frange conservatrice de l'Eglise, réintroduit peu à peu des rites anciens abandonnés progressivement depuis Vatican II, le concile qui a marqué la modernisation de l'Eglise, substitué les langues vernaculaires au latin, et encouragé le dialogue oecuménique.

En juillet, le souverain pontife a publié un "motu proprio" libéralisant la célébration de la messe en latin, ce qui a été considéré comme un geste en faveur des traditionalistes. Il s'est également prononcé pour le retour du chant grégorien.



Heureusement, dans un article bien documenté, Petrus découvre pour le profane les intentions de Benoît XVI: c'est un fin liturgiste, et déjà en tant que cardinal, il s'était exprimé sur la question, dans un livre publié en 2001, "Introduction à l'esprit de la liturgie".
Article original en italien.
Ecco perchè il Pontefice ha riattualizzato il rito liturgico pre-conciliare
Ma traduction



Un liturgiste nommé Ratzinger

Voilà pourquoi le Pontife a réactualisé le rite liturgique preconciliaire
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Dans la splendeur de la Chapelle Sixtine le Pape a célébré le dos tourné aux fidèles et il a prononcé l'homélie sur le trône placé sur le mur droit, et non au centre.

Pour le baptême de 13 enfants, en effet, Benoît XVI a choisi d'utiliser l'ancien autel accosté au mur, sous le Jugement Dernier de Michel-Ange, et non plus l'autel posé sur une estrade mobile qu'utilisait Jean-Paul II.
"Il a été décidé - explique une note du Bureau des Célébrations Liturgiques du Souverain Pontife - de célébrer à l'ancien autel pour ne pas altérer la beauté et l'harmonie de ce bijou architectural, préservant sa structure du point de vue de la célébration[..]".

Ce qui signifie qu'à plusieurs reprises, le Pape s'est trouvé tournant le dos aux fidèles et le regard vers la Croix, orientant ainsi l'attitude et la disposition de toute l'assemblée.
Pour le reste, la célébration a eu le déroulement habituel : en effet, on a utilisé le missel ordinaire, c'est-à-dire celui introduit par Paul VI après le Concile Vatican II.

Avant de devenir Pape, dans son livre intitulé l'"Introduction à l'esprit de la liturgie", publié en 2001, le Cardinal Joseph Ratzinger avait souhaité revenir à la Messe célébrée avec le prêtre et les fidèles tournés vers l'Orient - le lieu duquel reviendra le Seigneur - comme cela avait été durant de longs siècles jusqu'à la réforme liturgique ayant suivi le Concile Vatican II.
Ratzinger déplorait que dans la célébration avec l'autel tourné vers le peuple, comme c'est le cas aujourd'hui, le prêtre "devient le véritable point de référence", et tout semble se terminer "sur lui". Et ainsi, "l'attention est de moins en moins tournée vers Dieu".
Dans le livre, le futur Pape observait que, "au-delà de tous les changements, une chose est restée claire pour toute la chrétienté, jusqu'au second millénaire bien avancé: la prière tournée vers l'Orient est une tradition qui remonte aux origines et est une expression fondamentale de la synthèse chrétienne du cosmos et de l'histoire ".
L'Orient signifiait en effet l'annonce du "retour du Seigneur".
En se basant sur la "présumée position du célébrant" sur l'autel de la Basilique Saint-Pierre, les auteurs de la réforme issue du Concile Vatican II ont par contre établi que "l'Eucharistie doit être célébrée versus populum (en direction de peuple). L'autel doit être disposé de manière à ce que le prêtre et l'assistance puissent se regarder mutuellement ".
Le Cardinal Ratzinger contestait que cette règle corresponde à l'image de la dernière Cène: "Dans aucune Cène du debout de l'ère chrétienne, le président d'une assemblée de commensaux n'était face aux autres participants. Ils étaient tous assis, et étendus, sur le côté convexe d'une table en forme de sigma ou de fer à cheval ".
Malgré cela, "la conséquence la plus visible" de la réforme post-conciliaire est celle "d'une nouvelle idée de l'essence de la liturgie comme repas communautaire".
Dans le vieux rite tridentin, resté en vigueur jusqu'à la dernière réforme, la Messe était, par contre, essentiellement la répétition du sacrifice de la Croix, pas un "repas" ou une "réception" comme dans la tradition protestante.
Ratzinger contestait que l'Eucharistie pût être "décrite de façon adéquate dans les termes "repas "et "réception".
La conscience que l'autel, le prêtre et les fidèles étaient autrefois tournés vers l'Orient s'est perdu au cours des siècles, au point qui cet orientation était étiquetée comme "célébration vers le mur" ou comme "tournant le dos au peuple", et donc est apparue - expliquait le Cardinal - "comme quelque chose d'absurde et de totalement inacceptable".
Mais Ratzinger contestait le résultat de la réforme liturgique : "Aujourd'hui, le prêtre - ou le "président ", comme on préfère l'appeler - devient le vrai point de référence de toute la célébration. Tout termine sur lui. C'est lui qu'il faut regarder, c'est à son action que l'on prend part, c'est à lui qu'on répond ; c'est sa créativité qui soutient l'ensemble de la célébration ".
"L'attention - commentait le prélat avec une pointe d'amertume - est de moins en moins tournée vers Dieu. Le prêtre tourné vers l'assemblée donne à la communauté l'aspect d'un tout refermé sur lui- même ".

Après avoir précisé que ce serait "une erreur de refuser en bloc les nouvelles formes" de la liturgie, le Cardinal insistait pour dire que l'orientation de l'autel, du prêtre et des fidèles vers l'Est, vers le Soleil levant, "pendant la prière eucharistique" n'est pas "quelque chose de fortuit" mais d'"essentiel".
Il n'aurait pas déplu à Ratzinger de tourner à nouveau les autels vers l'Orient, même si, dans son texte, il admettait que "rien n'est plus nuisible pour la liturgie que de mettre continuellement tout sens-dessus-dessous".
La solution, dans les églises où il n'est pas possible de le faire sans révolutionner l'architecture, est de repositionner au moins la Croix au centre de l'autel, afin qu'elle soit "le point sur lequel se tournent les regards, tant du prêtre que de la communauté orante".
"Parmi les phénomènes vraiment absurde des dernières décennies - concluait le futur Pape - je compte le fait que la Croix soit placée sur un côté pour laisser libre le regard sur le prêtre. Mais la Croix, pendant l'Eucharistie, représenterait-elle un dérangement ? Le prêtre serait-il plus important que le Seigneur? Cette erreur devrait être corrigée le plus vite possible ".
Ainsi, une fois élevé à la Chaire de Pierre, avec le Motu Proprio 'Summorum Pontificum', Benoît XVI a libéralisé la Messe tridentine, qui prévoit, justement, le célébrant de dos et l'assemblée tournée vers l'Orient.



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