L'imprévisible succès du pape timide

J'aime bien cet article paru sur "Il Giornale", même si je ne suis pas d'accord avec l'adjectif "imprévisible".
Pour moi, imprévisible, le succès de Joseph Ratzinger devenu Pape ne l'a jamais été, puisque je ne le connaissais pas avant son élection, que mon jugement n'avait donc pas été "pollué" par le matraquage médiatique, et que ce qui transparaissait de sa personnalité à travers les simples gestes venus du coeur qu'il a eus le 19 avril 2005.... m'a tout de suite captivée.
Pourquoi les gens n'aimeraient-ils que le "gagneurs", ceux qui le montrent?
Le reste de l'article dit bien ce qui risque d'être un des effets de l'épisode de La Sapienza, au moins au regard des gens simples, ceux qui vivent la foi, et ne l'analysent pas en somme.

J'ajoute, et je souligne, qu'il serait inimaginable de trouver un article aussi chaleureux (oser dire au pape: "nous t'aimons"!!) dans un grand (ou petit) journal français.
L'exubérance latine est-elle seule en cause?

Article original en italien sur Il Giornale du 19 janvier, reproduit sur le blog de Raffaella.
Ma traduction.



Nous t'aimons

L'imprévisible succès du Pape timide

Michele Brambilla

Demain sera un jour spécial pour le Pape.
Ils viendront de toute Italie pour lui manifester leur solidarité après la vilaine affaire de la Sapienza. Ce sera une façon de revendiquer la liberté de parole pour l'Église; une manière de réagir à un laïcisme désormais plus antichrétien qu'anticlérical.

Mais surtout ce sera une façon d'embrasser le Pape et de lui dire : nous t'aimons.

Et c'est peut-être l'aspect le plus surprenant. Qui imaginait vraiment que quelqu'un comme Ratzinger aurait mobilisé les foules sur les cordes du sentiment, de l'émotion ? Certainement pas les analystes et journalistes qui au lendemain de l'élection pariaient sur une chute de visibilité et de popularité ; ceux qui traçaient une inévitabile comparaison entre Wojtyla, Pape "médiatique", et le froid intellectuel plus à son aise dans ses livres que parmi les gens.

Toutes hypothèses que les faits ont démenti. Rien que les faits. Ce sont les faits qui sont les grands ennemis des théoriciens qui commentent le monde à table. Cela fait maintenant beaucoup de temps que les faits parlent un langage différent. Avec Papa Ratzinger, les présences aux audiences du mercredi et à l'Angelus du dimanche ont même augmenté ; comme a aussi augmenté ce qu'on nomme "obolo de San Pietro", qui sont les offrandes des fidèles.
Et demain, Place Sain-Pierre, il y aura une foule qui n'était pas programmée ; une foule qui se rassemble de façon spontanée, et même imprévue, sans l'occasion d'une répétition, d'une fête, d'une béatification, d'une quelconque célébration.

Surprises, farce du destin, compréhensible seulement à ceux qui ne pensent pas l'Église, ne la commentent pas, mais la vivent.
Le croyant perçoit, dans l'imprévisible succès populaire de Ratzinger, une belle manifestation de cette réalité mystérieuse qui est le sensus fidei : la foi des gens simples, qui échappe et reste incompréhensibile à ceux qui raisonnent sur le christianisme avec les catégories de la politique ou de la sociologie.

Face aux préjugés répandus à pleines mains par ceux qui peignaient Ratzinger comme le gardien bourru de l'orthodoxie la plus rétrograde, les gens réalisent qu'ils se trouvent face à un homme bon, sincère, qui dit toujours la vérité, qui ne délivre ni sentences ni condamnations, mais des conseils ; un homme beaucoup plus porté à comprendre qu'à juger.
"Au bout d'une heure que je parlais avec lui- a dit Vittorio Messori en se rappellant des jours passés avec Ratzinger pour réaliser, au début des années quatre-vingt le livre- interviewe "Rapport sur la foi" - il me vint l'envie de poser mon carnet et lui demander de me confesser. C'est l'homme le plus doux et le plus timide que je connaisse, je n'ai jamais compris comment il avait pu être transformé par une certaine vulgate en une sorte de panzer-cardinal ".

Benoît XVI fait éclater tous les schémas des "experts" en 'efficacité de la communication. Timide il l'est vraiment : on voit combien il est embarassé quand il salue en ouvrant les bras, de comment ensuite il les réunit gauchement pour se serrer les mains, combien il est encore rigide et gauche même lorsqu'il donne sa bénédiction.

C'est un homme qui ne fait rien pour tenir la scène ; rien pour se gagner les interlocuteurs, pour arracher les applaudissements faciles. Il ne cède jamais au politiquement correct, ne fait pas de concessions à l'essence de la foi pour suivre la moda, s'il doit parler de famille ou de sexualité il ne cherche pas à faire du "bonisme", se garde bien du clin d'oeil progressiste.
Pourtant ce Pape, qui en théorie aurait dû être "di nicchia", une sorte de Pontife réservé aux seuls tradizionalistes, a réveillé l'orgueil des croyants et provoqué l'admiration et la curiosité de beaucoup de non croyants.

En somme, il a du succès. Mais, justement à cause de ce qu'il est, Papa Ratzinger redoute le succès. Non seulement timide, mais surtout réaliste, il ne poursuit pas le mythe trompeur de l'Église triomphante, il sait que la vocation des chrétiens est celle d'être une minorité, petit troupeau, sel de la terre.

Pour tout cela, demain, il vivra une journée de fête : mais il ne veut pas que la fête se transforme en une épreuve de force. La force de l'Eglise ne réside pas dans les chiffres, ni dans les marées humaines. Conscient que la Providence "écrit souvent droit sur des lignes courbes", Papa Ratzinger sait que même un fait négatif comme son exclusion de la Sapienza s'est paradoxalement transformé en une victoire.
Mais cette victoire, il ne veut l'apprécier qu'avec un petit sourire, parce que son charisme est la discrétion.

© CopyrightIl Giornale, 19 janvier 2008



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