Les archives de l'Inquisition

Article original dans l'Avvenire du 19 février, reproduit sur le blog de Raffaella.

Ma traduction


Le procès de Galilée Source: L'Avvenire


Les précautions du Saint-Office

Franco Cardinai

À Rome une exposition et une rencontre font le point sur les archives de l'Inquisition, à dix ans de l'ouverture voulue par Ratzinger.
Et on voit comment la "légende noire" est en grande partie une exagération.

Les documents montrent respect pour le prévenu et modération : les cas de sorcières condamnées par des tribunaux locaux et absous par le suprême tribunal romain n'étaient pas exceptionnels; la pratique était inspirée par une modération sévère. C'était un tribunal extrêmement dur, qui jugeait sur des matières délicates, mais sut toutefois maintenir un équilibre.

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Nous sommes habitués. On est étonné de devoir encore s'étonner, mais malheuresement c'est ainsi : et il faut avoir de la patience.
Il y a quelques années, devant la "dilatation" et l'augmentation de la puissance des mass media, nous étions beaucoup à croire et surtout à espérer que la télévision et l'informatique aideraient la societé civile à atteindre un plus haut niveau de diffusion de la culture.
A l'inverse, il est arrivé au plan culturel, ce qui arrive en économie, où est en vigueur la loi selon laquelle la fausse monnaie chasse la bonne.
La culture médiatique a fini dans un triste marécage où surnagent les pyramides égyptiennes, le saint graal, les templiers et des nazis adeptes d'ésotérisme : pas grand chose d'autre, et presque rien de plus.
Et il arrive par conséquent que de temps en temps, par une sorte de court circuit, la Télé ou les journaux entrent en contact avec des thèmes d'un haut niveau du point de vue scientifique ou intellectuel: et alors nous nous trouvons face à la découverte systématique de l'eau chaude, déguisée en nouveauté sensationnelle et peut-être même présentée comme un sorte de "révisionisme" aussi risqué que boulerversant.
Nous ne devrons pas donc nous étonner s'il advient que - dans ce Pays où tout devient occasion de polémiques inopportunes... - quelque visiteur d'un blog taxera de 'révisionisme 'le professeur Adriano Prosperi pour les opinions exprimées hier sur le Messagero, où il 'défend', horreur, l'Inquisition et le Saint-Office, la torture et les bûchers.
Mais l'occasion est sérieuse. Une rencontre qui se tiendra entre 21 et 22 février prochains à Rome, sur le thème "A dix ans de l'ouverture de archives de la congrégation pour la Doctrine de la foi. Histoire et archives de l'Inquisition ".
Ceux qui suivront les travaux de cette rencontre en tireront certainement un un grand bénéfice sous l'angle scientifique ; mais, si on s'y rend avec des démangeaisons de voyeurisme et de sensationalisme, on restera sans aucun doute ennuyé et déçu.

Il y a dix ans le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la doctrine la Foi qui a hérité et actualisé les fonctions du Saint-Office, décida d'ouvrir les archives de l'Inquisition romaine aux spécialistes. Ce fut un choix de grand courage, de grande libéralité, de grande intelligence.

Et, dans la grande masse de documents gardés dans ces précieuses archives, ont émergé et sans doute continueront à émerger ceux qui parlent aussi des sorcières, des juifs, des convertis de l'hébraïsme et de l'islam au christianisme (ou, au contraire, des renégats) et ainsi de suite.
Naturellement, le lien qui relie tous ces 'cas' était l'hérésie : le Saint-Office s'occupait et se préoccupait des hérétiques, traitait donc par exemple les cas de sorcellerie seulement si, quand et dans la mesure où ils pouvaient être soupçonnés d'avoir à faire avec la propagande hérétique. Mais les documents montrent que le Saint-Office procédait toujours avec grande circonspection, avec ce respect pour le prévenu que les temps permettaient, avec une constante modération. Les cas de sorcières condamnées par les tribunaux locaux et absous par le suprême tribunal romain, même peu fréquents, ne sont cependant pas de exceptionnels.
Cela rentrait dans une pratique inspirée par la modération sévère. Même le grand cardinal Borromée, Saint-Charles, qui en matière de sorcières et d'hérétiques n'y allait pas de main morte, se vit contré par la congrégation romaine.
Et l'Église n'était pas non plus insensible face au progrès de la science.
Bien au contraire. Les nouvelles dispositions émanant d'elles en 1620, qui peuvent plaire ou non (par exemple elles devinrent plus restrictives en matière d'avortements), furent de toute façon influencées par les théories scientifiques du temps.
Prosperi cite quelques cas, parmi lesquels celui particulièrement intéressant de la "sorcière" de Pise, au XVIIe siécle, accusée et torturée par les inquisiteurs de sa ville puis libérée à la suite d'une intervention romaine explicite. Il y aurait beaucoup d'autres cas à rappeller à ce sujet... Nous ne disons pas qu'il n'y eut pas des pages tristes et même d'horribles; il ne s'agit pas de prétendre que tout fut toujours roses et fleurs. Mais ce qui est important, c'est de remarquer la substantielle, continuelle et attentive exactitude d'un tribunal extrêmement dur, qui jugeait sur des matières difficiles et délicates, mais qui savait toutefois maintenir en général un équilibre que d'autres tribunaux, même dans notre heureuse modernité, n'ont pas maintenu.
D'autre part, il est connu que les tribunaux inquisitoriaux ont fait école dans les différentes "chasses aux sorcières" du vingtième siècle: mais malheureusement les juges modernes ont bien appris la leçon de la dureté, mais pas autant celle de l'équité.
Il reste de toutes façons à tenir compte du fait que l'objet du Saint-Office était la recherche de l'héresie : si on oublie ceci, s'occuper de procès en sorcellerie peut porter à des jugements faciles et pittoresques.
Naturellement, la richesse de ces documents est extraordinaire. Ils constituent un champ de recherche inépuisable non seulement pour les historiens, les juristes et les théologiens, mais aussi pour les anthropologues, pour les sociologues, pour les spécialistes du folklore et de la vie quotidienne. Sur ces temps, lorsque même l'avis des meilleurs spécialistes risque de continuer à être faussé et impliqué dans les polémiques les plus ignobles, il faut un courage "civil", y compris dans les recherches scientifiques.


Note:
Parmi mes documents, j'ai un reportage, diffusé il me semble par Arte. Il faudra que je le recherche
Le Cardinal Ratzinger y était interrogé sur les mythiques archives, et, s'exprimant sur l'inquisition, il avait eu ces mots: "Il y avait déjà une volonté de donner une forme juridique. Dans 'inquisition', il y a 'inquisitio', qui veut dire 'enqiuête'").


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