Une Parole, et des images

Rencontre avec le clergé de Rome, suite.
Voir aussi:
Choisis la vie
Novissimi: les vérités ultimes
Les grandes célébrations ... et Loreto
Rencontre avec le clergé romain
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On ne peut ignorer que la religion catholique, au contraire du protestantisme issu de la Réforme, et des deux autres "grandes religions monothéistes" dont "l'aniconisme" pratiqué (on sait parfois à quel prix) se fonde sur le rejet des idoles, a été l'inspiration d'un art pictural et sculptural admirable, né de la tentative de donner un visage au Verbe Incarné.

Benoît XVI répond sur ce thème à un question d'un prêtre romain, artiste amateur de surcroît, qui lui a offert pour l'occasion l'une de ses oeuvres, une icône du Christ.
Le Saint-Père nous explique comment "l'évènement de l'incarnation", "cette possibilité de 'toucher' Dieu dans le monde", a permis "de nouvelles images, de nouvelles possibilités de rendre visibles les événements du salut".

C'est l'occasion, pour lui, de revenir sur un thème d'actualité, le "jeûne d'images" du Carême, car, dit-il, "nous avons besoin d'un peu de silence, nous avons besoin d'un espace sans le bombardement permanent des images. En ce sens, rendre accessible et compréhensible aujourd'hui le sens de quarante jours de discipline extérieure et intérieure est très important pour nous aider à comprendre qu'une dimension de notre Carême, de cette discipline corporelle et spirituelle, est de nous créer des espaces de silence et aussi sans images, pour rouvrir notre coeur à l'image vraie et à la parole vraie".

Texte original en italien (Vatican).
Ma traduction


Question

Je suis ... prêtre depuis quinze ans, curé de six paroisses à Casal Monastero, dans le secteur nord.
Je crois que nous réalisons tous que nous vivons toujours davantage dans un monde culturellement plongé dans l'inflation des mots, souvent dépourvus de sens, qui désorientent le coeur humain au point de le rendre sourd au mot vérité.
Ce Mot éternel qui s'est fait chair et a assumé le visage de Jésus de Nazareth devient ainsi pour beaucoup évanescent, et surtout pour les nouvelles générations, inconsistant et lointain. A coup sûr perdu dans la forêt d'images ambiguës et éphémères dont nous sommes bombardé quotidiennement.
Alors, quel espace donner dans l'éducation à la foi, à ce binôme: parole à accueillir et image à contempler ?
Où est passé l'art de raconter la foi et d'introduire au mystère, comme c'était le cas autrefois avec la biblia pauperum (bible des pauvres, une bible publiée au moyen-âge, ndt)?
Dans la société actuelle de l'image comment pouvons-nous récupérer la force exubérante du "voir", qui accompagne le mystère de l'incarnation et de la rencontre avec Jésus, comme cela se produisit pour Jean et André sur les rives du Jourdain, invités à aller voir où habitait le Maître ?
En d'autres termes : comment éduquer à la recherche et à la contemplation de cette vraie beauté qui, comme l'écrivait Dostoïevki, sauvera le monde?

Merci, Sainteté, de Votre attention, et si vous permettez, avec le consentement de mes confrères, non seulement comme prêtre de cette paroisse, mais aussi comme artiste amateur, je voudrais accompagner ce que j'ai dit en vous offrant une icône du Christ à la colonne, image de cette humanité souffrante et humiliée que le Verbe a voulu assumer pas seulement jusqu'au "Ecce homo", mais jusqu'à la mort sur la Croix, et en même temps, image actuelle de l'Église, Corps mystique du Christ, souvent blessée par l'arrogance du mal, mais appelée avec son Seigneur, à embrasser le péché du monde pour le racheter en se sacrifiant avec Jésus.
Merci, Saint-Père, et merci aussi à mes confrères. Tous, chaque jour, plus que moi et mieux de moi, sont engagés à montrer au monde avec leur témoignage de vie la face actuelle du Maître. S'il est vrai, comme c'est le cas, que qui a vu le Fils a vu le Père, alors que ceux qui nous voient, nous son Église, puissent voir le Christ.


Réponse du Saint-Père

Merci pour ce très beau cadeau.
Je suis reconnaissant que nous n'ayons pas seulement des mots, mais aussi des images.
Nous voyons encore aujourd'hui que de la méditation chrétienne naissent de nouvelles images, renaît la culture chrétienne, l'imagerie chrétienne.
Nous vivons dans l'inflation des mots, des images.
Donc il est difficile de créer un espace pour la parole et l'image.
Il me semble que justement dans la situation de notre monde, que nous connaissons tous, qui est même notre souffrance, la souffrance de chacun, le temps du Carême acquiert un sens nouveau.

Certes, le jeûne corporel, considéré comme démodé depuis un certain temps, apparaît aujourd'hui à tous comme nécessaire. Il n'est pas difficile de comprendre que nous devons jeûner. Parfois on se trouve même face à certaines exagérations dûes à un idéal de beauté fallacieux. Mais en tout cas le jeûne corporel est une chose importante, parce que nous sommes corps et âme et la discipline du corps, la discipline même matérielle, est importante pour la vie spirituelle qui est toujours vie incarnée dans une personne qui est corps et âme.

Ceci est une dimension. Mais aujourd'hui d'autres dimensions s'amplifient et se manifestent.

Il me semble que le temps du Carême pourrait vraiment être aussi un temps de jeûne des mots et des images.
Nous avons besoin d'un peu de silence, nous avons besoin d'un espace sans le bombardement permanent des images.
En ce sens, rendre accessible et compréhensible aujourd'hui le sens de quarante jours de discipline extérieure et intérieure est très important pour nous aider à comprendre qu'une dimension de notre Carême, de cette discipline corporelle et spirituelle, est de nous créer des espaces de silence et aussi sans images, pour rouvrir notre coeur à l'image vraie et à la parole vraie.

Il me semble prometteur qu'aujourd'hui encore, on voit qu'il y a une renaissance de l'art chrétien, que ce soit une musique méditative - comme par exemple celle née à Taizé - ou même, en renouant avec l'art de l'icône, un art chrétien qui reste, disons, dans les grandes régles de l'art iconologique d'autrefois, mais en s'élargissant aux expériences et aux visions d'aujourd'hui.

Là où il y a une vraie et profonde méditation de la Parole, où nous entrons réellement dans la contemplation de cette visibilité de Dieu dans le monde, de cette possibilité de "toucher" Dieu dans le monde, naissent aussi de nouvelles images, de nouvelles possibilités de rendre visibles les événements du salut.
C'est là la conséquence de l'évènement de l'incarnation.
L'Ancien Testament interdisait toute image, et devait l'interdire dans un monde rempli de divinités. Il vivait vraiment dans un grand vide que était aussi représenté par l'intérieur du Temple, où, en contraste avec d'autres temples, il n'y avait aucune image, mais seulement le trône vide de la parole, la présence mystérieuse du Dieu invisibile, non circonscrit par nos images.

Mais par la suite, l'étape nouvelle est que ce Dieu mystérieux nous libère de l'inflation des images, et aussi du temps rempli d'images de divinité, et nous donne la liberté de la vision de l'essentiel.
L'essentiel apparaît avec un visage, avec un corps, avec une histoire humaine qui, en même temps, est une histoire divine. Une histoire qui continue dans l'histoire des saints, des martyres, des saints de la charité, de la Parole, qui constituent toujours des explications, la continuation dans le Corps de Christ de sa vie divine et humaine, et qui nous donne les images fondamentales dans lesquelles - au-delà de celles superficielles qui cachent la réalité - nous pouvons ouvrir le regard vers la Vérité même.
En ce sens, la période iconoclaste de l'après Concile me semble excessive,même si elle avait une signification, parce qu'il était peut-être nécessaire de se libérer de la superficialité de trop d'images.

A présent, revenons à la connaissance du Dieu qui s'est fait homme.
Comme le dit la Lettre aux Ephésiens, Il est la vraie image. Et dans cette vraie image nous voyons - au-delà des apparences qui cachent la vérité - la Vérité même : "Qui me voit, voit le Père".
En ce sens je dirais qu'avec beaucoup de respect et avec beaucoup de révérence, nous pouvons retrouver un art chrétien et aussi retrouver les grandes représentations du mystère de Dieu dans la tradition iconographique de l'Église. Et ainsi nous pourrons redécouvrir l'image vraie, recouverte par les apparences. C'est réellement un travail important de l'éducation chrétienne : la libération pour la Parole derrière la parole, qui exige toujours de nouveaux espaces de silence, de méditation, d'approfondissement, d'abstinence, de discipline.
Et également l'éducation à la vraie image, c'est-à-dire à la redécouverte des grandes icones créées dans l'histoire de la Chrétienté: avec l'humilité, on se libère d'images superficielles. Ce type d'iconoclasme est toujours nécessaire pour redécouvrir l'Image, c'est-à-dire les images fondamentales qui expriment la présence de Dieu dans la chair.

C'est là une dimension fondamentale de l'éducation à la foi, au vrai humanisme, que nous cherchons en ce moment à Rome. Nous sommes revenus à redécouvrir l'icône avec ses règles très sévères, sans les beautés de la Renaissance. Et ainsi nous pouvons nous aussi pénétrer dans un chemin d'humble redécouverte des grandes images, vers une toujours nouvelle libération du surplus de mots, du trop-plein d'images, pour redécouvrir les images essentielles qui nous sont nécessaires.

Dieu lui-même nous a montré son image et nous pouvons retrouver cette image grâce à une méditation profonde de la Parole qui fait renaître les images.

Alors, prions le Seigneur qu'il nous aide dans ce chemin de vraie éducation, de ré-éducation à la foi, qui est toujours non seulement un "écouter" mais aussi un "voir".


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