Mon patron, c'est le Pape

Gian Maria Vian, directeur de l'Osservatore Romano, répnd avec humour à une interviewe (28/5/2008)



A l'occasion de la prochaine visite du Saint-Père en Sardaigne, il s'est rendu à Cagliari afin de rencontrer la presse locale.

La désinvolture (pour ne pas dire plus) de certaines questions ne laisse pas de surprendre, mais le directeur - depuis six mois - de l'organe du Saint-Siège ne s'est pas laissé démonter, et sans éluder les rapports de l'institution qu'il représente avec la presse, il a fait preuve d'un humour assez réjouissant.

Texte original en italien sur le Blog de Raffaella.
Traduction



« Mon "patron", c'est le Pape »

Le 7 septembre Benoît XVI sera à Cagliari, en Sardaigne.
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Hier, Giovanni Maria Vian, directeur de l'Osservatore Romano, le quotidien du Pape est venu pour rencontrer les journalistes catholiques de Sardaigne

GIANCARLO GHIRRA
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Les yeux clairs, le regard souriant, grand bavard, Giovanni Maria Vian apparaît bien différent de ce qu'on attendrait du directeur du journal du Pape. Ni serieux, ni cérémonieux, il aime un langage simple et clair.

- Ne ressentez-vous pas le poids de diriger l'Osservatore Romano, en ayant comme éditeur et actionnaire unique un Pape austère comme Benoît XVI ?

« Malheureusement, cette image caricaturale du berger allemand, du Rotweiler de Dieu, continue de circuler, mais en réalité le Pape est un homme plein d'humanité, comme il l'a montré lors de son voyage aux USA ».

- Comme patron, il doit être plutôt exigeant, lui, mais aussi son bras droit, le cardinal Tarcisio Bertone. Le secrétaire d'État est pour vous un véritable administrateur délégué, non ?

« Je me sens beaucoup plus libre que ce que je pensais.
Certes, lorsque mes collègues américains me demandent s'il m'arrive d'envisager de critiquer le Pape sur l'Osservatore Romano, je réponds que cela ne semble pas une hypothèse réaliste. Je pourrais le faire, mais en peu de jours je pense que je serais réexpédié à la Sapienza, à enseigner la Philologie patristique. De toute façon, cela ne m'est jamais passé par la tête en six mois de direction du journal, et une attitude de ce genre me paraîtrait bizarre: ce serait comme de lire sur la Stampa (ndt: quotidien de Turin) un éditorial critique envers la Fiat ».

- En réalité vous aimez ce Pape, et aussi ses prédécesseurs. D'ailleurs Paul VI vous a baptisé à Saint Pierre en 1952 lorsqu'il était encore Giovanni Battista Montini et votre grand-père a été marié en 1903 par le cardinal Sarto, avant le conclave qui le choisit comme Pape Pie X. Fréquenter les "Palais Sacrés" (Sacri Palazzi) est un peu dans votre ADN.

« Mais le journal, avec sa centaine d'employés, entre journalistes, archivistes, secrétaires, et ses sept éditions dans les langues plus importantes, se fait dans la zone d'activités de la Cité du Vatican, pas dans les "Palais Sacrés". Et, je le répète, le Pape m'a communiqué ses choix éditoriaux, mais ensuite il me laisse libre dans l'activité quotidienne ».

- Sans doute a-t'il confiance en vous. Etant à la tête d'une monarchie absolue…

« Elle est beaucoup moins absolue que vous ne croyez… ».

- Mais n'avez-vous pas un mandat comme tous les directeurs de journaux du monde ?

« Sur ce point, j'en ai au moins trois. Avant tout Benoît XVI a demandé que l'Osservatore Romano soit de moins en moins italocentrique et de plus en plus ouvert à la dimension internationale et culturelle ».

- Par rapport à votre prédécesseur Mario Agnes, très interventionniste sur la politique italienne, la volte-face de l'Osservatore Romano est nette. Votre mandat est moins "cour de maison" (cortile di casa), avec un regard plus attentif au monde ?

« Exactement, sans oublier que le Pape est évêque de Rome. Benoît XVI nous a demandé une plus grande attention aux Églises orientales, pas seulement catholiques, et un espace aux femmes ».

- Avec vous, une journaliste est entrée dans la rédaction en octobre dernier, la première admise à l'Osservatore Romano. Et sur le journal apparaissent des signatures comme celle d'Anne Foa, professeur d'histoire, juive, fille de Vittorio Foa (ndt: un communiste, je crois???). Les changements, on les voit, même s'il manque encore des commentateurs islamiques. Y en aura t'il ?

« Le Pape Benoît nous demande de dialoguer avec l'Islam, même si, avec sa douce fermeté il a accompli des gestes, comme le baptême de Magdi Christian Allam, qui veulent réaffirmer la liberté religieuse.
C'est un Pape extraordinaire, très humain: aux USA il a étonné tout le monde, même moi, par la manière avec laquelle il a pris position sur les prêtres pédophiles. Il a "mis les mains en avant" (ndt: littéralement Ha messo le mani avanti - faudrait-il traduire par "les pieds dans le plat", ou "les mains dans le cambouis" ?), il a exprimé sa condamnation et sa honte (??) pour ces prêtres, il ne s'est pas du tout caché ».

- Ici à Cagliari, lors de la rencontre organisée par l'Union catholique de la presse, vous avez demandé davantage de responsabilité dans la formation des consciences que de "protagonisme". Qu'est-ce que cela signifie, concrètement, pour une profession ravagée par la précarité ? Dans ce contexte, est-il possible de réagir aux grands pouvoirs économiques et politiques qui détiennent les moyens d'information, tout en gardant la tête haute, comme Jean Paul II le disait aux journalistes catholiques?

« Il est juste que les journalistes défendent la liberté d'informer pour garantir l'exactitude des nouvelles. Il faut évidemment regarder avec réalisme les réalités dans lesquelles nous oeuvrons. Nous, même à l'Osservatore, nous donnons la parole à des peuples du Tiers-Monde (je pense au Kenya et à la Somalie) délaissés par les grandes agences de presse. Aux journalistes je suggère de ne jamais renoncer à l'esprit critique, à la liberté, en visant à un journalisme d'idées, pas à un protagonisme superficiel ».

- C'est facile à dire quand on dirige l'Osservatore Romano, en kiosque depuis 147 ans au nom du Pape, même s'il est toujours dirigé par des laïques. Et aujourd'hui soutenu par une rédaction de plus en plus professionnelle, avec un sous-directeur, Carlo de Cicco, qui vient de l'Agence Asca.
Mais pour les autres ce n'est pas tout à fait aussi simple de faire du journalisme d'idées ?

« Les difficultés existent, mais je préfère ne pas voir le verre à moitié vide. Certes, l'information télévisée superficielle, l'obssession de la "chronique noire" dans les talk show ne me semble pas le meilleur. Je préfère le journalisme d'approfondissement ».

- Vous reviendrez à Cagliari le 7 septembre, avec Benoît XVI. C'est curieux qu'un pontife ainsi aussi parcimonieux de ses déplacements vienne en Sardaigne, où Paul VI et Jean Paul II sont déjà venus. Comment expliquez-vous ce choix ?

« Probablement avec la fascination exercée par la foi des sardes dans l'histoire, puisque les voyages du Pape ont été jusqu'ici limités à des endroits où ses prédécesseurs n'étaient pas venus, et Cagliari fait exception ».

- L'archevêque émérite Piergiuliano Tiddia a-t'il raison de demander davantage d'attention aux contenus de la visite papale plutôt qu'aux inévitables curiosités sur la nourriture et les cadeaux?

« Les contenus émergeront de toutes façons, et puis à table, Papa Ratzinger est plutôt sobre : il dîne avec de l'orangeade. Il aime les desserts, ça oui. Mais vous verrez, il saura vous surprendre dans ses interventions. Et il relancera les thèmes du Concile ».

© Copyright L'Unione Sarda, 25 mai 2008



Rencontre avec le Pape

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