Dossier Gouguenheim

Pétition dans "Libération"

http://www.liberation.fr/rebonds/323893.FR.php
Oui, l’Occident chrétien est redevable au monde islamique
Un collectif international de 56 chercheurs en histoire et philosophie du Moyen Age
mercredi 30 avril 2008
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Historiens et philosophes, nous avons lu avec stupéfaction l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim intitulé Aristote au Mont- Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne (Seuil) qui prétend démontrer que l’Europe chrétienne médiévale se serait approprié directement l’héritage grec au point de dire qu’elle «aurait suivi un cheminement identique même en l’absence de tout lien avec le monde islamique». L’ouvrage va ainsi à contre-courant de la recherche contemporaine, qui s’est efforcée de parler de translatio studiorum et de mettre en avant la diversité des traductions, des échanges, des pensées, des disciplines, des langues. S’appuyant sur de prétendues découvertes, connues depuis longtemps, ou fausses, l’auteur propose une relecture fallacieuse des liens entre l’Occident chrétien et le monde islamique, relayée par la grande presse mais aussi par certains sites Internet extrémistes. Dès la première page, Sylvain Gouguenheim affirme que son étude porte sur la période s’étalant du VIe au XIIe siècle, ce qui écarte celle, essentielle pour l’étude de son sujet, des XIIIe et XIVe siècles. Il est alors moins difficile de prétendre que l’histoire intellectuelle et scientifique de l’Occident chrétien ne doit rien au monde islamique !

Il serait fastidieux de relever les erreurs de contenu ou de méthode que l’apparence érudite du livre pourrait masquer : Jean de Salisbury n’a pas fait œuvre de commentateur ; ce n’est pas via les traductions syriaques que ce qu’on a appelé la Logica nova (une partie de l’Organon d’Aristote) a été reçue en Occident ; enfin, et surtout, rien ne permet de penser que le célèbre Jacques de Venise, traducteur et commentateur d’importance, comme chacun le sait et l’enseigne, ait jamais mis les pieds au Mont-Saint-Michel ! Quant à la méthode, Sylvain Gouguenheim confond la présence d’un manuscrit en un lieu donné avec sa lecture, sa diffusion, sa transmission, ses usages, son commentaire, ou extrapole la connaissance du grec au haut Moyen Age à partir de quelques exemples isolés. Tout cela conduit à un exposé de seconde main qui ignore toute recherche nouvelle - notons que le titre même de son livre est emprunté à un article de Coloman Viola… paru en 1967 ! Certains éléments du livre sont certes incontestables, mais ce qui est présenté comme une révolution historiographique relève d’une parfaite banalité.

On sait depuis longtemps que les chrétiens arabes, comme Hunayn Ibn Ishaq, jouèrent un rôle décisif dans les traductions du grec au IXe siècle. De plus, contrairement aux affirmations de l’auteur, le fameux Jacques de Venise figure aussi bien dans les manuels d’histoire culturelle, comme ceux de Jacques Verger ou de Jean-Philippe Genet, que dans ceux d’histoire de la philosophie, tel celui d’Alain de Libera, la Philosophie médiévale, où l’on lit : «L’Aristote gréco-latin est acquis en deux étapes. Il y a d’abord celui de la période tardo-antique et du haut Moyen Age, l’Aristote de Boèce, puis, au XIIe siècle, les nouvelles traductions gréco-latines de Jacques de Venise.» La rhétorique du livre s’appuie sur une série de raisonnements fallacieux. Des contradictions notamment : Charlemagne est crédité d’une correction des évangiles grecs, avant que l’auteur ne rappelle plus loin qu’il sait à peine lire ; la science moderne naît tantôt au XVIe siècle, tantôt au XIIIe siècle. Le procédé du «deux poids, deux mesures» est récurrent : il reproche à Avicenne et Averroès de n’avoir pas su le grec, mais pas à Abélard ou à Thomas d’Aquin, mentionne les réactions antiscientifiques et antiphilosophiques des musulmans, alors que pour les chrétiens, toute pensée serait issue d’une foi appuyée sur la raison inspirée par Anselme - les interdictions d’Aristote, voulues par les autorités ecclésiastiques, n’ont-elles pas existé aux débuts de l’Université à Paris ? La critique des sources est dissymétrique : les chroniqueurs occidentaux sont pris au pied de la lettre, tandis que les sources arabes sont l’objet d’une hypercritique. L’auteur enfin imagine des thèses qu’aucun chercheur sérieux n’a jamais soutenues (par exemple, «que les musulmans aient volontairement transmis ce savoir antique aux chrétiens est une pure vue de l’esprit»), qu’il lui est facile de réfuter pour faire valoir l’importance de sa «révision».

Au final, des pans entiers de recherches et des sources bien connues sont effacés, afin de permettre à l’auteur de déboucher sur des thèses qui relèvent de la pure idéologie.
Le christianisme serait le moteur de l’appropriation du savoir grec
, ce qui reposerait sur le fait que les Evangiles ont été écrits en grec - passant sous silence le rôle de la Rome païenne. L’Europe aurait ensuite réussi à récupérer le savoir grec «par ses propres moyens». Par cette formule, le monde byzantin et les arabes chrétiens sont annexés à l’Europe, trahissant le présupposé identitaire de l’ouvrage : pour l’auteur, l’Europe éternelle s’identifie à la chrétienté, le «nous» du livre, même quand ses représentants vivent à Bagdad ou Damas. La fin du livre oppose des «civilisations» définies par la religion et la langue et ne pouvant que s’exclure mutuellement. L’ouvrage débouche alors sur un racisme culturel qui affirme que «dans une langue sémitique, le sens jaillit de l’intérieur des mots, de leurs assonances et de leurs résonances, alors que dans une langue indo-européenne, il viendra d’abord de l’agencement de la phrase, de sa structure grammaticale. […] Par sa structure, la langue arabe se prête en effet magnifiquement à la poésie […] Les différences entre les deux systèmes linguistiques sont telles qu’elles défient presque toute traduction». On n’est alors plus surpris de découvrir que Sylvain Gouguenheim dit s’inspirer de la méthode de René Marchand (page 134), auteur, proche de l’extreme droite, de Mahomet : contre-enquête (L’Echiquier, 2006, cité dans la bibliographie) et de La France en danger d’Islam : entre Jihad et Reconquista (L’Âge d’Homme, 2002), qui figure en bonne place dans les remerciements. Il confirme ainsi que sa démarche n’a rien de scientifique : elle relève d’un projet idéologique aux connotations politiques inacceptables.

(voir sur le site la liste des pétitionnaires)



Le bloc-notes d'Ivan Rioufol, dans le Figaro

http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2008/04/la-faute-de-lhistorien.html

La "faute" de l'historien incorrect
Par Ivan Rioufol le 30 avril 2008 11h29

"Les racines de l'Europe sont autant musulmanes que chrétiennes", avait estimé Jacques Chirac en octobre 2003, au cours d'une conversation avec Philippe de Villiers, rapportée par ce dernier. Le président de la République se faisait l'interprête d'une "relecture" de l'histoire, entamée il y a quarante ans, visant à attribuer à l'islam, à ses intellectuels (Averroès, Avicennes, Algazel, etc) et aux "Lumières" andalouses un rôle prépondérant dans la transmission de la culture grecque à l'Occident, et singulièrement de la pensée d'Aristote. Cet argument avait permis de justifier l'opposition de Chirac à la demande de Jean-Paul II de voir " les racines chrétiennes de l'Europe" mentionnées dans le projet de préambule de la Constitution européenne, rejeté en 2005.

Or, pour avoir choisi de rééquilibrer cette historiographie moderne faisant des arabes musulmans les inspirateurs de l'âme européenne, l'historien Sylvain Gouguenheim est au centre d'une polémique qui dépasse l'analyse historique pour rejoindre des préoccupations politiques. Professeur d'histoire médiévale à l'Ecole normale supérieure de Lyon, l'auteur soutient (Aristote au Mont-Saint-Michel: les racines grecques de l'Europe chrétienne, Seuil) que les couvents du haut Moyen-âge et notamment les traducteurs du Mont-Saint-Michel surent garder les liens avec la Grèce et que ce furent les arabes chrétiens qui traduisirent les textes antiques.

Ce mercredi, dans Libération, un "Collectif international de 56 chercheurs en histoire et en philosophie du Moyen-âge" instruisent contre l'historien incorrect un authentique procès en sorcellerie. Ce dernier est accusé de proposer "une relecture fallacieuse des liens entre l'Occident chrétien et le monde islamique" et de tenir "une série de raisonnements fallacieux" au profit de "thèses qui relèvent de la pure idéologie", puisant dans un "présupposé identitaire", un "racisme culturel " et une inspiration "proche de l'extrême-droite". Bref, pour ces Fouquier-Tinville, la démarche de Gouguenheim "relève d'un projet idéologique aux connotations politiques inacceptables".

Je me garderai de trancher la querelle historique, s'il y en a une.
Reste que la violence de ces réactions montre une volonté d'imposer comme vérité établie une "relecture" favorable à l'islam, dont la contestation légitime est suspectée de racisme, d'extrémisme et d'islamophobie (le mot est employé, ailleurs, par l'un des initiateurs de la cabale).
En ce sens, cette affaire est révélatrice d'une intolérance qui s'installe, notamment dans certains milieux intellectuels, au profit d'une idéologie dont on serait prié de ne retenir que les bienfaits, y compris au prix de contorsions historiques. J'espère que Sylvain Gouguenheim trouvera ses défenseurs.



L'étrange lecture d'un blogueur

http://novovision.free.fr/?Affaire-Gougenheim-la-clameur-des
Affaire Gouguenheim : la clameur des blogs d’extrême droite

Le livre de l’historien Sylvain Gouguenheim est l’objet d’une intense polémique aujourd’hui, dont je ne voudrais retenir qu’un aspect : la place qu’y prennent les blogs d’extrême droite, dont l’expression, intense aujourd’hui sur ce sujet dans la blogosphère, en vient à étouffer toutes les autres. Surtout aux yeux des moteurs de recherche de blogs ! Ce qui m’interpelle quelque part et m’incite à porter un regard soupçonneux sur la prétention de ces moteurs à une forme de « neutralité »...
...
Le Monde (des livres) juge la thèse « courageuse » et le Figaro s’en réjouit lui-aussi. Mais la plupart des historiens spécialisés dans ce thème s’élèvent contre cette entreprise, qu’ils qualifient d’« idéologique » et de « non scientifique ».

Face à cet accueil favorable de la part des chroniqueurs de grands quotidiens nationaux, les réactions des intellectuels sont immédiates, ce qui est assez rare pour être souligné, insiste Blaise Dufal

Tribunes et pétitions de scientifiques se succèdent depuis dans la presse, du Monde, à Télérama et Libération... Et Pierre Assouline ironise sur son blog La République des livres.
« Le tribunal du Politburo islamogauchiste »
Mais pendant ce temps-là, la blogosphère d’extrême droite s’est saisie de la polémique, et sans chercher à entrer dans le débat scientifique posé par cet ouvrage, s’en sert comme d’un drapeau justifiant sa thèse d’un « choc des civilisations » entre l’Islam et l’Occident, et fait de Gouguenheim un martyr sommé « de comparaître devant le tribunal du Politburo islamogauchiste » (SIC) : « il faut sauver le soldat Gouguenheim ».

C’est cette clameur-là qui domine à l’heure qu’il est dans les blogs, selon l’image qu’en donnent, au moment où j’écris, des moteurs de recherche de blogs tels que Recherche de blogs Google et Wikio Blogs (je place les liens vers ces pages de recherches sur la requête « Sylvain Gougenheim », mais puisque ces pages sont dynamiques, elle auront changé au moment où vous les consulterez. C’est le principe même de ces moteurs.)

L’écrasante majorité des résultats proposés par ces moteurs renvoient sur leurs premières pages, à cette heure, vers la galaxie des blogs d’extrême droite qui instrumentalisent cette polémique scientifique à des fins idéologique, et les voix qui portent une autre vérité ne parviennent plus à se faire entendre, éparses et rejetées dans les deuxième et troisième pages des résultats de recherche.

Celui qui crie le plus fort dans la blogosphère
Je ne soupçonne pas la moindre opération occulte derrière cet état de fait : j’y vois seulement le fonctionnement « normal » des algorithmes de recherche de ces moteurs, qui se révèlent extrêmement faciles à manipuler.

Je constate seulement l’effet sur ces moteurs de l’action bien menée d’une communauté de blogeurs biens organisés, qui écrivent tous des billets en même temps sur le même sujet et se lient les uns aux autres par hypertexte. Il n’usent ici que de leur liberté d’expression, et comme ils le font de manière collective : ils occupent à un instant donné tout l’espace de la blogosphère, selon l’image qu’en donnent ces moteurs.

Ce qui me pose problème, c’est que quelqu’un qui souhaite, à cette heure, faire une recherche sur ces moteurs pour s’informer de ce que l’on dit de cette affaire, n’en obtiendra qu’une vision outrageusement orientée et partisane.

Neutralité ? Pertinence ? Fiabilité de l’information ? Ces moteurs de recherche de blogs ne relaient rien d’autre que la clameur de celui qui crie le plus fort à un moment donné ! Et quel impact tout cela a-t-il sur l’opinion que vont se forger sur ce sujet, les internautes qui l’auront abordé au moyens des outils d’internet qui fonctionnent de cette manière ?
On verra bien si ce billet parviendra à se faire entendre au milieu de cette clameur, ou s’il sera noyé lui aussi...



Un commentaire personnel:

Je ne veux pas parler (de la mauvaise foi) du contenu.
Mais... ce blogueur serait-il en train de découvrir que la terre n'est pas plate?
Le fonctionnement des moteurs de recherche reste un mystère, pour moi.
Sans doute le choix des meta-tags est-il déterminant ... mais pas seulement, je le soupçonne.
Mon propre site, dont je sais qu'il est honnête, et dont je pense sans fausse modestie qu'il est assez bien informé, et pas plus nul que d'autres sur le sujet qui est le sien, apparaît très loin de la première page lorsqu'on tente une recherche - voire pas du tout.
"Ces moteurs de recherche de blogs ne relaient rien d’autre que la clameur de celui qui crie le plus fort à un moment donné !".
Eh oui! La plupart du temps, ça fonctionne dans l'autre sens, et les mêmes qui crient ici à la "vision outrageusement orientée et partisane" sont loin de s'en plaindre. Puisqu'ils en sont les bénéficiaires presque exclusifs.



<<< Le Moyen-Age ne fut pas musulman



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