JMJ: la force de l'Esprit

Quelques réflexions, à la fin des JMJ (20/7/2008)


Il a été au bout du monde, a puisé dans toutes ses ressources physiques et spirituelles, il a parcouru dix fuseaux horaires, et demain (lundi 21 juillet), il aura subi deux fois vingt heures de vol. Il aura prononcé onze discours dans une langue qui n'est pas la sienne, rencontré une foule de gens, des dizaines de milliers de jeunes venus des quatre coins du monde, des autorités civiles, des représentants des autres religions, des prêtres et des religieux. En quatre jours, il n'a pas dû avoir un moment à lui.
Même ceux qui ne l'aiment pas particulièrement devraient reconnaître que ce n'est pas rien, et laisser à son "exploit" la place qu'il mérite.
Eh bien non!
Une fois de plus les medias se sont surpassés.

Sans liaison permanente avec internet, (*) , j'ai seulement pu récupérer en hâte les discours et homélies sur le site du Vatican (voir ici: la voix du pape - discours à Barangaroo); j'ai par contre suivi les JMJ grâce au satellite sur la chaîne Telepace, avec le commentaire léger et sobre d'un prêtre italien. Un exemple, très éloigné de la papolâtrie, mais dont nos medias, même catholiques, devraient s'inspirer. Autant dire que ce que j'ai vu n'avait qu'un très lointain rapport avec ce qu'ils en ont rapporté.

Jeudi, la radio publique France Infos fait un reportage pour présenter les JMJ comme une sorte de rave-party planétaire, avec sexe à volonté.

Vendredi, j'achète Le Figaro, qui présente en première page une belle photo d'un pape juvénile avec les cheveux libres et la mozette rouge soulevée par le vent de la baie de Sidney, sous ce titre surréaliste "Le Pape appelle à sauver la planète"! Le mot "planète" ne fait évidemment pas partie de son vocabulaire. Et surtout, il appelle aussi, bien sûr, à respecter la vie de sa conception à sa fin naturelle, mais de cela, on ne parle pas. Serait-ce tabou?

Enfin, ce dimanche matin, j'écoute Europe 1, pour entendre les quatre belles journées liquidées en trois phrases lapidaires: "Les JMJ se sont achevées sur une messe célébrée par le Pape Benoît XVI devant 300.000 personnes alors que 500.000 étaient attendues. Ces JMJ ont été marquées par la demande de pardon sans précédent par Benoît XVI, pour les abus sexuels commis par des prêtres. Jamais un Pape n'était allé aussi loin".
Suivait un commentaire de l'inénarrable Marco Politi (voir Un vol de 20 heures, c'est trop long! ), de La Rebubblica, Odon Vallet et consorts n'ayant sans doute pas jugé utile de décrocher leur téléphone.
La même station développait par ailleurs longuement l'histoire d'un homard géant que les clients d'une poissonnerie québécoise avaient sauvé de la casserole et de la sauce armoricaine: le chanceux crustacé a donc ainsi succédé aux écureuils gris présentés comme alternative aux JMJ de Cologne!

Ce serait de peu d'importance si le message n'était pas le seul auquel le "grand public" aura accès et comme tel destiné à façonner "l'opinion" (si univoque qu'on ne juge plus utile de mettre le nom au pluriel), juste avant la venue du Pape en France, effaçant la richesse du vrai message, que résumait la phrase choisie comme thème de ces rencontres: "Vous recevrez la force de l'Esprit qui descendra sur vous, et vous me serez témoins" (thème développé dans l'homélie finale)..

Pour savoir ce qui s'est réellement passé à Sidney, et surtout ce que le Pape a dit, mieux vaut se rendre sur le site du Vatican .
Les discours sont là, déjà tous en français, une telle célérité n'est pas habituelle, elle mérite notre admiration... et notre gratitude.

J'ai particulièrement aimé ce passage d'un discours prononcé dans des circonstances peu médiatisées:
Comme il le fait souvent, il s'est rendu dans un centre de réadaptation pour jeunes "en difficulté", comme on dit aujourd'hui (http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2008... ). Il l'a déjà fait en Italie, et au Brésil.
Et voilà ce qu'il leur a dit. Ces propos auraient mérité de faire la une des journaux, sous le titre, par exemple "Vivre la vraie vie", au moins autant que les deux paragraphes consacrés à la création (et non à l'environnement) dans deux de ses discours.


Le Saint-Père aux jeunes de Darlinghurst

[..] que veut dire véritablement être « vivant », vivre pleinement la vie ? C’est ce que nous voulons tous, spécialement lorsque l’on est jeune, et c’est ce que le Christ veut pour nous. En effet, il a dit : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10,10). L’instinct le plus profond chez tout être vivant est celui de rester en vie, de grandir, de se développer et de transmettre à d’autres le don de la vie. Il en résulte qu’il est bien naturel de s’interroger sur la meilleure façon de vivre tout cela.

Pour le peuple de l’Ancien Testament, cette question était tout aussi pressante que pour nous aujourd’hui. Sans aucun doute, il écoutait avec attention quand Moïse lui disait : « Je te propose de choisir entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c’est là que se trouve la vie » (Dt 30,19-20). Ce qu’ils avaient à faire était clair : ils devaient se détourner des autres dieux et adorer le vrai Dieu qui s’était révélé à Moïse et ils devaient obéir à ses commandements. Vous pourriez penser qu’il est peu probable que, dans le monde d’aujourd’hui, les gens adorent d’autres dieux. Mais il arrive que les gens adorent « d’autres dieux » sans s’en rendre compte. Les faux « dieux », quels que soient le nom, l’image ou la forme que nous leur attribuions, sont presque toujours liés à l’adoration de trois réalités : les biens matériels, l’amour possessif, le pouvoir. Laissez-moi vous expliquer ce que je veux dire.

Les biens matériels, en soi, sont des choses bonnes. Nous ne survivrions pas longtemps sans argent, sans vêtements et sans logement. Pour vivre, nous avons besoin de nourriture. Mais, si nous sommes avides, si nous refusons de partager ce que nous avons avec l’affamé et avec le pauvre, alors nous transformons ces biens en une fausse divinité. Combien de voix, dans notre société matérialiste, nous disent que le bonheur se trouve en s’appropriant le plus grand nombre possible de biens et d’objets de luxe ! Mais cela signifie transformer les biens en fausses divinités. Au lieu de donner la vie, ils donnent la mort.

L’amour authentique est certainement quelque chose de bon. Sans lui, la vie serait difficilement digne d’être vécue. L’amour réalise notre aspiration la plus profonde ; et quand nous aimons, nous devenons plus pleinement nous-mêmes, nous devenons plus pleinement humains. Mais comme il est facile de transformer l’amour en une fausse divinité ! Souvent, les gens pensent aimer alors qu’en réalité, ils tendent à posséder l’autre ou à le manipuler. Parfois, les gens traitent les autres comme des objets pour satisfaire leurs propres besoins plutôt que comme des personnes à apprécier et à aimer. Comme il est facile d’être trompés par les nombreuses voix qui, dans notre société, défendent une approche permissive de la sexualité, sans prêter attention à la pudeur, au respect de soi et aux valeurs morales qui confèrent aux relations humaines leurs qualités ! C’est là adorer une fausse divinité. Au lieu de donner la vie, elle donne la mort.

Le pouvoir que Dieu nous a donné de façonner le monde autour de nous est certainement quelque chose de bon. Utilisé d’une façon appropriée et responsable, il nous permet de transformer la vie des gens. Toutes les communautés ont besoin de bons dirigeants. Mais combien est forte la tentation de s’attacher au pouvoir pour lui-même, de chercher à dominer les autres ou d’exploiter le milieu naturel pour ses propres intérêts égoïstes ! C’est là transformer le pouvoir en une fausse divinité. Au lieu de donner la vie, cela donne la mort.

Le culte des biens matériels, le culte de l’amour possessif et le culte du pouvoir conduisent souvent les gens à « se comporter comme Dieu » : chercher à assumer un contrôle total, sans prêter aucune attention à la sagesse et aux commandements que Dieu nous a faits connaître. C’est là la route qui conduit à la mort. Au contraire, l’adoration de l’unique et vrai Dieu signifie reconnaître en lui la source de tout ce qui est bien, nous confier à lui, nous ouvrir à la force de guérison de sa grâce et obéir à ses commandements : là est la route de la vie.


Trois mots encore, pour conclure.

D'abord, sur l'allure par instants vraiment juvénile d'un homme dont les journalistes ne perdent pas une occasion de rappeler l'âge. Lors de la cérémonie d'accueil, en le voyant sur le pont du bateau qui l'emmenait à travers les eaux bleues de la baie de Sidney juste avant d'accoster, tête nue sur le pont à côté des jeunes, souriant et bavardant avec spontanéité et gentillesse, on aurait presque pu penser qu'il était d'entre eux. Il ne mettait aucune distance, et cela coulait de source, pour lui.
Jeanne Smits, dans Présent, évoque « l’arrivée véritablement triomphale sur les eaux de la baie de Barangaroo d’un Pape aux manières discrètes, au sourire tendre, presque timide, à l’allure si bienveillante....
D’ailleurs, comment aurions-nous accueilli le Christ lui-même, si nous avions été parmi la foule qui se pressait pour l’écouter au bord des lacs de Galilée… Toutes proportions gardées, il faut voir dans l’accueil de son Vicaire – et quel accueil ! – le signe que les chimères du monde et de ses puissants n’ont pas la force de cet homme déjà âgé, presque fragile, parce qu’il est en lui-même un appel à centrer toute vie sur "le beau, le bien, le vrai ". Qui étaient au centre de son premier contact avec les jeunes
».

Ensuite, regardant la veillée avec les jeunes et la messe de clôture, je suis frappée par la gravité, et même l'extrême recueillement de la foule juvénile, en contraste évident avec ce qui s'était passé à Cologne. Doit-on y voir la volonté formelle de Benoît XVI, ou la marque du nouveau maître des cérémonies pontificales, Mgr Guido Marini? Lors de la veillée, en particulier, le moment de l'adoration eucharistique, dans un silence quasi minéral, malgré la foule immense que l'animation (discutable) avait chauffée à blanc avec concert de rock et de rap avant l'arrivée du Pape, était à cet égard très emblématique. On était très loin de la mega-teuf imaginée par les médias, et peut-être voulue par les organisateurs.

Enfin, à l'issue de la messe de clôture, après la prière de l'Angelus, le Saint-Père, très détendu et souriant, nous a fait une sorte de clin d'oeil.
Répondant indirectement aux méchantes rumeurs journalistiques (voir Le pape en Australie, et les medias et Le Pape en Australie et les medias (suite) ) qui avaient grossièrement présenté ce voyage comme "un test pour sa résistance", puis avaient prétendu qu'il était arrivé à Sidney "épuisé" par les vingt heures de vol, il a dit à peu près, non sans malice: "je vous dis adieu, ou plutôt au revoir, et j'espère vous voir dans trois ans à Madrid".
Je suis convaincue qu'il y avait une intention de sa part: il s'agit là d'une formulation inhabituelle, car d'ordinaire, il accompagne l'annonce de ses prochains rendez-vous d'un "si Dieu le veut" peut-être purement formel, mais pas moins fataliste.

20 juillet 2007


(*)

J'ai une clé USB qui, lorsque je suis en déplacement, me permet de me connecter sans ligne téléphonique: pour ceux que cela intéresse, la formule s'appelle "Internet Everywhere" (je ne fais pas de pub au fournisseur...), et fonctionne selon le même principe que les coupons de rechargement sans abonnement du téléphone portable; c'est techniquement brillant, très pratique, mais malheureusement très cher.


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