Michel-Ange, artiste "théologien"?


Ci contre: Vasari, Portrait de Michel-Ange 1542-1546


Admiratif du génie de Michel-Ange, Giorgio Vasari, artiste et célèbre historien de l'art, a réalisé le portrait de ce dernier sur la fresque commandée par le cardinal Alexandre Farnèse pour la Salle des Cent Jours du palais de la Chancellerie à Rome.

L'article traduit ici s'appuie sur ses travaux.


Voici une étonnante analyse d'un prélat américain vivant à Florence, spécialiste d'art religieux, Timothy Verdon (voir sur lui le blog de Sandro Magister: http://chiesa.espresso.repubblica.it/).

Michel-Ange continue de fasciner, mais les échos que les media nous apportent le plus souvent sur sa personnalité sont des allusions ambigües à sa prétendue homosexualité, devinée à travers ses sonnets, et des insinuations salaces sur les nus de la Chapelle Sixtine -entre autres- qui auraient été propres, dans un tel environnement, à choquer les bigots de l'époque.
Notre époque à nous a les fantasmes qu'elle peut s'offrir, et les obssessions qu'elle cultive.


Cette "lecture à caractère religieux" de l'art du Maître, à partir de la "religiosité" qui a baigné sa formation -car elle était aussi celle de son temps, et surtout de la Florence du Quattrocento- et qui a imprégné toute son oeuvre, comme expression d'une "foi vécue et soufferte", est d'autant plus nécessaire.


Timothy Verdon affirme "que l'artiste a été un grand innovateur, pas seulement dans les formes qu'il a inventées mais aussi dans les contenus : c'est-à-dire qu'il a été l'inventeur original et influent de lignes d'interprétation théologiques destinées à durer dans la vie de l'Église "
Et il se demande si on ne peut pas "considérer Michel-Ange comme vraiment "théologien", c'est-à-dire quelqu'un capable de dire une parole (lògos) nouvelle sur Dieu (Theòs)? "


Article original dans l'Osservatore Romano du 6 février, reproduit sur le blog de Rafaella:
Nei capolavori di Michelangelo una fede vissuta e sofferta
Muscoli al servizio della teologia
Ma traduction.
J'ai rajouté, comme d'habitude, quelques sous-titres pour rythmer le texte, et donc en faciliter la lecture.


Dans les chefs d'oeuvre de Michel-Ange une foi vécue et soufferte.
Les muscles au service de la théologie.
de Timothy Verdon

L'intense relation de Michel-Ange Buonarroti avec le Christ Seigneur est témoignée non seulement dans les oeuvres célèbres de sculpture et de peinture mais aussi dans les poésies et dans les lettres du maître.


Une intense relation avec le Christ
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C'est une relation qui embrasse la vie entière de l'artiste: ayant grandi dans la Florence de Marsilio Ficino (* Ficin (1433-1499), philosophe platonicien, humaniste et théologien italien de la Renaissance, célèbre pour ses commentaires de Platon. Ficin fut une grande figure de la Renaissance qui exerça une influence considérable dans tous les domaines de la culture*) et de Savonarole, depuis l'adolescence, Michel-Ange avait connu l'attrait du nouvel humanisme chrétien autant que l'appel de la tradition pénitentielle populaire.
À la cour de Jules II, par la suite, il respira l'atmosphère d'une expression hardie du sens chrétien de l'histoire, puis, au service de Paul III, il fut au contact avec des prélats et des théologiens engagés dans la première phase de la réforme catholique, contribuant lui-même à quelques-unes des plus puissantes expressions de la nouvelle spiritualité catholique.
Dans sa vieillesse, finalement, alors qu'il redéfinissait l'organisation du temple-symbole du pouvoir de l'Église, Saint-Pierre, il ébaucha une vision déchirante de fragilité personnelle dans ses deux dernières sculptures, des Pietà qui se trouvent à présent respectivement à Florence et à Milan, l'une et autre destinées à sa tombe.

Une lecture à caractère religieux de l'art de Michel-Ange
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Est-il possible cependant, à partir de cette lecture à caractère religieux de l'art de Michel-Ange de passer à l'affirmation que l'artiste a été un grand innovateur, pas seulement dans les formes qu'il a inventées mais aussi dans les contenus : c'est-à-dire qu'il a été l'inventeur original et influent de lignes d'interprétation théologiques destinées à durer dans la vie de l'Église ?
Il est vrai que, dans l'histoire de l'Occident, aucun artiste n'a peut-être influé autant que Michel-Ange sur le sens du sacré, ses oeuvres sur des thèmes bibliques ou de dévotion continuent cinq siècles après à toucher les croyants et non-croyants, en investissant les thèmes de l'imagerie judeo-chrétienne d'intensité dramatique et de force vitale.
Le David et le Moïse, les personnages de la voûte de la Sixtine et du Jugement dernier, les représentations de Marie et les Pietà ont modelé une nouvelle façon de concevoir aussi bien Dieu que l'homme, loin des conventions spirituelles de l'art byzantin mais aussi du naturalisme de la fin du moyen âge européen et de la première renaissance italienne.
Ce sont des chef-d'oeuvre qui, outre leur charme formel, communiquent leur message avec efficacité de sorte que le spectateur se trouve impliqué dans une expérience religieuse authentique et originale, fruit d'une foi méditée, vécue et soufferte.
Dans quelle mesure cependant peut-on considérer Michel-Ange comme vraiment "théologien", c'est-à-dire quelqu'un capable de dire une parole (lògos) nouvelle sur Dieu (Theòs)?

Artiste et théologien?
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En réfléchissant il y a quelques années, à l'invitation des éditeurs d'un livre que j'écrivais alors, à la possibilité d'élaborer cette thèse, je conclus que le qualificatif de "théologien" appliqué à un artiste de la renaissance n'était pas si paradoxal que cela.
Dans la vie ecclésiastique de l'époque, parmi les catégories de personnes professionnellement impliquées dans la réflexion théologique, les peintres et les sculpteurs venaient tout de suite après les prêtres et les religieux, et ils avaient avec ceux-ci un rapport privilégié.

Les années de formation
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Dans le cas de Michel-Ange, nous savons que sa première formation eut en effet pour cadre l'atelier d'un maître illustre, Domenico Ghirlandaio, occupé alors à la réalisation d'un programme de peintures pour le presbytère de l'église du principal couvent dominicain de Florence, Sainte-Marie Nouvelle.
De Ghirlandaio lui-même, déjà expert dans l'illustration de sujets iconographiques traditionnels, ainsi que des Pères de la communauté, spirituellement et intellectuellement formés dans la tradition patristique et scolaire, les apprentis et les jeunes collaborateurs ne recevaient-ils aucune explication du sens de ce qu'ils devaient exécuter? Ne discutaient-ils pas entre eux sur la meilleure façon d'assumer le devoir qui leur était confiés? Et ne leur arrivait-il pas de se pousser l'un l'autre à offrir des lectures nouvelles de sujets connus, ne serait-ce que pour mettre en lumière leur habileté? Et l'habileté, et la réputation professionnelle ne se mesuraient-elles pas elles-mêmes sur la base de la capacité de l'artiste à interpréter de manière originale les grands thèmes religieux, mythologiques et historiques?
Presque chaque page de la biographie de Vasari (ndt: cf ci-dessus) invite à donner une réponse positive à ces questions, en supposant que oui, les jeunes artistes étaient formés en ce sens par leurs maîtres et les responsables des églises ; que oui, ils échangeaient des idées entre eux ; que oui, ils tentaient de temps en temps de nouvelles lectures ; et que oui, ils étaient jugés par leurs contemporains eux-mêmes sur la base de leur originalité "exégétique".

Une foi personnelle intense
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Dans le cas de Michel-Ange, outre ce contexte général, il y a d'autres facteurs: sa situation familiale, par exemple, avec un frère aîné qui, devenu moine dominicain, l'avait obligé à assumer les graves responsabilités morales de l'aîné; ensuite la nature intellectuelle de l'artiste lui-même, qui dans le langage des lettres et des poésies se révèle à son aise avec beaucoup de lieux communs de la pensée théologique; et finalement la foi personnelle, si intense dans son âge mûr que nous devons obligatoirement en supposer de vigoureuses racines juvéniles.
La sienne en outre était presque certainement une foi nourrie de la connaissance de l'Écriture : les études de Rab Hatfield confirment la dépendance directe de nombreuses scènes de la voûte sixtine des xylographies de la Bible illustrée publiée par Niccolò Malerbi à Venise dans plusieurs éditions à partir de 1490 (quatre ans avant le bref séjour du jeune Buonarroti dans la ville lagunaire). Hatfield suppose que Michel-Ange était propriétaire d'un exemplaire de cette oeuvre, et qu'en plus de s'en servir comme source iconographique il en connaissait bien aussi le texte, qui était en italien, et non en latin.


La Madonna delle Scale


Etude d'une première oeuvre significative: la Madone de l'Escalier
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Surtout, il y avait le sentiment d'insertion dans la tradition de l'art monumental florentin, qui était aussi une tradition interprétative d'un raffinement particulier, et la "vocation" à perfectionner cette tradition, jusque dans ses aspects interprétatifs.
Si nous regardons, par exemple, la première oeuvre de Michel-Ange parvenue jusquà nous, la Madone de l'escalier, que l'on peut dater approximativement de 1491, nous restons frappés par la manière avec laquelle l'artiste de seize ans a voulu prendre place dans l'"équipe d'art" de sa ville.
"Boursier" dans l'Académie instituée par Laurent de Médicis et confiée à la direction du dernier assistant de Donatello, Bertoldo de Giovanni, Michel-Ange ne se contente pas d'essayer la difficile technique donatellianne du relief "stiacciato" (écrasé, aplati), mais il choisit une typologie mariale à des années-lumière de l'élégance cultivée par la génération immédiatement précédente (par Botticelli, par exemple), ramenant la réaffirmation du passé bien avant Donatello, pour toucher aux sources des XIIIe et XIVe siècles de la tradition figurative florentine.
Les proportions massives de sa Madone ainsi que son regard méditatif, en effet, évoquent les formes et l'esprit de la Madone aux yeux de verre d'Arnolfo di Cambio - à l'époque, encore à sa place au-dessus de l'entrée principale du Dôme - et d'autres oeuvres inspirées d'elles, comme la majesté de l'église de Tous les Saints ; des images archaïques et solennelles, en fait, qui présentaient Marie non seulement ou en premier lieu comme femme humaine et mère, mais comme reine, femme apocalyptique, figure de l'Église "Sponsa Christi" (épouse du Christ) et "Mater christianorum" (Mère de la chrétienté).
Le positionnement de cette femme au pied d'une escalier sur lequel nous voyons des enfants (des "anges") suggère en outre une conscience articulée du 'topos' marial de l'échelle du paradis - la disponibilité spirituelle et physique de Marie qui permet au Divin de descendre dans l'humain et à l'humain de monter vers le Divin -.
En outre, son positionnement sur un grand bloc équarri et poli fait allusion au mystère d'une liberté forcément basée sur Celui qui est pierre angulaire de toute construction, le Christ, unique fondation de l'Église.
Autrement dit, Michel-Ange, présente Marie en termes mystiques et ecclésiaux (dérivant de Dante) comme "fille de son propre Fils", lequel - vu pendant qu'il se nourrit à son sein - possède la force héroïque de celui qui non seulement reçoit mais donne la vie.
La musculosité de l'Enfant, dans la Madone de l'escalier, comme les formes junonesques de la mère, suggèrent une autre réflexion.

Laurent le Magnifique, et la tradition toscane
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Michel-Ange sculpta ce relief alors qu'il était élève de l'Académie instituée par Laurent de Médicis, où il était arrivé à la suite d'un épisode significatif.
Vasari dit que le Magnifique, " déplorant (...) qu'en son temps il ne se trouvât pas de sculpteurs illustres et prestigieux, alors qu'on trouvait des peintres de très grand talent et renommée, délibéra (...) de faire une école ; et pour cela, il demanda à Domenico Ghirlandaio que, si dans son atelier, il avait quelque jeune qui y eût de l'inclination , il l'envoyât au jardin afin de l'exercer à créer d'une manière qui l'honorerait lui et sa ville "(Vie de Domenico Ghirlandaio).
Le "jardin" où Lorenzo de Medicis recevait les jeunes était près du couvent de Saint Marc, c'était là que les Medicis gardaient leur collection de sculptures antiques, avec Bertoldo de Giovanni comme "curateur".
L'intention de l'invitation, qui amena Michel-Ange en même temps qu'un autre "jeune" de l'atelier de Ghirlandaio, Francesco Granacci, au jardin des Medicis, était par conséquent celle de former une future génération de sculpteurs sous la direction d'un disciple du plus grand sculpteur du XVe siècle, Donatello, à travers le contact direct avec une des sources principales de l'art donatellien, la sculpture gréco-romaine.
Le tout dans le but de combler la lacune créée après la mort de Donatello, le manque de grands maîtres de la sculpture du marbre à Florence.
Ainsi le sens d'un appel à perfectionner la tradition toscane en la ramenant à ses racines antiques, dont parle Vasari dans la "Vie de Michel-Ange", naît précisément dans le cadre du programme culturel de Laurent de Medicis pour sa ville, et les rappels donatelliens et antiques de la Madone de l'escalier correspondent aux attentes du généreux mécène.
Et l'héroïcité de l'Enfant au sein de Marie, dans le relief, est peut-être une évocation de l'antique, mais dans une clé d'interprétation "alimentaire", qui invite l'hypothèse d'une identification personnelle et nationale : la toute nouvelle re-connaissance de l'Antiquité nourrie au sein maternel de la tradition florentine.


La bataille des Centaures


Tradition classique, mythologie et théologie
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En tout cas le musculeux Enfant confirme que, dès les premières expériences, Michel-Ange a associé son idée de la sculpture et donc de sa "vocation" individuelle, avec le corps classiquement nu, fort et beau.
Le corps est en effet le sujet visuel de la seconde oeuvre survivante du jeune sculpteur, La Bataille des Centaures sculptée peu après l'achèvement de la Madone de l'escalier, où l'artiste adolescent, en développant la recherche anatomique des maîtres de la génération précédente comme Antonio Pollaiuolo, se distingue pour sa stupéfiante facilité dans la représentation du corps en mouvement, ainsi que pour la robuste maturité typologique: non plus les élégants jouvenceaux de Botticelli, ni même ceux, nerveux, de Pollaiuolo, mais des hommes dans la fleur de leur développement musculaire adulte qui, en se mouvant comme dans un rêve de bataille, montrent à tous la force de leur beauté masculine.

J'inclus ce sujet tiré de la mythologie grecque parmi les oeuvres de l'"artiste théologien" pour des motifs évidents.
L'orientation de sa vocation qu'un jeune sculpteur pouvait élaborer dans les annés quatre-vingt-dix du Quattrocento florentin, et dans le cercle laurentien, incluait nécessairement des connaissances du corps comme sujet dérivant de l'étude de l'art antique et, en même temps, des connaissances mythologiques ; c'est-à-dire qu'au-delà de la forme, il incluait le contenu de l'art gréco-romain. De telles connaissances de type classique n'étaient cependant pas brisées par la matrice chrétienne dominante de l'époque mais, au contraire, mises à son service : ainsi nous avons vu le pouvoir du Fils nouveau-né de Dieu dans le corps classiquement musculeux que Michel-Ange lui attribue dans la Madone de l'escalier, et ici, dans la Bataille des centaures, nous voyons probablement une moralisation chrétienne de l'évènement mythologique.
Condivi rappelle, en effet, comment l'humaniste Angelo Poliziano, membre illustre du cercle laurentien où il remplissait les fonctions de précepteur des fils du Magnifique, afin d'aider le jeune Michel-Ange, lui expliquait le sens des sujets classiques comme l'enlèvement de Déjanire et la bataille des Centaures - "explications", qui (à la manière des humanistes du Quattrocento) devaient présenter le récit païen à la lumière de la morale judeo-chrétienne -.
Ainsi la défaite des centaures, encore bestiaux dans leur corps et dans leur comportement, venant d'êtres humains assistés par un dieu (Apollon) était probablement interprétée en termes d'une graduelle évolution vers la plénitude de cette humanité qui - tout le monde le savait, il n'était même pas nécessaire de le dire - serait totalement assumée par le Fils de Dieu.
Quelle que soit la teneur des explications de Poliziano, le fait est que - déjà dans l'adolescence de Buonarroti - la sculpture antique, le corps humain, les mythes gréco-romains et la tradition de la foi et de l'art chrétien ont conflué en un unique sens de la vocation ou de la mission du jeune homme, formant, avant même que Michel-Ange eût dix-sept ans, la vision culturelle personnelle avec laquelle il devait vivre par la suite.
C'est précisément de cette confluence paradoxale et dynamique que devaient dépendre quelques-unes de ses inventions les plus révolutionnaire- des oeuvres comme le
Tondo Doni (ndt: La Sainte famille) et la voûte de la Sixtine, qui - en associant le païen au chrétien - suggèrent l'unicité de l'histoire du salut et l'activité dans chaque peuple et culture de l'unique Esprit de Dieu.

"Dieu voulut lui donner Florence pour patrie"
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Je souligne les débuts florentins de Michel-Ange parce que je suis convaincu de l'importance dans la formation spirituelle de l'artiste, de sa ville natale avec sa tradition particulière d'art sacré.
Nous devons en effet comprendre l'affirmation de Vasari, selon laquelle Dieu "voulut lui donner Florence, digne parmi toutes les autres villes, pour patrie", non seulement ou principalement comme une référence à l'âge d'or laurentien où Buonarroti nacquit et grandit, mais comme revendication de tout le glorieux héritage culturel que Florence avait élaboré dès l'ère de Giotto. Vasari le dit clairement : "Il voulut lui donner Florence, très digne entre les autres villes, pour patrie 'per colmare al fine la perfezione in lei meritamente di tutte le virtù, per mezzo d'un suo cittadino' (afin de porter à son comble, en elle, de façon méritée, la perfection de toutes les vertus, par le moyen de l'un de ses citoyens)". Autrement dit, selon son premier biographe,la "mission" confiée par Dieu à Michel-Ange se concrétisait dans le perfectionnement de la tradition artistique florentine séculaire, considérée non seulement dans le raffinement de sa phase du Quattrocento tardif, mais aussi et surtout dans l'extraordinaire énergie des vrais inventeurs de la Renaissance, de Giotto à Donatello.
Nous pouvons prendre comme monument-symbole de cette tradition - et donc de la "mission" et de la "vocation" que Vasari attribue à Michel-Ange - l'énorme cathédrale de Florence, Santa Maria del Fiore, commencée par Arnolfo di Cambio à l'époque de Giotto (qui sera appelé à en construire le campanile) et achevée par Filippo Brunelleschi à l'époque de Donatello (à son tour appelé à enrichir dôme et le clocher d'importantes statues). Nous pouvons prendre la cathédrale comme symbole, dis-je, car, encore à l'époque de Michel-Ange, elle constituait le lieu idéal d'insertion dans la tradition : le lieu où chaque jeune artiste florentin espérait être appelé à travailler, et où Michel-Ange fut en effet appelé après la première, et encore expérimentale période à Rome.
Son David fut commandé pour la cathédrale (même si, pendant que Michel-Ange le sculptait, la destination fut changée), de même que le puissant Saint-Matthieu.

Du mécenat à un art porteur d' "un langage universel"

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Ce que je tiens à souligner ici est le rapport entre la conception de l'art que Michel-Ange avait cultivée, et qui fut une partie intégrante de sa conception de lui-même, et l'ancien concept d'un art sacré public au service de la collectivité, que chaque cathédrale médiévale incarne.
Bien qu'ayant grandi dans le contexte "privatistique" du mécénat de la haute bourgeoisie de la fin du Quattrocento, d'instinct Michel-Ange préférait des grandes commandes publiques parce que sa conception de l'art impliquait la communication des grandes valeurs de la collectivité; de plus, son idée de l'art sacré, loin de la sensibilité "piétistique" de ses contemporains, le porta vers un langage universel destiné à révolutionner non seulement l'art mais aussi la foi européenne dans les siècles suivants.
Mais ce fut l'identification personnelle avec les objectifs historiques de l'art de sa ville qui poussa Michel-Ange dans cette direction. Sans les héroïques figures de prophètes et d'évangélistes du clocher et du dôme florentins, l'intensité morale des personnages de la voûte de la Sixtine et du tombeau de Jules II serait inconcevable ; et sans l'ambition juvénile de l'artiste de parler à toute une ville, la capacité mûrie chez Buonarroti de communiquer à l'Église et au monde des éléments fondamentaux de l'identité millénaire de l'occident serait inimaginable.

(©L'Osservatore Romano - 6 février 2008)


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