Adorer le veau d'or ou regarder vers les étoiles

A propos d'un article de Denis Tillinac, dont l'analyse rejoint celles du Saint-Père.
L'encyclique sociale différée? (19/11/2008)



Il y a un peu plus d'un mois, lors de la messe d'ouverture du Synode des évêques, alors que nous étions en pleine bourrasque financière, le Saint-Père a évoqué la crise, dans une homélie dont Sandro Magister nous dit qu'il l'avait entièrement improvisée: Un modèle pour les homélies :


L'adoration du Veau d'Or Nicolas Poussin

A la fin du Sermon sur la Montagne, le Seigneur nous parle des deux possibilités de bâtir la maison de sa vie: sur le sable et sur la roche. Sur le sable ne bâtit que celui qui bâtit sur les choses visibles, tangibles, sur le succès, sur la carrière, sur l'argent. Telles sont apparemment les vraies réalités. Mais tout cela, un jour, disparaîtra. Nous le voyons aujourd'hui dans la faillite des grandes banques: cet argent disparaît, il n'est rien. Aussi toutes ces choses, qui semblent être la véritable réalité sur laquelle compter, ne sont qu'une réalité de deuxième ordre. Celui qui bâtit sa vie sur ces réalités, sur la matière, sur le succès, sur tout ce qui apparaît, bâtit sur du sable.
Seule la Parole de Dieu est le fondement de toute la réalité, elle est aussi stable que le ciel, plus stable que le ciel, elle est la réalité.


A vrai dire, ce passage-allusion était une toute petite partie de ce qu'il a dit, mais comme d'habitude, c'est ce que les medias ont retenu.
A ce moment, j'écrivais (pardon de me citer: Le Pape s'exprime sur la crise financière ):
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En fait, on ne parle même plus d'argent, mais de
fric, et le poison a insidieusement pénétré dans le coeur et le cerveau de l'homme d'aujourd'hui.
Pendant que RAI Uno fait lire la Bible aux gens (ce qui ne l'empêche pas, hélas, de faire le reste), nos medias récitent pieusement les cours de la bourse (ce n'est pas une métaphore!). C'est une dérive récente, sous cette forme exaspérée.
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J'ajoute aujourd'hui que ce n'était pas uniquement conjoncturel: c'est TOUT LE TEMPS, et cela va en empirant.
Je m'autorise aussi une petite parenthèse: c'est tellement caricatural que les faiseurs d'opinion en ont sans doute pris conscience, nous proposant, pour adoucir le tableau, de vénérer parallélement à l'argent, l'Abbé Pierre et Soeur Emmannuelle, censés avoir consacré leur vie aux pauvres! (il faut dire aussi que c'est pour nous demander notre argent, nous en revenons toujours là; et puis ces nouvelles idoles sont liées au catholicisme - ce qui endort la méfiance et conforte la fiction de la tolérance religieuse - tout en en incarnant une version plus soft, moins contraignante au plan des moeurs)...

Il me semble que ce beau texte de Denis Tillinac, un "libre propos" paru dans Famille Chrétienne du 1er novembre (et reproduit sur le site la faute a rousseau) , en plus d'attirer notre attention sur le fait que les fabriquants d'information nous ont une fois de plus proposé, comme alternative à la réflexion, un leurre en forme de slogan (c'est la faute au libéralisme) ne dit pas autre chose, mais bien mieux que moi:
Regardez vers les étoiles


Du côté des étoiles.

(Denis Tillinac)

Le débat enclanché par cette crise financière se polarise sur la vitupération du 'libéralisme" et l'exaltation d'un Etat présumé seul capable d'arraisonner les traders, raiders et autres adeptes de la folie spéculatrice.

Certes, il faut un Etat fort pour protéger les faibles. Il faut en outre que les gouvernants des pays majeurs se concertent afin d'imposer au système financier les régulations nécéssaires.
Mais, au-delà de ces évidences, le mal qui ronge l'Occident, décervelle les "juniors", déboussole les "seniors" et nous démoralise tous peu ou prou, ne se résume pas à, une carence du pouvoir étatique. Le mal, c'est ce culte de l'argent, cette apologie de la réussite matérielle qui étalent leur vulgarité à tous les étals, dans tous les kiosques, derrière tous les écrans. Le mal, c'est la dictature sournoise d'un modèle unique inoculé dans les subconscients de la jeunesse par des "élites" amorale set cyniques : en gros, la vie n'est qu'un casino, tâchez de faire du fric, le reste ne compte pas.
Les Grecs et les Romains proposaient deux modèles : le Héros et le Sage. Le Moyen-Age chrétien inscrivait dans les imaginaires la figure du saint et celle du preux. L'âge classique prônait l'idéal de l' "honnête homme". Le romantisme insufflait aux coeurs vaillants les vertus d'une insoumission, sans doute équivoque, mais noble dans son essence.
Rien de tel dans notre société, aucun autre message que l'incitation à "prendre son pieds", y compris au détriment de son prochain. Au fond, ces spéculateurs, dont on vitupère la fringale de profit à court terme, poussent dans ces retranchements la logique implicite d'un système qui stimule les pulsions prédatrices et tient les âmes pour non avenues. Regardez la pub, écoutez ces "people" qui tapissent les couvertures et défilent à la télé : ils puent le fric facile, le sexe facile; ils illustrent le slogan débile de Mai 68 "Jouir sans entraves".

Aucune société ne peut tenir la route si la vénalité -universelle- n'est équilibrée par une exigence qui oriente les regards du côté des étoiles. Aucune ne peut se dispenser de placer la barre morale plus haut que le nombril, ou la ceinture. Aucune ne peut instaurer un minimum de "bien commun" si le discours ambiant le réduit aux acquêts d'une addition de désirs quantifiables.

Bref, le débat entre "libéraux" et "dirigistes" n'a aucun intérêt. Le mal n'est pas, en soi, le capitalisme, toujours amendable. Ni la défection de l'Etat, toujours à même de se ressaisir. Le mal n'est même pas la spéculation, pratique ordinaire depuis la nuit des temps. Le mal occidental, c'est une focalisation sur l'économie qui laisse entendre à un ado paumé que la vie d'un mortel consiste à produire et à consommer, point final. A trouver le job le plus rémunérateur possible et à se ficher du reste. A tourner dans la bulle de son égo comme la guêpe dans un bocal. Avec un tel viatique, on comprend que le moindre soubresaut de l'économie puisse tourner à la panique.

Le mal, ce n'est pas l'argent, mais son absurde survalorisation, faute de mieux. Faute d'un idéal qui, spontanément, le remettrait à sa place, la dernière dans la hiérarchie des valeurs d'un homme de bon aloi.
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Il manque juste une chose, dans la conclusion, pour que l'on puisse trouver le texte vraiment beau: "cet idéal qui remettrait [l'argent] à sa place, la dernière dans la hiérarchie des valeurs d'un homme de bon aloi", le Pape nous en parle tout le temps, homélie après discours: c'est le Christ. (à moins que ce ne soit le message subliminal du titre "Du côté des étoiles")

Relisons, par exemple, ce qu'il disait aux jeunes, lors des JMJ de Sidney (discours à Barangaroo):


Ne vous laissez pas piéger par ceux qui ne voient en vous que des consommateurs dans un marché aux possibilités indifférenciées, où le choix en lui-même devient le bien, la nouveauté se fait passer pour la beauté, l'expérience suggestive supplante la vérité.
Le Christ vous offre plus! Et même, il offre tout! Lui seul, qui est la Vérité, peut être le chemin, et par conséquent la vie. ...


Et encore à Siney, le discours prononcé le 18 juillet devant des jeunes en difficulté, qu'il mettait en garde ainsi:


Vous pourriez penser qu'il est peu probable que, dans le monde d'aujourd'hui, les gens adorent d'autres dieux. Mais il arrive que les gens adorent « d'autres dieux » sans s'en rendre compte. Les faux « dieux », quels que soient le nom, l'image ou la forme que nous leur attribuions, sont presque toujours liés à l'adoration de trois réalités : les biens matériels, l'amour possessif, le pouvoir....


Et encore tout récemment, l'homélie qu'il a prononcée à Paris, le 12 septembre, sur l'Esplanade des Invalides:


Cet appel à fuir les idoles reste pertinent aujourd'hui.
Le monde contemporain ne s'est-il pas créé ses propres idoles ?
N'a-t-il pas imité, peut-être à son insu, les païens de l'Antiquité, en détournant l'homme de sa fin véritable, du bonheur de vivre éternellement avec Dieu ?
C'est là une question que tout homme, honnête avec lui-même, ne peut que se poser.
Qu'est-ce qui est important dans ma vie ? Qu'est-ce que je mets à la première place ?
Le mot « idole » vient du grec et signifie « image », « figure », « représentation », mais aussi « spectre », « fantôme », « vaine apparence ». L'idole est un leurre, car elle détourne son serviteur de la réalité pour le cantonner dans le royaume des apparences. Or n'est-ce pas une tentation propre à notre époque, la seule sur laquelle nous puissions agir efficacement ? Tentation d'idolâtrer un passé qui n'existe plus, en oubliant ses carences, tentation d'idolâtrer un avenir qui n'existe pas encore, en croyant que, par ses seules forces, l'homme réalisera le bonheur éternel sur la terre !
Saint Paul explique aux Colossiens que la cupidité insatiable est une idolâtrie et il rappelle à son disciple Timothée que l'amour de l'argent est la racine de tous les maux. Pour s'y être livrés, précise-t-il, « certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligés à eux-mêmes des tourments sans nombre » .
L'argent, la soif de l'avoir, du pouvoir et même du savoir n'ont-ils pas détourné l'homme de sa Fin véritable, de sa propre Vérité ?


Sans oublier le discours prononcé devant les jeunes, à Cagliari, en septembre: Le Pape s'adresse aux jeunes à Cagliari


Et que dire du fait que dans l'actuelle société de consommation, le gain et le succès sont devenus les nouvelles idoles devant lesquelles tant se prosternent? On est ainsi amené à donner de la valeur à celui qui, comme l'on entend dire, a fait fortune et dispose d'une notoriété, et non à celui qui doit se battre péniblement avec la vie chaque jour.


Sur ce thème: l'encyclique sociale

L'encyclique "sociale" différée : c'est du moins ce qu'annonce encore une fois Rodari sur son blog (information reprise, et commentée, sur le blog du Père Z) .
Le motif invoqué pour le retard est que "le texte ne prend pas en compte de manière convenable l'actuelle tempête financière".
Nous verrons alors la position de l'Eglise...

Voir ici: A quand l'encyclique sociale?


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