Le Pape Professeur

Extrait d'un livre qui vient de paraître en Italie, et une critique du livre qui est un hommage au Saint-Père (24/9/2008)


En août dernier, Andrea Tornielli avait consacré un article à un ouvrage à paraître sur le Professeur Ratzinger (http://benoit-et-moi.fr/2008-II/... ).
Il le présentait en ces termes: Je peux vous assurer que c'est un livre qui vaut la peine d'être lu, pour mieux connaître Joseph Ratzinger, son travail théologique, son regard sur l'Eglise. Et aussi pour démentir certains stéréotypes qui voudraient le dépeindre comme un "repenti" du Concile Vatican II.

Le livre est désormais disponible en italien (ici: http://www.libreriauniversitaria.it/... )et si l'on en croit Rafaella, il a déjà fait couler pas mal d'encre (http://paparatzinger-blograffaella.blogspot.com/... ).

Sandro Magister, en particulier, a consacré une recension à l'ouvrage: http://chiesa.espresso.repubblica.it..

Dernier épisode, la revue Famiglia Cristiana reproduit un chapitre intitulé "Tubingen: les années difficiles".
Il y est entre autres question d'un théologien suisse déjà adepte d'intrigues, nommé... Hans Kung.

Ma traduction.
(source en italien)



NOUVEAUTÉ EDITORIALE
JOSEPH RATZINGER : LES ANNEES D'ENSEIGNEMENT
LE PROFESSEUR QUE DEVIENT PAPE
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Dans un livre publié aux Editions San Paolo, en puisant aux souvenirs de ses collègues et de ses élèves, Gianni Valente reconstruit les étapes de la carrière académique de Benoît XVI.
« A présent, tout le monde le dit: Benoît XVI est le Pape professeur. Lui-même semble le suggérer de plusieurs manières».
En partant de cette considération, et en puisant dans les souvenirs des collègues et des élèves du " professor" Ratzinger, Gianni Valente raconte dans son livre "Ratzinger professeur" les années (1946-1977) d'étude et d'enseignement qui ont précédé la nomination du cardinal allemand d'abord comme archevêque de Munich et Freising (1977), puis comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (1981) et, enfin le 19 avril 2005), l'élection comme Pape.
Nous publions ici un extrait du chapitre du livre de Valente, intitulé " Tubingen. Les année difficiles"

Maurizio De Paoli
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Joseph Ratzinger, en 1966, n'a pas encore quarante ans, mais ses cheveux sont déjà blancs et sa renommée d'enfant prodige de la théologie allemande est désormais consacrée par son intense participation à l'aventure conciliaire.
Le Concile est à peine terminé, et à partir des premiers indices, on cherche à comprendre comment les choses se mettent en place, comment l'onde de choc de l'évènement conciliaire se canalisera dans les formes et dans les rythmes de la vie de l'Église. Le 25 Juillet, à Bamberg, le théologien bavarois est appelé à parler de tout cela au Katholikentag, rencontre périodique des catholiques allemands.

Ratzinger part du constat qu'après le Concile, « il règne un certain malaise, cette atmosphère de froideur et même de déception qui suit habituellement les instants de joie et de fête, lorsque le monde semble changé d'un coup, lorsque la grande espérance du totalement différent et du nouveau s'est mesuré un instant à la grisaille du quotidien, brisant de pesantes coutumes ».

Le théologien bavarois ne se rétracte pas, et n'affiche aucun repentir: en fait les attentes placées dans le renouveau conciliaire lui fournissent les critères pour en juger les premiers effets. Ratzinger s'attendait à ce que que Concile rende plus facile de confesser devant le monde la foi et l'espérance chrétiennes, et, au contraire, il semble que se fasse jour une espèce d'impulsion d'auto-liquidation.
« La foi chrétienne », explique-t'il, « est pour l'homme de tous les temps un scandale, le scandale que l'Insaisissable se soit rendu tangible dans l'homme Jésus ».
Pour cette raison, « une orientation de l'Église vers le monde, qui représenterait son éloignement de la Croix, ne porterait pas à un renouvellement de l'Église, mais à sa fin».

La réforme de la liturgie
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C'est sur le terrain liturgique qu'on peut mesurer le premier et le plus large impact du renouvellement conciliaire dans le vécu de foi du peuple chrétien. Même sur cet aspect, dans son intervention de Bamberg, Ratzinger ne théorise aucune volte face par rapport à la route indiquée par le Concile. Il soutient même que « personne ne montre aujourd'hui avec autant d'efficacité que ses opposants, la nécessité et le bon droit de la réforme liturgique ».
Citant Saint Paul, il définit comme loi fondamentale de la liturgie le fait que la langue liturgique soit compréhensible par les fidèles qui participent aux rites. Mais dans le chantier ouvert de la réalisation de la réforme liturgique il perçoit aussitôt «un agitation qui est une fin en soi », avec des liturgistes professionnels qui « donnent vie à un nouveau ritualisme de formes riches en imagination », ayant pour effet de cacher la réalité des mystères célébrés plus que ne le faisaientles vieux rituels baroques. Une stratégie qui lui paraît marquée de rigidité idéologique, d'unilateralisme et d'intégrisme d'une nouvelle facture.
« Est-il vraiment nécessaire », se demande entre autre Ratzinger, « que la Messe soit célébrée versus populum ? Et puis, est'il si important de pouvoir regarder en face le prêtre, ou n'est-il pas plutôt salutaire de penser que lui aussi est un chrétien comme les autres et qu'il a de bonnes raisons de se tourner vers Dieu avec eux, pour dire avec eux "Notre Père " ?».

Face aux divisions et aux « petits soupçons », face aux inévitables difficultés de la phase post-conciliaire, l'unique attitude valable, pour ceux qui éprouvent de la reconnaisance envers l'évènement conciliaire est, selon Ratzinger, la patience, la « forme quotidienne de l'amour», tandis qu'il faut se garder du « dangereux, nouveau triomphalisme dans lequel tombent souvent justement les dénonciateurs du triomphalisme passé. Puisque l'Église est en pèlerinage sur la terre, elle n'a pas droit de se glorifier elle-même. Cette nouvelle manière de se glorifier pourrait devenir plus insidieuses que les tiares et autres sedie gestatorie qui, de toutes façons, sont maintenant davantage un motif de sourire, que d'orgeuil ».

Entre temps, précisément en 1966 le professeur bavarois a reçu la vocatio (appel) pour intégrer le corps professoral de la faculté de Théologie catholique de Tubingen. Il enseignait la Théologie dogmatique à Münster depuis seulement trois ans, et, après le Concile, tout le monde le considérait comme la "star" de la faculté westphalienne. Mais pour tout théologien, Tubingen exerce une attirance particulière....

Et la force d'attraction de Tubingen ne naît pas seulement des séductions du passé.
C'est là que, depuis 1960, enseigne Hans Kung : Ratzinger et son collègue suisse se sont connus en 1957. Kung était assistant de Théologie dogmatique à Münster. Le professeur bavarois gentil et réservé et son impétueux et polémiste collègue helvétique se sont rencontrés à nouveau au Concile.
Dans la frénétique succession de stratégies et d'initiatives, mises sur pied par la "tribu" des théologiens conciliaires, l'intrigant (manovriero) Kung a toujours gardé le contact avec son collègue de Münster. Le 22 novembre 1962, Ratzinger est invité par Kung à déjeuner à la trattoria romaine "chez Ernesto" , piazza Santi Apostoli, où, avec les autres théologiens (Karl Rahner, Edward Schillebeeckx et Jean Danielou) et l'éditeur hollandais Paul Brand, prend forme l'idée d'une revue théologique internationale, qui relance parmi le grand public les thèmes et les instances conciliaires. Kung, comme Ratzinger, à vrai dire savent qu'ils ont une conception différente de la façon dont la période conciliaire doit refluer dans le grand fleuve de la vie ordinaire de l'Église.
Mais à cette époque, comme l'explique Ratzinger dans son autobiographie, « nous considérions cela comme une légitime différence de positions théologiques », qui « ne devait pas entamer notre accord de fond ».
Au-delà des questions théologiques, Ratzinger et Kung ont aussi eu des contacts concernant des événements plus pratiques, connexes à leur activité académique. Au cours de l'année 63, Kung a renoncé à une proposition d'engagement de l'Université de Münster, mais il a suggéré aux professeurs de la faculté théologique westphalienne d'engager à sa place le jeune théologien Walter Kasper (aujourd'hui cardinal et, depuis 2001, président du Conseil Pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, ndr). Ratzinger appuie la candidature : Kasper commence à enseigner à Münster en 1964.
Ce fut en fait Kung, appuyé par son collègue Max Seckler, qui à Tubingen occupait à cette époque la chaire de Théologie fondamentale, qui tira les ficelles pour que la faculté de Tubingen adressât la vocatio au professor Ratzinger.
« Au cours de cette période, il y eut un turnover générationnel avec la mise à la retraite de plusieurs professeurs âgés. Pour augmenter le prestige de la faculté, certains faisaient pression pour appeler à la chaire de Théologie dogmatique un professeur mûr, au profil consolidé. J'avais trente ans, Kung 35. Nous bataillâmes pour faire venir un autre jeune. Et Ratzinger, alors, était l'homme de l'avenir».
Le professeur Wolfgang Beinert, ex élève de Ratzinger à Tubingen ajoue : « Hans Kung a peut-être fait appel à Ratzinger justement parce qu'il voulait que les étudiants puissent se confronter avec un autre théologie du Concile, différente de la sienne, qui fasse contrepoids à sa théologie unilatérale.
D'autres professeurs, plus fermés qu'eux, qui ne percevaient pas les distances entre les deux, et regardaient même Ratzinger comme un dangereux réformateur, disaient: " Un Kung, ça nous suffit! "».

© Copyright Famiglia Cristiana n. 39


Le quotidien italien "La Stampa" livre lui aussi sa recension de l'ouvrage.
Cela fait drôle de lire le mot "prof" accolé à Ratzinger...
Mais j'aime bien la "leçon de journalisme", et je trouve intéressant le jugement sur le Pape qui transparaît à travers le jugement sur le livre:

Ma traduction:
(source: http://paparatzinger-blograffaella.blogspot.com...


Quand Ratzinger était prof

ENZO BIANCHI
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Il existe encore un journalisme d'investigation capable de ne pas s'abaisser à poursuivre une actualité futile mais d'offrir une contribution sérieuse de divulgation aux études des spécialistes en histoire contemporaine: il est un journalisme qui connaît encore le patient épluchage des documents et des papiers d'archives , qui sait retrouver les témoins d'évènements du passé et, surtout, sait les écouter et en interconnecter les souvenirs, sans céder à des stéréotypes ou à des schématismes interprétatifs. C'est ce type de journalisme que pratique Gianni Valente - rédacteur de 30 Giorni- et qui l'a porté à donner la consistance d'un livre à son enquête attendue sur Ratzinger professeur.

D'un Pape comme Benoît XVI qui élabore une théologie au plus haut niveau depuis plus de cinquante ans, qui a à son actif une bibliographie de centaines d'oeuvres, qui a eu comme professeurs, collègues et étudiants certaines des figures les plus marquantes de la théologie - et pas seulement catholique - du siècle écoulé, on est tenté de considérer comme acquise sa nature de « professeur de théologie ».
Mais comment est née cette passion pour l'étude et, plus encore, pour l'enseignement, la recherche, la confrontation, la dialectique ? Comment s'est cultivée et affinée une propension naturelle au travail intellectuel et, en particulier, à la dimension ecclésiale du « penser autour de Dieu » ? Quels éléments ont fait en sorte que les élèves de ce brillant professeur allemand aient non seulement développé une grande estime et une grande vénération pour leur maître, mais aient aussi assimilé quelque chose de l'attitude profonde avec laquelle il travaillait et enseignait ?

Du texte très documenté et plaisant de Valente émerge la figure d'un homme de foi et d'intellect, capable d'écoute, de disponibilité gratuite, de désir de clarté, de sollecitude pastorale.
(..)
© Copyright la Stampa, 5 septembre 2008


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