Les vaticanistes italiens se font l'écho des interrogations sur une prochaine béatification de Pie XII. --------------------- D'abord, Andrea Tornielli, dans Il Giornale: Il Papa: sull’Olocausto Pio XII tacque a fin di bene. (Pie XII s'est tu pour le bien)
Tornielli reproduit en la commentant l'homélie du Saint-Père (traduction sur Zenit), y compris le commentaire du porte-parole du Vatican, le Père Lombardi (voir ci-dessous, La Croix), et conclut ainsi: Au terme de la célébration, Ratzinger est descendu dans la crypte de Saint-Pierre, et s'est arrêté pour prier sur la tombe de son prédécesseur. ... Le congrès sur le Magistère de Pie XII qui se tiendra à la "Lateranese" (université pontificale, ndt) et l'exposition sur la vie et le pontificat de Pacelli, qui sera inaugurée au Vatican au cours de la première semaine de novembre, semblent indiquer une volonté de retrouver la mémoire outragée de ce Pontife. Et pourraient présager la promulgation du décret. ---------------------
Puis Sandro Magister: "Pie XII bienheureux? Mais juste, avant tout" (http://chiesa.espresso.... ) Qualifiant de surprenante la sortie du rabbin Cohen, "dans la salle du synode des évêques, où il avait été spécialement invité et où il était entré avec tous les honneurs, aux côtés de Benoît XVI, une première dans l’histoire des synodes", il note que "le cardinal Tarcisio Bertone et le ministre des Affaires étrangères Dominique Mamberti ont été extrêmement irrités par la sortie du rabbin et ont regretté de l’avoir choisi comme invité, quand on sait qu’il y a de nombreux leaders juifs – de valeur – qui tiennent Pie XII en haute estime. Les autorités du Vatican, naturellement, n’acceptent pas que l’on interfère depuis l’extérieur dans ses décisions, telles que les proclamations de saints et de bienheureux, qui sont strictement du ressort de l’Eglise.. " Surtout, il apporte la preuve que les oppositions à la béatification sont à rechercher tout autant chez les juifs qu'à l'intérieur même de l'Eglise, et même dans "les premiers cercles". En annexe, le témoignage "à décharge" signé Paolo Mieli, le directeur d'origine juive du plus grand quotidien italien, Il Corriere della Sera, dans une interviewe à L'Osservatore Romano. A lire sans faute, pour se faire une opinion personnelle. ----------------------
Enfin Paolo Rodari, qui, sur son blog, "rebondit" lui aussi sur le témoignage de Paolo Mieli: ... Le prédécesseur de Jean XXIII « est le Pape le plus controversé du XXème siècle». Et cela malgré lui. Pie XII n'a pas pris de décisions boulerversantes. Il n'avait pas un caractère particulièrement fort comme celui de Pie XI ou de Benoît XV. Il ne s'est pas distingué, à l'intérieur de l'Église, par des décisions retentissantes. Et pourtant, on continue à parler de lui, comme d'aucun autre Pontife. ... L'avalanche des mots autour de Pacelli commence avec les représentations théâtrales de la pièce de Rolf Honchhuth, « le Vicaire ». C'est ainsi que commence cette « légende noire » qui en est venue à présenter Pie XII comme « le Pape d'Hitler ». À cause de Honchhuth, en somme, Pacelli est devenu le Pontife du « silence » sur le génocide juif. Et la relecture de son pontificat qui, portée par des efforts variés de ses successeurs, a cherché à ré-imposer le visage que Pie XII avait jusqu'au 20 février 1963, jusqu'au jour remarqué de la présentation sur scène à Berlin du « Vicaire», n'a pas pu faire grand'chose contre cela. Le dernier, dans cette tentative pour rendre à Pie XII ce qui lui revient, c'est Benoît XVI. .... Aujourd'hui le monde juif est moins critique envers le pontificat pacellien. Il est vrai que, comme l'a montré durant le Synode des évêques le rabbin de Haifa, Shear-Yashuv Cohen (l'épisode a beaucoup agacé "au-delà du Tibre"), il y en a encore qui ne se consolent pas. Mais, en général, l'attitude de Pie XII jouit d'une plus grande estime dans le monde juif, au point que même une éventuelle béatification prochaine ne serait pas vue de façon négative (ndt: mais alors, quels sont qui donnent de la voix?). La preuve en est donnée par la récente rencontre à Rome d'un groupe de juifs des Etats-Unis, les Pave the Way Foundation (Ptwf) de New York, qui a affirmé reconnaître l'assistance que Pie XII accorda aux juifs aux temps du nazisme. Et c'est probablement grâce à ce nouveau vent qu'on respire de la part du monde juif (??) que le Pape, à brève échéance, décidera d'apposer sa signature sur le décret qui sanctionne « l'héroïcité des vertus » de Pacelli, étape décisive en vue d'une possible béatification.
|
Parmi les articles dans la presse française, j'en relève deux, particulièrement significatifs.
D'abord, le Figaro (d'après l'AFP), qui titre curieusement, le 10 octobre: Béatification de Pie XII : Israël prudent .... et se conclut sans doute plus justement: Les oppositions à la béatification du pape Pacelli s'expriment au sein du monde juif mais aussi de l'Eglise catholique.
Ensuite, un bon papier de La Croix, qui, après avoir relaté les faits, s'interroge sous la plume d'Isabelle de Gaulmyn:
Que va-t-il se passer à présent ? Comme l’a immédiatement précisé le P. Federico Lombardi, directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, « le pape a eu l’intention de manifester explicitement son union spirituelle » avec ceux qui souhaitent la béatification. Mais « il ne s’est pas exprimé sur les étapes successives » du processus. De fait, le pape aurait pu annoncer jeudi devant les évêques la signature du décret de reconnaissance de l’héroïcité des vertus de son prédécesseur, qui permet de passer à l’examen du miracle (pour lequel le dossier n’est, par ailleurs, pas encore constitué) indispensable pour une éventuelle béatification. Or, il ne l’a pas fait. Ce décret attend la signature de Benoît XVI depuis que, le 8 mai 2007, à l’unanimité, la Congrégation des causes des saints a donné son feu vert. « Le pape ne l’a pas encore signé, jugeant opportun un temps de réflexion », a indiqué le P. Lombardi. Cependant, à la lumière de cette homélie, il ne fait guère de doute que Benoît XVI devrait la signer dans les semaines qui viennent. Il a sans doute simplement voulu montrer qu’il n’était soumis à aucune pression extérieure, et que ce choix serait le fruit de sa propre réflexion. -------------------
|
John Allen couvre au jour le jour le synode, pour NCR. Beaucoup de ses analyses me paraissent très intéressantes, même et surtout quand on ne les partage pas. Je regrette de ne pas avoir le temps de le traduire (car il est vraiment TRES bavard!) Hier, il a transcrit une conférence de presse (http://ncrcafe.org/node/2175 ) donnée par le cardinal Pell, de Sidney, un des trois co-présidents du Synode, qui préside les sessions en alternance avec le cardinal William Levada, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et le cardinal Odilo Pedro Scherer de São Paulo, au Brésil. En voici les derniers échanges:
- Que faites-vous de ce que le Rabbin Cohen avait à dire à propos de Pie XII? - Je suis depuis longtemps un admirateur de Pie XII. J'ai écrit un article sur la pièce de Hochhuth ["Le Vicaire", accusant Pie XII de silence pendant l'Holocauste], peu après sa sortie dans les années 1960. Nous savons aujourd'hui qu'il avait été poussé par l'Allemagne de l'Est communiste, et il est très regrettable qu'une grande partie de la théorie qu'il soutenait ait par la suité été reprise. Comme évêque et cardinal, je ne peux m'empêcher de penser à quel point les cartes qui avaient été distribuées à Pie XII étaient terribles ... la montée du fascisme, la Seconde Guerre mondiale, puis après la guerre, la montée du communisme.
- Êtes-vous favorable à la canonisation de Pie XII? - Oui, je le suis.
- Immédiatement? - Je ne vois aucune raison de se hâter. Nous devons laisser le processus suivre son cours.
- Mais par respect pour la sensibilité juive, pensez-vous qu'il faudrait différer? - Non, je pense que c'est malheureusement un cas où les sensibilités juives sont plutôt mal orientées. C'était une époque épouvantable, mais davantage de juifs ont survécu en Italie que partout ailleurs, et en particulier à Rome. L'expérience néerlandaise, alors que les évêques de là-bas se sont exprimés [et les nazis en représailles ont raflé des Juifs], montre le réel danger que des condamnations plus explicite n'auraient pas seulement été contre-productives, mais presque de l'auto-indulgence.
- Vous voulez dire que le pape aurait soulagé sa conscience au détriment de vies juives et d'autres vies? - Oui, exactement.
- Même certains défenseurs de Pie XII, cependant, soutiennent que ce n'est pas le bon moment pour le déclarer saint en raison des dommages que cela produirait dans les relations entre catholiques et juifs. - Je ne vois aucune raison pour un retard indû. Certes, nous n'avons pas besoin de hâte, ou de provocation, mais nous n'avons pas besoin de faire traîner. Je suis un ami de longue date de la communauté juive, et l'une des caractéristiques des amis, c'est qu'ils peuvent se dire charitablement la vérité l'un à l'autre.
- Vous ne croyez pas que le climat serait plus serein dans 100 ans? Après tout, si c'est un saint, il est déjà au ciel. Il n'attend pas après une déclaration du pape. - Je ne suis pas sûr qu'il serait juste envers Pie XII d'attendre 100 ans. Ce pourrait être un jugement implicite que d'une certaine manière, il a été coupable de ne pas faire plus. S'il est innocent, il mérite d'être déclaré tel, et je pense que le processus normal devrait suivre.
|
Personnellement, je suis convaincue (ce qui bien sûr ne m'engage pas à grand chose) que le Saint-Père n'est pas influençable, sur ce point comme sur aucun autre. Il fera ce qu'il pense juste, ce que ses prières lui auront suggéré, et c'est inimaginable d'insinuer qu'un groupe de pression quel qu'il soit, pourrait lui faire changer d'avis. Car évidemment, ce que ces commentaires oublient, c'est qu'un saint, cela ne se décrète pas. Ou alors, si ce sont les hommes qui le décrètent, Dieu a aussi son mot à dire... et ici-bas, c'est le Pape qui décide!
|