Comment Jean XXIII "découvrit" Joseph Ratzinger

Un article paru dans L'Eco di Bergamo (30/10/2008)


L'occasion est la commémoration récente du 50ème anniversaire de l'élection du Bon Pape Jean.

On retrouve cette idée - sommaire, mais ici un peu corrigée - que le jeune théologien Ratzinger aurait été progressiste.
Il vaut mieux le croire lui, lorsqu'il dit "ce n'est pas moi qui ai changé, ce sont les autres".
Par exemple, on jugera ici à quel point il est resté le même:

... à l'égard de l'idéologie marxiste Ratzinger .. sollicitait de l'Église une réponse "en positif" : « Puisque le marxisme est une idéologie de l'espérance, d'une justice terrestre plus profonde, c'est à l'Église de présenter sous une lumière nouvelle le salut qui est offert à l'humanité dans le Christ, pas seulement pour la vie éternelle, mais aussi ici-bas »

Article reproduit sur le blog de Raffaella.

Ma traduction


« Beau discours, cardinal Frings »...

Mais l'auteur était un certain Ratzinger
Lucio Brunelli
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Papa Roncalli découvrit le talent du professeur Ratzinger en novembre 1961. Il avait beaucoup apprécié une conférence du jeune théologien allemand et dit au cardinal Joseph Frings, de Cologne que lui aussi souhaiterait l'engager pour écrire ses textes.

Voilà comment les choses se sont passées.
Un jésuite italien, le père Angelo d'Arpa, demanda au cardinal Joseph Frings de tenir à Gênes une conférence sur « Le Concile Vatican II face à la pensée moderne ».
Durant ces mois, les préparatifs pour les assises conciliaires qui devaient s'ouvrir l'année suivante battaient leur plein. Le cardinal de Cologne était un des plus influents prélats de l'époque : il avait une réputation d'« innovateur », finançait beaucoup d'Églises du tiers-monde et jouissait de bonnes entrées dans l'appartement papal. Au point que, lors du voyage de retour en Allemagne après le conclave de 1958, il confiait déjà à son secrétaire Hubert Luthe la possibilité d'un « concile imminent ». Information encore ignorée d'une grande partie de la Curie romaine.
Ce fut Luthe, justement, qui présenta à Frings, Joseph Ratzinger, alors âgé de 34 ans, professeur de Théologie à l'Université de Bonn.
Le cardinal vint écouter un de ses cours à l'Académie catholique de Bensberg, en resta fasciné, et dès lors « il l'embaucha » comme théologien de confiance. Lorsqu'il fut demandé à Frings de tenir une conférence sur le Concile à Gênes, l'archevêque de Cologne décida de mettre Ratzinger à l'épreuve : il lui demanda de rédiger une ébauche du discours qu'il devait prononcer. En fait Frings changa seulement un petit mot au texte reçu. Dans cette période, le futur Pape allemand était connu pour ses positions très ouvertes : à l'examen d'habilitation pour le doctorat, on l'avait même suspecté de modernisme.
La conférence se tint dans le chef-lieu ligurien le 19 novembre 1961 et reçut un grand succès dans le monde catholique. Le 23 février 1962 le cardinal de Cologne fut convoqué en audience personnelle par Jean XXIII.
Frings, au début, accueillit l'invitation du Pape avec une certaine crainte. « Je n'en savais pas le motif. Je dis d'un ton douloureux à mon secrétaire Luthe : "Mets-moi la cape rouge, qui sait, ce sera peut-être la dernière fois" ». Il craignait que Roncalli ne voulût lui faire des reproches parce que le texte préparé par Ratzinger exprimait des idées et des tendances résolument novatrices par rapport à la pensée dominante dans la Curie romaine et dans les universités pontificales de la capitale.
Concernant le Concile, il souhaitait une approche pastorale, pour un sain renouveau de l'Église, du champ de la liturgie, avec une vision moins « monarchique » de la papauté, dans le but de rendre l'Église plus amicale à l'homme moderne.
Par exemple à l'égard de l'idéologie marxiste Ratzinger (alias Frings) sollicitait de l'Église une réponse "en positif" : « Puisque le marxisme est une idéologie de l'espérance, d'une justice terrestre plus profonde, c'est à l'Église de présenter sous une lumière nouvelle le salut qui est offert à l'humanité dans le Christ, pas seulement pour la vie éternelle, mais aussi ici-bas » (cf Gianni Valante, Ratzinger professeur, Éditions San Paolo, 2008).
Le même Ratzinger définit cette conférence comme « peut-être pas révolutionnaire, mais certes un peu audacieuse ».
Pourtant, Jean XXIII en fut enthousiasmé. Plus tard Frings se rappellera ainsi de l'audience : « Lorsque j'entrai dans la salle des audiences du Pape, ce dernier vint à ma rencontre, il m'embrassa et dit : "Cette nuit, j'ai lu votre intervention de Gênes et je voulais vous remercier pour cette belle argumentation". J'étais un peu embarassé, mais en même temps, reconnaissant que le Saint-Père l'ait lu. Je crois que beaucoup de son contenu fut ensuite réalisé lors du Concile ».
Ratzinger lui-même a raconté l'épisode avec des mots semblables: « Cette conférence plut beaucoup au Pape Jean XXIII qui, en embrassant Frings, lui dit : c'était vraiment mes intentions en organisant le Concile"(cf J. Ratzinger, Je vous raconte mon concile, « Reset », mai-juin 2005).
Le secrétaire Luthe, devenu ensuite évêque, ajouta des détails savoureux: « Lorsque, par honnêteté, le cardinal Frings dit au Pape que ce n'était pas lui qui avait écrit le texte, mais plutôt le professeur Ratzinger, il semble que Jean XXIII ait répondu que ce théologien devrait élaborer ses propres textes, parce qu'il était important de trouver le juste conseiller et de pouvoir signer ses copies » (cf Norbert Trippen, L'Osservatore romano, 9 octobre 2008).
En somme, presque une tentative… pour voler au cardinal de Cologne son génial petit professeur (geniale professorino) !
De fait, après cette audience, la cote de Ratzinger monta au zenith.
Dès mai 1962 le théologien bavarois fut introduit dans la Commission préparatoire centrale du Concile comme conseiller pour les textes de dogmatique. Puis, une fois commencés les travaux de l'assemblée, il fut nommé officiellement par le Pape peritus conciliare, et à ce titre, il écrivit tous les plus importants discours de Frings (y compris celui dans lequel il demandait une réforme radicale, dans un sens libéral, de l'ancien Saint-Office).
L'estime de Jean XXIII fut toujours rendue par Ratzinger. En 1963, à Munster, dans un de ses célèbres comptes rendu sur les travaux de Concile, il se rappelle ainsi de la disparition du bon Papen : « On dit que personne n'est plus mort qu'un Pape mort. Mais cela ne s'applique certes pas ici. On peut dire que personne n'est plus présent à ce Concile que le Pape mort. Si c'est possible, les pères conciliaires sont plus impressionnés aujourd'hui de son humble acceptation de la volonté de Dieu qu'ils ne l'avaient été durant sa vie ».

Même dans les années de la grande déception, face aux résultats imprévus et aux turbulences doctrinales de la période post-conciliaire, Ratzinger ne changa pas son jugement sur Jean XXIII. Il distingua toujours les authentiques intentions du Pape des interprétations déviantes de Vatican II. Dans le livre-interview "Rapport sur la foi", le cardinal allemand, nommé entretemps Préfet de l'ex Saint-Office, dira : « L'intention du Pape qui prit l'initiative du Concile, Jean XXIII, et de celui qui le continua fidèlement, Paul VI, n'était pas du tout de mettre en discussion le depositum fidei qu'au contraire, tous les deux tenaient pour indiscuté, désormais en sûreté (…). Vatican II ne voulait certes pas "changer" la foi mais la représenter de manière efficace. C'est ainsi que voyaient les choses ces papes, et les pères conciliaires, dont quelques-uns versèrent dans un optimisme qu'à partir de notre perspective actuelle, nous jugerions comme peu critique et peu réaliste. Mais s'ils ont pensé pouvoir s'ouvrir avec confiance à ce qu'il y a de positif dans le monde moderne c'est justement parce qu'ils étaient sûrs de leur identité, de leur foi ».

© Copyright L'Eco di Bergamo, 28 octobre 2008


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