De nouveaux droits de l'homme?

Le soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme par l'ONU sera t'elle l'occasion d'en promouvoir de nouveaux? Deux articles italiens (Giuliano Ferrara et Paolo Rodari) - 3/12/2008


Le 10 décembre prochain, on célébrera – à n’en pas douter, en grande pompe – le 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’ONU. De grandes manifestations sont prévues, y compris un concert dirigé par une (le féminin a été soulignée par les medias, pas par moi, qui n'ai aucune raison de douter de son talent) chef d'orchestre devant le Saint-Père.
Car le Saint-Siège s'y associe forcément, et il est peut-être utile de souligner que sa participation est indispensable, ne serait-ce que pour cette raison, soulignée plus bas par Giuliano Ferrara
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Le Vatican a sa logique diplomatique en ce qui concerne les rapports avec l'ONU. Dans les interventions de certains de ses organes, le contenu de valeur est subordonné à la discipline diplomatique..
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C'est en tout cas une occasion de réfléchir sur ce « décalogue » de la nouvelle « religion » mondialiste, dont certains lobbies tentent de profiter de l’occasion pour réécrire des articles.
Comme d’habitude, la voix sage du Saint-Père se fait entendre au-dessus de la mêlée

Au passage, je suis surprise d’apprendre (la nouvelle est sans doute parue, mais suffisamment discrètement pour avoir échappé à beaucoup) que la France, sous la conduite de Rama Yade et Bernard Kouchner, entend demander à l'Onu la dépénalisation universelle de l'homosexualité.
C'est rare, malheureusement, d'entendre citer la France dans le débat international, à ce niveau.
Mais aussi, c'est malheureux que ce soit pour cela.
La question se pose de savoir si les français ont porté au pouvoir (jusqu'à présent, ce pouvoir n'est pas illégitime) un gouvernement de droite pour ce genre d'initiatives (il est vrai que Patrick Devedjan a déclaré récemment « La droite n’est plus conservatrice », on est content que l’aveu vienne justement d’un homme « de droite »).

Une fois de plus, c’est dans l’internet italien que j’ai trouvé les meilleures analyses, respectivement sur le blog de Paolo Rodari, et dans une tribune de Giuliano Ferrara, l’atypique directeur de Il Foglio
Traductions



Paolo Rodari

Le Vatican ne veut pas de dépénalisation de l'avortement. Et il prépare un document
2 Décembre 2008,
http://www.paolorodari.com/
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En vue du 10 décembre prochain, soixantième anniversaire de la déclaration des droits de l'homme, les différentes positions sont désormais sorties à découvert.
D'un côté, il y a la France qui, comme l'a dit récemment le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner et le secrétaire d'État pour les droits de l'homme Rama Yade, entend demander à l'Onu (par une déclaration faite au nom de tous pays de l'Union européenne) la dépénalisation universelle de l'homosexualité. Et, toujours du même côté, il y a plusieurs organisations favorables à l'avortement qui saisissent l'occasion de cette date historique, pour demander que l'avortement devienne un droit universel. Il s'agit de deux demandes différentes, unies cependant par le même leitmotiv : les droits de l'homme doivent être revus au nom de nouvelles catégories non prévues jusqu'à aujourd'hui.
De l'autre côté de la barricade, il y a beaucoup de pays du monde - et parmi ceux-ci le Saint-Siège - qui, comme l'a expliqué hier Mgr Celestino Migliore, ne considèrent pas ces deux demandes comme légitimes. Pour l'observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies qui a exprimé hier le point de vue du Vatican, c'est de la « barbarie » de proposer que l'avortement devienne un droit universel de l'Onu - « cela représente l'introduction du principe homo homini lupus, l'homme devient un loup pour son semblable », a t’il dit - et, en même temps, même si pour l'Église les homosexuels ne doivent absolument pas être discriminés, la demande de dépénalisation de l'homosexualité aurait en fin de compte des buts différents de ceux déclarés : avec l'excuse d'ajouter de nouvelles catégories protégées contre la discrimination, on créerait simplement - ce sont des mots de Mgr Migliore - de « nouvelles et implacables discriminations » : par exemple, « les États qui ne reconnaissent pas comme mariage l'union entre des personnes de même sexe seraient mis au ban et feraient l'objet de pressions ».

Les propos tenus hier par Mgr Migliore ne font que refléter le sentiment que le Vatican a depuis longtemps sur les deux propositions. Lesquelles, pour le Saint Siège, montrent la volonté mise en avant par plusieurs pays et certains lobbies de réécrire la liste des droits de l'homme, de les reformuler en allant au-delà de cette même déclaration universelle. Et la chose n'est pas acceptable, parce qu'elle refléterait simplement les instances d'une culture laïciste et de parti.
On ne sait pas ce qui se passera au siège de l'Onu après le 10 décembre. En attendant, toutefois, il convient d'enregistrer une réponse à froid, c'est-à-dire transmise par écrit, que le Vatican s'apprête à donner indirectement aux deux propositions. Grâce, en effet, aux travaux de la Commission théologique internationale réunie justement ces jours-ci au Vatican, va sortir sous peu un document intitulé « A la recherche d'une éthique universelle ». On y combattra ce relativisme éthique selon lequel tout a de la valeur et tout est licite. On y donnera les catégories avec lesquelles évaluer ce que sont et ce que ne sont pas ces droits de l'homme inaliénables et, donc, à défendre contre tout et tous.

Il s'agit d'un document voulu fortement par Benoît XVI qui, en recevant l'année dernière les membres de la commission, les avait fortement exhortés à travailler sur le thème de la loi naturelle. Le Pape avait stigmatisé ce « relativisme éthique » dans lequel « certains voient même une des conditions principales de la démocratie, parce que le relativisme garantirait la tolérance et le respect réciproque des personnes ».
Et « lorsque sont en jeu les droits fondamentaux de l'homme, aucune loi faite par les hommes ne peut subvertir la règle écrite par le Créateur dans le coeur de l'homme, sans que la société même en soit dramatiquement frappée dans ce qui constitue sa base inaliénable ». La « loi naturelle », en somme est pour le Pape, « la vraie garantie offerte à chacun pour vivre libre et respecté dans sa dignité, et défendu contre toute manipulation idéologique et contre tout arbitraire et tout abus du plus fort ».



Giuliano Ferrara

Droits universels mais pas pour tous
http://paparatzinger2-blograffaella.blogspot.com

Giuliano Ferrara et une Déclaration qui explique tout des hommes, sauf qu'il s'agit de personnes
Rodolfo Casadei
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Sur les thématiques évoquées pour le 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qu'on célèbrera le 10 décembre prochain, nous avons dialogué avec Giuliano Ferrara, le directeur de "Il Foglio".

- En ce 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits l'homme, on reste frappé par l'anachronisme du texte, entièrement centré sur les droits de l'individu, alors qu'aujourd'hui on met l'accent sur les droits des catégories: les femmes, les "différents", les communautés, comprises dans des sens variés. N'y a t’il pas alors un peu d'hypocrisie dans les célébrations actuelles?
- Vous avez raison, mais les anachronismes sont au moins deux. Le premier concerne le droit à la vie, cité à l'article 3 comme droit fondamental. Cependant, aucune définition de la vie n'est donnée. La déclaration a été proclamée cinq ans avant la découverte de l'ADN et donc elle ne tient pas compte des conséquences de cette découverte en ce qui concerne la formation et le début de la vie. De même qu'elle ne tient pas compte du fait que la vie aujourd'hui peut être procréée en éprouvette, peut être fabriquée avec des modalités inédites. De même en ce qui concerne la phase finale de la vie, la « vie mourante », les moyens actuels de soutien et de soin et les conséquences déontologiques pour les médecins n'étaient pas connus. Ni la discussion sur la mort cérébrale, essentielle dans la pratique des transplantations.
La déclaration est vieille, elle ne protège pas la vie de la formidable capacité de manipulation qui s'est affirmée par la suite et qui implique, dans son versant négatif, sélection eugénique, sexiste et raciste. Tout cela la déclaration universelle ne l'affronte pas.
Ensuite, il y a ce que vous rappelez: aujourd'hui le droit individuel comme droit universel se heurte avec l'idéologie des droits humains, qui est différente de la théorie des droits humains. Chez Thomas Payne (http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Paine ) et dans la Constitution américaine, les droits ont une base "créaturale", ils descendent de la façon par laquelle le Créateur a fait l'homme. Aujourd'hui les droits à la différence, c'est-à-dire les droits des "gays", les droits du "genre", l'affirmative action, sont hors de cet horizon et le contredisent en partie. C'est de l'idéologie, une fausse conscience des droits humains.
Certes, il n'existe pas seulement les droits naturels, qu'ils soient issus de la raison ou de la création. Il y a aussi droits qui se définissent à l'intérieur de l'histoire des civilisations, et quelques-uns des droits qu'on revendique comme droits des minorités me conviennent tout à fait, ils constituent un progrès. L'important est que cette nouvelle théorie des droits ne tende pas à avilir, à bouleverser les droits naturels et l'anthropologie sur laquelle ils sont fondés. Les droits des gays me conviennent s'ils ne deviennent pas une attaque contre le mariage, le droit pour les hommes et les femmes à mener une vie libre me convient, mais il ne doit pas devenir une destruction idéologique de la notion de famille.

- Le langage de la déclaration universelle en matière de droit à la vie est anachronique, mais aussi les actuels groupes d'activisme pour les droits humains ont une vision partielle de ce qui est requis pour la protection de la vie : ils demandent l'abolition de la peine de mort dans le monde entier, mais ils ne se prononcent pas sur l'avortement ou sur l'euthanasie.
- C'est l'idéologie dont je parlais. Pour célébrer sérieusement le 60ème anniversaire de la déclaration universelle il faudrait entamer un sérieux travail de réflexion sur la définition de la vie, qui aujourd'hui est abstraite et fait abstraction des données scientifiques concrètes qui entre-temps ont été acquises. A l'inverse, on se concentre de manière idéologique sur l'abolition de la peine de mort. L'abolitionnisme est une position pleinement légitime, à laquelle j'adhère même, à l'intérieur de certaines limites. Cependant, au moment où on s'oppose à la peine de mort sous la forme d'un moratoire universel, si on n'y ajoute pas un moratoire sur l'avortement - ce qui ne signifie pas réprimer pénalement l'avortement, mais interdire l'avortement d'État sélectif, raciste et sexiste, et promouvoir des politiques publiques construites sur la nécessité de conjurer l'avortement - on tient une position de pure propagande politique.

- Le Conseil Pontifical du Vatican pour la justice et la paix écrit que la Déclaration est « un instant d'importance fondamentale dans le mûrissement, de la part de l'humanité, d'une conscience morale conforme à la dignité de la personne ». N'est-il pas un peu étrange, cet enthousiasme de la part de l'Église, étant donné que le document ignore les devoirs de l'homme et les droits de Dieu, et que l'article 18, celui sur la liberté religieuse, reste inappliqué, surtout au détriment des chrétiens ?
- Le Vatican a sa logique diplomatique en ce qui concerne les rapports avec l'ONU. Dans les interventions de certains de ses organes, le contenu de valeur est subordonné à la discipline diplomatique. Cependant le Pape, dans sa rencontre avec les ambassadeurs en janvier dernier a dit clairement qu'il est temps d'ouvrir une discussion sur la vie et sur sa valeur, justement parce que le moratoire sur la peine de mort été approuvé, et je me rappelle de beaucoup d'interventions d'évêques sur cette ligne. Egalement en ce qui concerne la liberté de religion, l'Église est toujours divisée entre l'esprit missionnaire, à partir duquel il défend les chrétiens d'Asie et d'Afrique et en même temps la nécessité pour le Saint Siège de maintenir des rapports avec les gouvernements des pays dans lesquels ils se trouvent.

- Dans sa lettre à Marcello Pera, publiée dans l'introduction du livre Pourquoi nous devons nous dire chrétiens, Benoît XVI écrit qu'il ne peut pas y avoir de libéralisme « sans enracinement dans l'image chrétienne de Dieu », parce qu'autrement le libéralisme se suicide. Est-il juste d'appliquer ce discours à ce qui concerne les droits humains ?
- Indubitablement. Pensons à John Locke. Il était antipapiste parce qu'il défendait le pluralisme religieux comme garantie du pluralisme politique et de l'équilibre entre les pouvoirs de l'État, mais aucun grand libéral, à partir de John Locke, n'a jamais pensé qu'on pouvait construire un système de légitimation uniquement juridique - pour ne pas parler de morale - du pouvoir, de l'autorité, sans une référence claire et précise à Dieu, ou à la loi naturelle, ou à la loi de raison, qui sont Logos et donc sont Dieu. L'objet du livre de Pera est parfait de ce point de vue, ses idées sont largement partageables et ont été toujours été professées par ceux qui, comme nous, pensent qu'il n'est pas possible de fonder le droit sur une base, qui ne seraient pas celles d'un axe de transmission héréditaire des droits. Cet axe peut être conçu directement comme religion révélée- les droits existent parce qu'ils sont inscrits dans les Tables avec les commandements et les préceptes, ou en vertu de la Genèse, parce que les hommes descendent tous d'Adam - ou bien on peut l'interpréter dans une forme plus déterminée par la culture et l'histoire de la civilisation. Mais il y a toujours un élément qui dépend, sinon d'une position explicitement théiste, au moins d'une position culturellement chrétienne : c'est Jésus-Christ qui, comme fait historique, a incarné non seulement l'humanité d'un Messie au nom du Père, mais a incarné aussi une lectio umana (ndt par opposition à la lectio divina, i.e. la lecture des textes divins) qui a eu la force et la vigueur que nous connaissons, depuis le discours sur la Montagne jusqu'à aujourd'hui. Hors de ce double horizon - Dieu et son Fils incarné sur la terre - il me semble très difficile de fonder le droit. On a fait beaucoup d'essais, et même la Déclaration universelle des droits humains est au fond une tentative dans cette direction, mais dans tout cela, il y a l'imperfection, ou dans tous les cas une dette non reconnue. C'est-à-dire, on écrit un bon texte de droits, mais on trouve implicitement le Grundnorm (http://en.wikipedia.org/wiki/Grundnorm ), la règle fondamentale qui n'est pas le produit d'autres règles, mais de l'axe héréditaire dont nous parlions : elle vient de la révélation ou d'une culture, d'une anthropologie.

- John Locke (http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Locke ) était antipapiste, au contraire Giuliano Ferrare se déclare « papiste non catholique ». Qu'est-ce que cela signifie ?
- J'ai repris une formule d'Oscar Wilde, homme de paradoxes tombé amoureux à la façon d'un dandy (dandisticamente) de ce que représentaient la beauté, la puissance, la centralité de l'Église de Rome. Je ne suis pas un dandy mais j'ai employé cette formule pour m'opposer aux doctrines qui aujourd'hui dans un certain milieu catholique parlent d'« hypertrophie papale » ou de « papolâtrie ». Je ne suis pas d'accord, mais je pense que l'Église est vraiment grande parce qu'elle a la force du peuple, elle se base sur l'intuition de foi de la foule des fidèles, mais elle grande aussi pour ce reductio ad unum qui est le Pape.

© Copyright Tempi




A propos de Giuliano Ferrara, qui se qualifie d’athée dévot, un qualificatif que j'aime beaucoup, parce que je m'y reconnaissais... avant de connaître Benoît XVI, voir ici :
http://benoit-et-moi.fr/2008-I/...


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